Le rapport qu’Arritti a publié sur la politique de tri des déchets en Sardaigne a « fait le buzz » : comment se peut-il qu’en Corse nous soyons tellement en retard par rapport à nos voisins sardes, qui, après huit années d’une politique sérieuse et suivie, trient désormais 59% de leurs déchets, en progression de 4% tous les ans. L’exemple sarde inspire désormais les politiques corses, et la conclusion principale est claire : la clef du succès est dans le tri des bio-déchets et leur compostage.
Prés de la moitié des déchets recyclés en Sardaigne sont en effet des bio-déchets, quand en Corse ils ne sont qu’une part encore très faible, à peine 3 % (1.000 tonnes), limités à la Balagne autour de Calvi.
Or, et le rapport le démontre par l’exemple, le tri et le compostage des «DCT-Déchets de Table et de Cuisine », l’appellation officielle des bio-déchets, est la plus simple des opérations de recyclage, avec, à la clef, la production d’un compost produit localement.
Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas en Corse, alors que des références existent comme le centre de compostage d’Aghjone, l’organisation de la collecte mis en place en Balagne et sur Ouest- Corse, ou encore le précédent mis en place il y douze années désormais à Ghjirulatu ?
Une part de l’explication tient à la législation européenne et française très restrictive et toute entière tournée vers le sanitaire absolu, selon cette logique aseptisée qui voudrait interdire la consommation de fromages au nom des risques sanitaires. Or ces risques sont infinitésimaux, tandis que le risque sanitaire et environnemental de la gestion actuelle de ces déchets est colossal.
Surtout si on mesure que dès cet été ils pourraient infester à nouveau les trottoirs de Bastia, Aiacciu ou Portivechju. Un décret ministériel paru le 14 avril dernier est venu enfin assouplir ce cadre réglementaire. Le compostage de proximité est désormais largement libéralisé, à partir du moment que son usage est « local ». Comme jamais personne n’avait pensé exporter du compost hors de Corse, la voie est enfin libre ! Et on mesure à travers cet exemple basique à quel point le pouvoir d’adaptation réglementaire permis par l’autonomie aurait été salutaire pour nous permettre de mettre en place, en temps et heure, une filière corse digne de ce nom.
Deuxième obstacle : l’inertie des communautés de communes et du Syvadec. Localiser un terrain pour accueillir la fabrication du compost à partir des DCTbio- déchets triés et des déchets verts revient évidemment à ceux qui ont la maîtrise des territoires et de leur aménagement, les Communautés de Communes. Mais la réalisation incombe au Syvadec à qui la compétence a été déléguée, à tel point que les Comcom se sont, à quelques rares exceptions (Sud Balagne, Ouest Corse, Valincu), désengagées du dossier. Si bien que la Balagne est obligée de livrer dans le Fium’Orbu, et Cargèse dans le Valincu, ce qui annihile toutes les bonnes volontés. Sans compter l’inertie des autorités de l’Etat, crispés sur les lois les plus strictement appliquées, et qui ont bloqué à l’envi les projets lancés comme à Carghjese.
Troisième obstacle : les conflits de compétence.
Un exemple très parlant oppose la Comcom du Cap Corse aux trois communes les plus excentrées de la côte ouest, Barrèttali, Mursiglia et Centuri. Les trois communes, broyeur à l’appui et très éloignées des autres communes, veulent passer à l’action immédiatement, mais la compétence appartient à la Communauté de Communes qui attend les résultats d’une « étude d’ensemble » qu’elle vient de lancer. Étude qui conclura à la nécessité d’un centre de compostage de proximité pour les communes les plus éloignées, le même projet que l’on bloque aujourd’hui alors que les communes veulent l’engager sans délai.
Or il y a urgence! Dès cet été, les centres d’enfouissement auront atteint leurs limites annuelles, et la crise du début mai, quinze jours durant lesquels les ordures se sont amoncelées sur les trottoirs, risque de revenir avant même la fin de la saison touristique.
Encourager ceux qui veulent aller de l’avant, et non le contraire : voilà ce qui a manqué depuis trois ans dans le dossier des bio-déchets. Il est plus que temps de mettre la vapeur !
François Alfonsi.