Le procureur général près la Cour d’appel de Bastia dit clairement son analyse, sur ce thème, dans une interview à Corse Matin, le 21 Mars 2017.
Et il effectue une démonstration limpide, conforme au droit et que nul citoyen normal ne peut contester au plan des principes…
En effet, selon lui, toutes les démarches sont admises du moment qu’elles excluent la violence ; les litiges sont réglés par le débat, la médiation, et si nécessaire par le droit, dit par les tribunaux.
La Corse est, comme ailleurs en Méditerranée et dans de nombreuses régions du monde, une terre de violences, historiques, plongeant dans l’histoire ; la répression militaire et judiciaire a eu raison d’un banditisme préoccupant, au 19e siècle.
Depuis 1960, la Corse connaît des convulsions politiques qui ont généré plus de dix mille attentats, des destructions, des dizaines de morts ; la répression par la Cour de sûreté de l’État – une justice d’exception – a été sévère par les peines prononcées. Dans les années 1970, le substitut Pagès s’était illustré, à un procès d’assises à Nice, en affirmant que les Corses avaient un chromosome qui les poussait au crime. Ineptie scientifique et infamante. La révolte contemporaine, dès 1960, –depuis des siècles, les Corses luttent farouchement pour leur liberté – a été nourrie, avivée par la politique inacceptable de la France et du système claniste qui lui était inféodé ; l’état de droit a été transformé en serpillère, la présomption d’innocence a sombré ; le suffrage universel a été bafoué, la culture corse piétinée ; en un mot, la démocratie assassinée ; la corruption, la prévarication, le népotisme, la gabegie, les détournements de l’argent public, les règlements de comptes, ont accompagné le refus de reconnaître le peuple corse, son identité, ses droits légitimes sur sa terre. La révolte était inévitable et justifiée, comme dans toutes les colonies. Elle a pris des formes différentes ; d’une part, sous l’impulsion de l’Arc, partisan de l’autonomie, désormais généralisée en Europe, et la revendication légale, non-violente, à l’exception des boues rouges en 1973 et Aléria en 1975; d’autre part avec le FLNC, né en 1976, indépendantiste et utilisant la violence
clandestine.
Nous avons dû subir trois Statuts mineurs, affronté des décennies de luttes, livrés que nous étions, avec la complicité de l’État, au clanisme et à ses méfaits. Il a même utilisé ou laissé agir les polices parallèles de Francia qui, avec plus de soixante attentats, détruisait nos biens en toute impunité ; l’État a privilégié la lutte contre les nationalistes et a laissé le banditisme prospérer ; il suffit de consulter le bilan négatif, depuis 15 ans, du pôle économique et financier qui a été doté d’un procureur financier, il y a deux ans seulement !!! Le chiffre, majeur – la centaine – des assassinats impunis en Corse, depuis dix ans, donne le vertige et fait douter de l’état de droit et de l’efficacité de la police dans ce domaine particulier. La fable du mutisme de la population pour expliquer et justifier cette immense défaillance est ridicule, dérisoire.
La Corse a commencé, depuis trois ans, à reconquérir sa liberté, son identité, sa terre – en butte à la spéculation et à la spoliation- et sa démarche d’émancipation – en vertu du droit universel des peuples à disposer d’eux-mêmes- est irréversible, tant par le soutien des Corses de l’Ile et de la diaspora que par celui de nombreux peuples en Europe et dans le monde. Le peuple aspire ici à la démocratie, à la liberté, à la paix, à la fraternité, au développement, à la véritable justice et surtout à la dignité. Il aspire à la normalité, tout simplement.
Mes propos n’invalident pas la démarche actuelle du procureur général et ses affirmations, mais, sans le regard sur le passé et la contextualisation des violences multiformes que notre société subit, on pourrait craindre une interprétation erronée et injuste de la situation. Dans l’île, la justice civile, pénale, les tribunaux de commerce, les prud’hommes fonctionnent correctement ; la justice administrative, la chambre régionale des comptes qui agissent dans des domaines très souvent conflictuels, méritent des éloges et sont respectées par les Corses.
L’État, les Corses doivent, de concert, continuer à faire l’apprentissage d’un dialogue, serein, apaisé dont les fondements seraient la démocratie, le respect des intérêts raisonnables des parties et naturellement en premier lieu, ceux, légitimes, de notre peuple, sur sa terre. L’heure de la paix, de la réconciliation, de la justice a enfin sonné. _
Dr Edmond Simeoni
Sur son blog, le 22 mars 2017