Abandon de Notre Dame des Landes

Un changement d’époque

L’abandon définitif du projet d’un « aéroport international » à Notre Dame des Landes en Bretagne est bien plus que la fin d’un feuilleton interminable opposant des « énarques aménageurs » à des « zadistes soixante-huitards ».

Plébiscité par l’opinion publique (à 76% selon les sondages), cette décision est le marqueur d’un renversement des valeurs entre béton et nature sur l’échelle des priorités de la société.

 

La fin du projet de Notre Dame des Landes aura pour notre époque le même retentissement que l’abandon du Larzac au début des années 80. Avant, l’oligarchie militaire avait tous les pouvoirs et quelques paysans sur un plateau au fin fond du monde rural ne pesaient rien dans le logiciel des décideurs, parmi lesquels les gradés militaires occupaient alors le haut du pavé, tel un État dans l’État. Mais l’acharnement des défenseurs du Larzac, et leur immense popularité partout en France, au point d’avoir été un apport substantiel à l’arrivée de François Mitterrand à la Présidence de la République, a fait reculer le pouvoir, et renversé l’échelle des valeurs entre la « toute puissance de l’armée » et l’attachement à l’environnement et à un pastoralisme traditionnel malmené par les temps modernes.

 

La décision sur Notre Dame des Landes sera de même nature. Elle signifie en effet que, désormais, préserver la nature et un espace agricole de bocage miraculeusement épargné des ravages de l’agriculture industrielle a plus de « valeur » que construire un nouveau temple pharaonique dédié à la divinité « croissance ».

Le fait majeur de cet épilogue est qu’il a été plébiscité par l’opinion publique. Le gouvernement a longtemps balancé entre la pression de sa « haute administration », sûre de sa logique et forte de l’appui de ses «élus locaux», et une résistance, jamais essoufflée depuis dix ans, qui, de manifestation en pétition, a exprimé le rejet, à travers ce énième « grand projet inutile », d’un modèle de développement vécu comme une fuite en avant ruineuse pour la société.

 

Au bout du compte, c’est certainement une balance financière autant que politique qui a dicté le choix de l’abandon.

Un nouveau « rapport d’experts » a mis en exergue l’alternative qui consiste à agrandir l’aéroport de Nantes existant, et montré que le projet jusqu’ici soutenu mordicus était inutilement surdimensionné.

Il faut dire que les « grands investissements inutiles » ont commencé à faire ressentir leurs ravages économiques sur des pans entiers de la vie économique, en France comme ailleurs en Europe.

Ça a commencé il y a bien longtemps avec le « paquebot France » armé à grands frais alors même que la trafic maritime des passagers entre l’Europe et les États Unis laissait définitivement la place au transport aérien. Suréquipement nucléaire, TGV développés sans compter au détriment du transport ferroviaire de proximité qui est essentiel au quotidien, et maintenant la ruine annoncée du Grand Paris qui, chaque année, s’annonce plus ruineux pour les « non- Parisiens », les citoyens-contribuables commencent à savoir ce qu’il en coûte de céder aux sirènes technocratiques des faiseurs de «grands aménagements » programmés par la raison d’État, ou par l’emballement d’egos avides de «grands projets ».

 

La Corse n’échappera pas elle aussi à de tels débats. Celui qui s’annonce à propos du port de Bastia relève du même processus d’arbitrage : faut-il suivre à prix d’or la course à la croissance en matière de fréquentation touristique à la pointe du mois d’août ?

Quelle est la balance entre un patrimoine environnemental de premier plan, l’herbier de posidonie le plus riche de Méditerranée, et un chantier aux millions de m3 de déblais qui vont le recouvrir ? Quels seront les coûts véritables, et la rentabilité réelle ?

La prudence a conduit les responsables actuels, à Bastia comme à la tête de la Collectivité de Corse, à diligenter des études complètes. Il est à souhaiter que ces études en cours ne feront pas l’impasse délibérée, comme cela avait été le cas à Notre Dame des Landes, sur les solutions alternatives moins coûteuses et moins impactantes.

Sans oublier, pour ceux qui auront à en décider, la nécessité d’être en phase avec une époque qui vient, à l’occasion de ce dossier emblématique de Notre Dame des Landes, de modifier en profondeur sa hiérarchie des valeurs entre projet d’aménagement et protection de l’environnement.

 

François Alfonsi.