Inondations

En finir avec un urbanisme condamné

L’alerte rouge qui a frappé la région bastiaise, le Nebbiu et d’autres régions de Haute Corse le 24 novembre dernier n’est pas une surprise. L’an dernier à la même époque un phénomène météorologique de même nature avait touché les Alpes Maritimes dans la région de Cannes. La Corse est logée à la même enseigne météorologique, et elle ne pouvait échapper, un jour ou l’autre, à un « épisode méditerranéen » de même ampleur. À Cannes et alentour, les orages avaient provoqué sur ce territoire envahi par le béton des conséquences dramatiques, plusieurs morts piégés dans leurs voi- tures ou leurs garages, des flots dévalant à grande vitesse des rues goudronnées devenues des lits de rivières, sans frein ni retenue. Grâce à dieu, les inondations des jours derniers n’ont pas fait de victimes en Corse, et les secours ont fait preuve d’une grande efficacité. Ce même urbanisme inconscient on le constate tout au long de la quatre-voies qui mène à Bastia. On y devine une succession de thalwegs formés par des ruisseaux dévalant de la montagne, mais, dans la plaine, on perd la trace des cours d’eau sous l’épaisseur des voiries et des parkings. Ils se heurtent même à des bâtiments inconsidérément implantés sur l’ancien lit qui servait d’exutoire pour la montée des eaux. Quand ça déborde, c’est la catastrophe assurée!

Les images qui ont circulé en boucle sur internet sont plus que parlantes. La galerie marchande implantée à cheval sur les rives d’un ruisseau aujourd’hui disparu, mais dont la trace existe encore au cadastre du début des années 50, a été submergée par les flots qui ont retrouvé leur chemin naturel (voir ici le commentaire illustré du site a Piazzetta). Dans les années 70, il était courant de faire de la sorte, et la grande surface qui suit en entrant dans Bastia, comme la plupart des autres, connaissent la même situation, et plusieurs ont déjà connu la même mésaventure. Plus sidérant encore, alors que les Plans de Prévention contre le Risque d’Inondations (PPRI) existent désormais, a été de voir les images de ce lotissement en cours de construction à Lucciana, aux maisons à peine sorties de terre et déjà traversées par des flots que rien ne peut empêcher de se comporter comme s’ils étaient chez eux, puisque justement ils y sont ! Comment a-t-on pu délivrer un tel permis de construire dans le bras mort d’une rivière ? Qui veille au respect des interdictions de construire en zone inondable ? Qui contrôle les permis ? Qui les accorde ? Qui est responsable ?

L’aggravation prévisible des phénomènes météorologiques extrèmes dans les décennies à venir appelle à une réflexion sur les plans qu’il faudra mettre en œuvre pour mettre hors de danger ceux qui aujourd’hui sont menacés : sur le littoral en raison de l’aggravation des tempêtes et de la montée du niveau de la mer au fur et à mesure que fond la glace aux pôles nord et sud; dans les plaines sur-urbanisées où l’eau reprend ses droits les jours de crue ; et partout où la nature aurait dû rester maître du sol. Ce 24 novembre 2016 devra rester dans les mémoires comme la fin d’une époque, celle où l’on passait outre toutes les considérations techniques au nom de l’argent-roi. Le passage en zone non- constructible de nombre d’hectares qui sont réputés l’être, qui sont valorisés comme tel, mais qui ne pourront plus l’être désormais, va provoquer bien des réactions. Mais il faudra être ferme et aller jusqu’au bout d’une politique d’aménagement qui doit être totalement repensée, notamment sur certains secteurs qui ont été aménagés de manière totalement anarchique comme la Marana. Pour un secteur aussi stratégique, il faudra des moyens importants et que l’Agence de l’Urbanisme puisse lancer un plan de sauvegarde à long terme et une requalification de tout cet espace où vivent et travaillent des milliers de Corses.

C’est un chantier considérable, mais les événements météorologiques récents ont montré qu’il était indispensable.

François Alfonsi