Le 14 novembre dernier à Marseille s’est tenu un colloque important sur la « pollution des ports » à l’initiative des deux associations de qualité de l’air régionales AirPACA et Qualitair Corse. Plus de trois cents participants, tous les acteurs étaient présents, armateurs, associations de riverains, collectivités, gestionnaires des ports, industriels proposant des technologies nouvelles, etc. Une volonté s’est mise en mouvement.
Les zones ECA (Emission Control Area, Zone d’Émission Contrôlée) existent déjà dans plusieurs espaces de navigation maritime, en Europe (Mer Baltique, Manche et Mer du Nord), et aux USA/Canada, sur les deux côtes, Atlantique et Pacifique. Dans ces zones, les bateaux sont obligés d’utiliser un carburant beaucoup moins soufré. La Méditerranée, où croise une grande partie de la flotte mondiale, et dont les ports souffrent de graves pollutions, n’a t- elle pas vocation à devenir elle aussi zone ECA?
Tous les participants admettent que c’est indispensable, surtout au vu des résultats obtenus sur la côte ouest des Etats Unis, où, de 2006 à 2015, les pollutions par dioxydes de soufre ont été pour ainsi dire supprimées (-97 % à Los Angeles !). En effet, en zone ECA, les bateaux doivent changer le fioul utilisé, en utilisant un carburant à basse teneur en soufre. Mais les progrès effectués là bas vont bien plus loin. À Los Angeles, les pollutions par particules fines ont chuté de 85 % et celles par les oxydes d’azote de 51 % en dix ans, grâce à un plan général pour la qualité de l’Air : développement des bornes électriques à quai permettant d’arrêter les moteurs durant les escales, évolution vers une flotte GNL au gaz naturel, carburant qui élimine ou presque les rejets nocifs : pas de dioxyde de soufre, rejets NOx réduits de 85 %, rejets de particules fines quasi éliminés. Sans compter les suies que le fioul lourd génère en abondance, et qui, si elles ne sont pas considérées comme dangereuses pour la santé car elles ne pénètrent pas dans les poumons, empoisonnent la qualité de vie des populations riveraines des ports.
L’acceptation par les populations riveraines d’une activité portuaire au cœur de la ville exige que des progrès rapides soient faits. À Bastia ou Aiacciu comme à Marseille, Toulon ou Nice.
Toutes les possibilités ont été présentées à ce Colloque. Les mesures d’AirPACA et de Qualitair Corse ont montré que les ports étaient un facteur important d’émissions polluantes. Dans les zones portuaires, de 20 % (Marseille) à 35 % (Bastia) de la pollution mesurée vient des émissions des bateaux à quai, ou durant leurs manœuvres d’arrivée ou de départ. À quai, le changement de fioul n’est obligatoire qu’en cas d’escale supérieure à deux heures, ce qui fait que les lignes à rotations rapides comme à Bastia, où les bateaux se succèdent à quai pour embarquer et débarquer leurs passagers, rejettent en permanence des émissions soufrées.
Rendre obligatoire le passage au fioul léger à l’approche du port est très certainement la toute première mesure à prendre, même si, pour des raisons de sécurité, on la réserve aux jours où les conditions de dispersion sont faibles à cause de l’anticyclone, et donc la mer suffisamment calme pour réaliser la manœuvre sans risque. Avec le SO2, les suies diminueraient elles aussi de façon considérable, et la qualité de vie à proximité du port en sera grandement améliorée.
Pour que toute la Méditerranée devienne zone ECA, la négociation passe par l’Organisation Maritime Internationale. En Mer Baltique, en Mer du Nord et dans la Manche, tous les États riverains étaient européens, si bien que la décision a été plus facile à prendre, dans le contexte de pays nordiques qui sont à la pointe en ce domaine. En Méditerranée, il faudra convaincre les pays de la rive sud, et, tout aussi difficile, certains pays au sein de l’Union Européenne, Grèce, Malte ou Chypre, aux flottes très conséquentes et aux intérêts économiques considérables.
Mais une dynamique doit s’engager qui pourra trouver, au sein de la Commission des îles de la CRPM présidée par Gilles Simeoni, un cadre indispensable pour mettre d’accord tous les acteurs européens du dossier.
Mais la limitation des rejets soufrés et des suies ne suffira pas. Il faut s’attaquer aux rejets des NOx et des particules fines. Les moyens existent : passage des flottes au Gaz Naturel Liquéfié, réalisation de branchements électriques à quai pour que les navires puissent couper les moteurs durant l’escale. Le port de Marseille a réalisé un premier branchement de ce type avec la CMN pour la desserte des ports de Corse. Il faut généraliser cet équipement aussi dans les ports corses !
La compagnie CMA-CGM, leader du trafic maritime en Méditerranée et basée à Marseille, a décidé de renouveler sa flotte avec l’acquisition de six navires au GNL. Les lignes de la continuité territoriale Corse Continent veulent suivre cet exemple, et certains bateaux de croisière ont déjà franchi le pas. C’est bien sûr le chemin à suivre, même si le renouvellement général d’une flotte de milliers de navires croisant en Méditerranée prendra plusieurs années.
À Marseille, le colloque du 14 novembre a permis de réunir les acteurs et à les fédérer dans un projet de long terme. Une volonté politique s’est fait jour, avec la coopération de la Corse et PACA, et de leurs associations de qualité de l’air, comme fer de lance.
François Alfonsi
Président de Qualitair Corse