Ce 10 décembre, François Alfonsi accueillait, en tant que directeur de publication d’Arritti, Jean Christophe Angelini et Gilles Simeoni pour un débat sur l’avenir de notre mouvement politique, 50 ans après la création d’Arritti, un an après l’élection du premier Conseil Exécutif nationaliste à la tête de la Collectivité Territoriale de Corse. Femu a Corsica, Unione di i naziunalisti, internationalisation, et même Arritti lui-même, le débat a abordé les questions que les militants, et les Corses en général, se posent. • Extraits à voir ici
G.Simeoni : […] C’est vrai que ce n’est pas tous les jours que l’on fête un demi-siècle. […] Être ici aujourd’hui, au terme d’un tel parcours, un demi-siècle à l’échelle de la vie d’une femme ou d’un homme c’est énorme, se retourner, et regarder tout ce qui a été fait, et pouvoir le faire en présence de ceux qui étaient là depuis le début, et je veux me tourner vers les plus anciens, […], vers mon oncle Max, et mon père Edmond, et vous dire vraiment à vous qui avez commencé, que pour commencer à ce moment-là il fallait avoir une part de folie. Tamanta strada ! Nous n’avons pas gagné, mais déjà, grâce à vous, nous n’avons pas perdu. Et cet hommage-là, je crois qu’aujourd’hui il fallait qu’on vous le rende.
JC.Angelini : […] il a fallu parfois chercher ailleurs l’exemplarité, l’énergie, la force, l’imagination qui parfois venait à manquer. […] Je me souviens quand Joxe Maria Munoa était venu lors de journées d’Arritti, je me souviens d’un débat à Cuntrastu ancienne version avec lui, nous étions tous les deux en plateau à l’époque où le courant dit modéré, n’avait aucun élu à l’Assemblée. On était en 2003. On venait de perdre le référendum. Aujourd’hui, nous en avons seize, la majorité territoriale en compte 24, et nous sommes neuf au Conseil Exécutif que préside Gilles Simeoni ! C’est dire en quelques années à peine le chemin qui a été accompli, et les espoirs qui ont été soulevés. […] Il y a dans cette salle beaucoup de militants. De tous mouvements, de tous horizons, et du courant politique de ce formidable outil d’émancipation nationale qu’est le journal Arritti. Arritti est à l’image de la lutte; il a traversé des vicissitudes. […] Ce qui s’est joué en décembre dernier, ce qui se joue un an après, aujourd’hui, c’est plus que l’avènement d’une période électorale, c’est plus que le début du cinquante et unième anniversaire du journal Arritti. C’est véritablement le début d’une nouvelle ère pour la Corse. […]
GS: […] Nous n’avons pas gagné. Nous avons gagné une élection, c’est une avancée, mais, par rapport au but qui est le nôtre, nous sommes encore loin du terme. Nous allons devoir construire une nation. Nous avons vocation à faire émerger une société corse émancipée dans les domaines économique, social et culturel, et le peuple décidera, y compris dans le domaine institutionnel ce que seront les formes de cette émancipation. Nous devons continuer à avoir cette capacité créative, cette capacité d’anticipation stratégique que nos anciens ont eue avant nous […]
FA: Aujourd’hui, au niveau de l’État français, les perspectives sont assez sombres. Il y a une élection présidentielle qui se profile. Il y a des débats qui ont envahi la télévision où même la question « régionaliste » n’a pas été évoquée une demi-seconde. Et on voit que ceux qui sont les mieux placés pour prendre les rênes de l’État, ceux avec qui demain les autorités corses vont discuter de l’avenir de la Corse, ont un degré de fermeture très prononcé. […] Alors comment est-ce que l’on aborde la situation telle qu’elle s’annonce dans les quelques mois qui viennent ? Comment faudra-t-il procéder au niveau du mouvement nationaliste en Corse ?
