Surfaces commerciales en Corse

Comment limiter leur développement effréné ?

Ces dernières semaines ont été marquées par le traitement d’un sujet de plus en plus préoccupant en Corse mais aussi pour de nombreuses villes françaises : celui de la maitrise du développement des grandes surfaces en périphérie des centres urbains.

 

Après l’inauguration de l’Atrium, les péripéties concernant l’ouverture du Leclerc, la décision favorable de la CDAC (Commission départementale d’aménagement commercial) pour l’ouverture d’un Drive à Sàrrula Carcupinu… mais aussi, après la Une du journal Libération qui demande s’il ne faut pas interdire les zones commerciales, ou encore le magazine de France 5 «C dans l’air » qui consacre une de ses émissions à la question du petit commerce et de l’impact des centres commerciaux pour les villes moyennes… la question se pose…

 

Et si les centres commerciaux devenaient l’un des enjeux principaux de la prochaine Collectivité de Corse ?

Même si les questions liées à la précarité, aux déchets, à la coofficalité, à l’autonomie ne sont toujours pas réglées, il appartient à cette nouvelle mandature de se pencher sur la problématique de l’aménagement commercial.

Cette question s’est d’ailleurs invitée au débat en pleine campagne électorale et les prises de position du Président de l’Exécutif, Gilles Simeoni qui a indiqué que ce modèle de la grande distribution « ne convient pas aux intérêts de la Corse », laissent à penser que la seule façon de mieux maitriser l’aménagement commercial est de mettre la nouvelle Collectivité Unique, au cœur du processus décisionnel et programmatique.

Si nous voulons collectivement changer notre modèle de développement et que nous souhaitons que nos lieux de sociabilité et de convivialité ne se réduisent pas à des parkings et des grandes surfaces, alors nous devrons nous en donner les moyens. Il faudra que nous soyons capables citoyens, élus, porteurs de projets, architectes, urbanistes, économistes, opérateurs du secteur des transports et de la distribution, de proposer un modèle durable et en adéquation avec nos besoins réels et nos aspirations futures.

 

Centre commerciaux : un modèle en pleine crise internationale mais en plein essor en Corse, cherchez l’erreur

Les cartes ci-contre montrent que les zones commerciales autorisées sont plus importantes en Corse-du-Sud qu’en Haute-Corse, et même que deux communes de Corse-du-Sud, Purtivechju et Sàrrula è Carcupinu, cumulent à elles seules la totalité des m2 des zones commerciales ouvertes que toute la Haute- Corse. Ces éléments démontrent un manque de réflexion à l’échelle régionale, une impossibilité pour la puissance publique de réguler ou maitriser les demandes, et surtout une incapacité chronique à planifier à l’échelle régionale les lieux et l’ampleur du développement des zones commerciales.

 

Plaider pour que la Collectivité de Corse ne soit plus seulement un organe de consultation pour l’aménagement commercial

La création de la Collectivité Unique a, entre autres, pour objectif une simplification administrative et un meilleur traitement des missions à l’échelle régionale.

Pourtant, l’État n’a pas prévu dans les décrets de la Collectivité Unique que les Commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) deviennent une seule entité régionale.

Ceci est d’autant plus étonnant que, bien avant la création de la Collectivité Unique, il est apparu judicieux au législateur de faire en sorte que des commissions départementales deviennent territoriales. C’est le cas des anciennes CDCEA (Commissions départementales de consommation des espaces agricoles) qui sont devenues, après la loi d’avenir pour l’agriculture, une commission territoriale : la CTPENAF (Commission territoriale de préservation des espaces naturels agricoles et Forestiers) dont la présidence est assurée conjointement par le Préfet et le Président du Conseil Exécutif, alors que les commissions d’aménagement commercial ne sont présidées que par le Préfet.

 

Faire en sorte que la Collectivité Unique gère le dossier des zones commerciales à travers une seule Commission Territoriale est une priorité politique majeure

De plus, la composition de ces Commissions départementales d’aménagement commercial est à n’en pas douter, le principal point faible – ou point fort, selon le point de vue depuis lequel on se place- du processus décisionnel de l’aménagement commercial. En effet, comment expliquer par exemple qu’une personnalité qualifiée en paysagiste ait autant de poids, au moment du vote, que la Collectivité de Corse, l’intercommunalité ou la principale ville de la zone impactée par le projet ? Comment expliquer à la population que des projets voient le jour alors même que les principales collectivités en charge du développement auraient émis un avis défavorable ? La création d’une Commission Territoriale permettrait au Président de l’Exécutif de coprésider avec le Préfet cette Commission afin de donner sa juste place à la puissance publique territoriale.

Au-delà de la composition qui doit être revue, c’est le poids de la future Collectivité de Corse qui doit être renforcé, car celle-ci est la garante de l’intérêt général, a pour compétence l’aménagement du territoire et l’aménagement commercial, et a pour mission de faire appliquer et respecter son document de planification et de développement : le Padduc.

 

Revoir les critères d’autorisation des Commissions d’aménagement commercial via le Padduc

Aujourd’hui les critères utilisés par les CDAC pour autoriser les centres commerciaux sont les mêmes que sur le continent (article L752-6 du code du commerce). Ils demandent notamment à ce que les projets soient compatibles avec les Schémas de Cohérence Territoriale et/ou les Plan Locaux d’Urbanisme intercommunaux (documents de planification à l’échelle infrarégionale).

Or la Corse à la double particularité de n’être dotée d’aucun document intermédiaire de ce type (SCOT et PLUi) et, en revanche, d’être la seule région dotée d’un Padduc, document stratégique approuvé en 2015 dont les grandes orientations et les cartographies (notamment des Espaces Stratégiques Agricoles) devraient leur être opposables. Autrement dit, aucun projet de zones commerciales ne devrait pouvoir être autorisé sans être compatible avec les orientations du Padduc. Ce qui n’est bien évidemment pas le cas.

 

Renforcer la vigilance dans les communes sans document d’urbanisme ou non adaptés

Comme en témoigne le cas de Portivechju, qui bien qu’ayant eu son document d’urbanisme annulé depuis 2011, a vu environ 22300 m2 de surfaces commerciales autorisées entre 2011 et 2016. Il y a aussi le cas devenu emblématique de Sàrula è Carcupinu, dont on peut douter que la seule Carte Communale (document d’urbanisme simplifié utilisé généralement par des communes rurales sans développement urbain majeur) soit à la hauteur des enjeux. De ce fait, sans respect du document de planification régionale et en l’absence de documents d’urbanisme locaux en vigueur ou adaptés, les autorisations se multiplient jusqu’à atteindre 90% de taux d’avis favorable.

C’est donc dans ce flou législatif et normatif que se perpétue ce qui est presque devenu une tradition, à savoir autoriser quasi systématiquement les demandes d’ouvertures de zones commerciales en périphérie des centres urbains, sur des terres à fortes potentialités agricoles et/ou concentrées sur le littoral, et qui engendrent, de surcroit, d’importantes contraintes d’aménagement pour la circulation routière, une désertification des centres urbains et des difficultés pour le petit commerce qui y perdure.

 

Mettre urgemment tous les acteurs autour de la table

Au même titre que les métropoles de Lyon, Nantes ou Grenoble, la Collectivité de Corse pourrait se doter d’un document de cadrage : un Schéma Directeur d’Urbanisme Commercial, qui pose les principes du développement commercial si elle veut dépasser le simple stade de l’incantation. En associant les acteurs publics et parapublics (communes, aménageurs, chambres consulaires, etc.) ainsi que les acteurs privés (commerces indépendants, associations et fédérations professionnelles, enseignes commerciales, promoteurs immobiliers, investisseurs), ce document permettrait de :

 

– prévoir l’implantation et le développement des fonctions commerciales ;

 

– maitriser le rythme et l’intensité du développement des surfaces commerciales ;

 

– organiser les logiques d’évolution des différentes polarités commerciales.

 

Ce schéma facilitera le dialogue entre puissance publique et porteurs de projets, et permettra à la Corse de se doter de conditions claires et partagées pour la validation des projets.

Le cas de l’aménagement commercial démontre à quel point la Collectivité Unique n’est pas un aboutissement, mais une étape intermédiaire vers l’autonomie pleine et entière qui, elle seule, nous permettra de légiférer et de nous doter des instances les plus adaptées pour maitriser notre destin et construire pacifiquement l’avenir économique, social et culturel que nous aurons pleinement choisis dans l’intérêt du peuple corse.

Antonia Luciani.

1 Trackback / Pingback

  1. Stampa Corsa, informations corses – Comment limiter leur développement effréné ?

Les commentaires sont fermés.