JCA: Il y a d’abord un contexte qui est global. Je ne déconnecte pas, quand bien même il y a des logiques et des mécanismes qui sont différents, le Brexit, l’élection de Trump, une droitisation très poussée des esprits en France et en Europe, la montée des populismes qui gangrène le débat démocratique, et d’autre part une espèce de fêlure qui aujourd’hui s’abat sur les revendications identitaires dans l’hexagone. Face à cela, il faut que l’on poursuive dans une double stratégie. La première c’est qu’il faut continuer à internationaliser. Il y a nos invités de marque, il y a les opportunités qui existent par le fait que l’on participe aujourd’hui à ce gouvernement, […] le département s’arrête ; on va véritablement vers une collectivité unique. Si nous sommes réélus dans un an, que nous ne le sommes plus à la majorité relative comme c’est aujourd’hui le cas, mais à la majorité absolue, quel que soit le gouvernement, et quel que soit l’État à ce moment-là, il lui faudra constater que nous sommes parvenus à rassembler, et que nous sommes là pour longtemps, sans les contre-pouvoirs historiques pétris de culture claniste que sont les départements, et avec une majorité qui n’est plus fragile et relative, mais solide et absolue. Qui que soit le futur Président de la République, le peuple corse, politiquement, sera une entité incontournable dans le débat public car à même de diriger une institution qui à défaut d’être autonome, on est très loin du compte, n’en est pas moins intéressante du point de vue de l’exercice démocratique. Il faut garder une double idée en tête. Nous avons besoin de conserver l’unité, l’union des nationalistes. Il y a des différences, il peut même y avoir des divergences de vue, mais chacun sait que si nous n’avions pas été rassemblés en décembre dernier, et si nous n’avions pas pris le temps de créer les conditions de cette union, nous n’aurions pas gagné. […] Donc conserver cette union, cette unité, c’est un fait capital. Deuxièmement, parce que nous sommes dans le cadre des Ghjurnate d’Arritti, et si Arritti est encore un peu le journal du PNC, il a vocation désormais à devenir le journal de Femu a Corsica. C’est une évidence. Il nous faut le plus logiquement du monde construire la démarche de Femu a Corsica et faire en sorte que ce qui a été un puissant mouvement électoral devienne un extraordinaire parti politique qui non seulement, et ce n’est pas sa fonction première, nous permette de conserver une majorité nationaliste aux responsabilités, et, plus largement, d’impliquer chaque militante, chaque militant et audelà chaque Corse dans la construction nationale. Et c’est ça qui est le plus important pour aujourd’hui et pour demain.
GS : Si on essaie de réfléchir à haute voix sur ce que peuvent être les chemins de l’avenir, […] je vois quatre éléments centraux dans la construction et la stratégie politique que nous devons mettre en œuvrer. Premier élément central : qui sommes-nous, et que voulons-nous ? On l’a dit tout à l’heure, le terme «modéré » ne nous plaît pas même s’il a été consacré par la pratique journalistique. Ce que nous sommes, cela a été exprimé par ce qu’a été le chemin des cinquante années qui sont passées. Et la fidélité à ce que nous sommes, elle est totale, elle est irréversible, nous sommes des démocrates, nous sommes des humanistes, nous sommes des citoyens du monde et nous sommes des patriotes corses parce que nous sommes de ce peuple, nous voulons que ce peuple vive, nous voulons que ce peuple soit reconnu dans ses droits, nous voulons que la société que nous allons construire soit une société de justice, de générosité, de solidarité, d’ouverture, de tolérance, et nous voulons que le peuple corse puisse participer à l’aventure humaine en Europe, en Méditerranée et dans le monde. Le deuxième point est qu’il y a des conditions politiques à remplir. La première condition politique, il faut faire l’union des forces qui se revendiquent du mouvement national. Ce doit être un objectif intangible parce que, s’il n’y a pas d’union entre les forces du mouvement national, il y a la place pour l’État pour diviser, pour opposer, pour différer. Donc le deuxième point c’est l’union, comme pratique, comme objectif, l’approfondir quand elle existe, l’élargir lorsqu’elle n’est pas encore complète. Le troisième point, il est essentiel et il nous a fait gagner en décembre, c’est la démocratie. La démocratie à la fois comme objectif et comme méthode. Ce qui a rendu possible l’union électorale, ce qui a rendu possible l’union politique, ce qui a rendu possible la victoire, c’est le fait que le FLNC ait décidé, librement, de sa propre initiative, de mettre un terme définitif à son action sur le terrain politico-militaire. Ça a été une condition nécessaire et déterminante à l’union […] La question du choix de l’action démocratique n’est pas une question uniquement morale ou éthique, elle n’est pas une critique de ceux qui ont fait le choix de l’action armée, elle est simplement le constat que dans la société corse d’aujourd’hui, dans le monde d’aujourd’hui, tel qu’il est y compris dans la donne géopolitique nouvelle avec les formes de terrorisme de plus en plus sanglant, toutes ces raisons font que nous ne sommes audibles par notre peuple que si nous démontrons que nous sommes profondément, définitivement, et irréversiblement des démocrates. Parce que l’émancipation du peuple corse est indissociable de la construction démocratique que nous voulons mettre en œuvre. Et le quatrième point c’est l’ouverture. Nous avons gagné électoralement parce que nous avons été chercher des Corses qui n’avaient jamais voté nationaliste. Et qui ont décidé de voter nationaliste parce qu’ils ont dit vous avez de bonnes idées, vous êtes des gens honnêtes, capables, il n’y a plus aujourd’hui de la violence clandestine, montrez-nous ce que vous êtes capables de faire. Et nous vous suivrons. J’arrive à la perspective que nous devons tracer, la nation, la nation basque, la nation catalane, la nation corse, ce ne sont pas seulement les nationalistes. La nation, elle transcende les appartenances, la nation, c’est un projet, la nation c’est une volonté, la nation c’est la traduction politique dans laquelle doivent pouvoir se reconnaître, en tous les cas on doit leur en donner la possibilité, toutes celles et tous ceux qui sont Corses, toutes celles et tous ceux qui se veulent Corses. Cette dimension d’ouverture, nous avons commencé à la décliner de façon tout à fait opérationnelle. Si nous ne l’avions pas pratiquée comme ça, non seulement nous n’aurions pas gagné les élections, à Bastia d’abord, au niveau de la Corse ensuite, mais nous n’aurions pas gagné des victoires essentielles [comme celle sur les Arrêtés Miot]. […] Nationalisme démocratie, ouverture, vision stratégique, peuple et nation. Les contours de notre outil politique nous sommes en train de les dessiner un peu à la façon d’un tableau impressionniste. Bien sûr ce doit être Femu a Corsica, […] nourri dès le départ de tout ce que les uns et les autres ensemble depuis cinquante ans nous avons apporté. La deuxième dimension de Femu a Corsica ce sont tous ces Corses qui n’ont pas partagé notre histoire collective qui n’étaient pas là il y a vingt ans, il y a dix ans, il y a six mois, mais qui nous ont fait confiance. Celles et ceux qui nous ont d’ores et déjà fait confiance et celles et ceux qui demain nous feront encore plus confiance. Ceux-là il faut aller les chercher, et il faut leur dire votre place est avec nous. Nous avons besoin de votre intelligence, nous avons besoin de votre savoir-faire, nous avons besoin de vos idées, de votre foi dans la Corse. Venez, l’outil est à vous autant qu’à nous. Et là, nous allons commencer à avancer. Le reste c’est de l’ingénierie et de la cuisine. Est-ce que cela prendra un mois, est-ce que cela en prendra six, ou huit mois ? Ce n’est pas le problème. Si aujourd’hui, ici, aux cinquante ans d’Arritti, nous sommes d’accord sur cette vision stratégique, si nous sommes d’accord pour dire que Femu a Corsica en 2010 a incarné l’espoir. Qu’entre 2010 et 2015 Femu a Corsica a incarné une certaine vision, et il a incarné aussi, avec d’autres, mais nous y avons pris plus que notre part, une opposition ferme définitive radicale et non négociable avec le système claniste et clientéliste. Rappelez-vous, lorsque nous le disions, lorsque nous le dénoncions, on nous disait d’un ton condescendant quel système ? Existe-t-il un système ? Est-ce que la suite nous a donné raison ou pas ? Nous avons la vision stratégique. Nous devons construire. Est-ce que Femu a Corsica seul suffira ? Non. Nous avons besoin de nos partenaires de Corsica Libera, et je salue le Président Jean Guy Talamoni. Comme je salue ici Gérard Dykstra du Rinnovu et d’autres militants nationalistes qui n’appartiennent ni à Femu A Corsica, ni à Corsica Libera. Nous devons faire vite. Je suis globalement content de ce que nous avons fait depuis un an, même si on peut toujours faire mieux. Mais il faut être lucide : les élus ne peuvent porter tout seuls le poids de la lutte. Cela ne suffit pas. Et si nous devions le faire, il manquerait une dimension essentielle au combat. Nous avons besoin d’un outil politique fort. Nous avons tous les ingrédients de cet outil devant nous et nous savons qu’il faut faire vite. Alors Femu a Corsica oui, Femu a Corsica ensemble à l’évidence, le plus vite et le mieux possible, nous l’avons décidé, ce sera nécessairement dans l’année à venir. La lutte, l’Assemblée, les mairies, le terrain, le syndicalisme, les choses sont claires. On a beaucoup de travail, nous sommes déterminés à le faire.
JCA : […] La vérité c’est que ce pays depuis qu’il est dirigé par des nationalistes, non seulement il ne se porte pas plus mal, mais nous avons la prétention de dire qu’il se porte un peu mieux. Pour autant faut-il que nous considérions parce que les premiers résultats sont là, que c’est la fin de l’Histoire ? C’est à peine le début. Et il y a un mot qu’il ne faut pas que nous perdions de vue, une stratégie qu’il ne faut jamais que nous abandonnions et qui éclaire le reste, le droit à l’autodétermination. Ça c’est la clef. La bonne gestion, certes, la maison de cristal bien sûr, mais ce pays, ce peuple et cette majorité actuelle n’auront atteint leur objectif que lorsque cette assemblée aura un pouvoir législatif, réglementaire, fiscal administratif, financier, qui formera une véritable autonomie. Nous considérons que nous sommes les héritiers d’un combat qui a commencé bien avant nous, qu’il continuera et il atteindra une phase historique quand le peuple corse sera reconnu et que sera reconnu son droit à l’autodétermination.
GS: Femu a Corsica doit être renforcé. Il doit devenir un parti ou un mouvement, c’est les militants qui en décideront, cela doit se faire rapidement, durant l’année 2017, selon une ingénierie à faire ensemble. Sur la vision politique je reviens sur quelque chose de très important : c’est l’ouverture, la nécessité aller au-devant de la société corse. Notre parti doit être innovant, capable d’intégrer des gens qui ne font pas forcément de la politique toute la journée, s’adresser aux jeunes, aux chômeurs, aux agriculteurs, etc.. Il faut garder cette vision stratégique et cet objectif qui est de construire notre nation. Mais il ne peut y avoir de long terme s’il n’y a pas de court et de moyen terme. Et les Corses nous ont aussi élus pour qu’on réponde à leurs problèmes du quotidien. Si nous ne sommes pas capables d’y répondre, ils se détourneront de nous, a fortiori dans un contexte de crise économique et sociale importante. Derrière la dépendance économique et sociale, il y a la dépendance politique. Ça ne peut être traité uniquement par la voie institutionnelle et les élus. D’où l’importance d’avoir des acteurs de terrain, et notamment un parti politique. On est passé d’une logique de résistance à une logique de prise de responsabilité. Nous avons besoin de former de nouveaux militants et il faut le faire vite, et pour cela nous avons besoin de Femu a Corsica. Les Corses nous font confiance mais nous ne devons pas surprendre leur confiance. Beaucoup de Corses qui nous ont votés, et qui nous ont fait gagner, ne partagent pas encore la totalité de nos convictions.
JCA: Il y a un sujet sur lequel on a tendance à jeter un voile pudique. Est-ce que l’on doit, notamment dans le cadre de Femu a Corsica, déterminer des choix de société ? En matière économique, en matière démographique, en matière fiscale, en matière culturelle, etc. En clair, et c’est un débat qu’ont connu tous les combats d’émancipation nationale : faut-il attendre que l’on s’émancipe fermement et durablement de la tutelle étatique pour ouvrir un débat sur le type de société que nous voulons, ou bien faut-il dès maintenant que l’on jette les bases du modèle de société vers lequel nous voulons tendre en disant précisément aux Corses dans tous domaines quelles sont nos grandes options. Je pense que ce débat, dès lors que l’on est aux responsabilités, on ne peut plus l’éluder. […] Il faut que l’on sache très clairement à quoi dorénavant on est en capacité de dire oui. Quel type de peuple corse? Quel type de société corse ? Est-ce qu’on est sur une vision progressiste, humaniste, ou sur une vision plus libérale, voire ultra-libérale ? Ce sont des débats dont je pense qu’il est temps que nous les ouvrions et qui vont conditionner pour une large part la suite des opérations. […]Moi je crois en une chose : les militants. Si ce combat mathématiquement perdu il y a cinquante ans est en passe d’être gagné, c’est parce qu’il y a des gens qui ont tout laissé. Quel que soit le choix, qui pour ce qui me regarde tend davantage vers un parti que vers un mouvement, mais le débat est ouvert, on est loin de l’avoir épuisé. J’insiste sur ce point un débat clair sur les choix de société de la nation corse et un parti qui consacre le choix militant comme engagement premier.
FA: Arritti a déjà eu à insister sur l’intérêt d’accélérer le cours des choses pour que le peuple corse ait face à lui des structures politiques lisibles. Aujourd’hui la lisibilité n’est plus celle du PNC c’est celle de Femu a Corsica. Je retiens qu’Arritti sera désormais le journal de Femu a Corsica et que les choses vont aller vite et de l’avant. Il est important de donner des perspectives, des calendriers pour que les militants se rassemblent et se retrouvent dans un lieu où ils seront plus productifs.
GS : Nous avons beaucoup de travail. On doit maintenir la culture de résistance et passer à une culture de gouvernement. Nous avons besoin pour cela d’un parti de gouvernement. Et ce parti de gouvernement ce doit être Femu a Corsica. Il faut partir avec les idées claires : nous allons être requis par beaucoup de chantiers mais un chantier prioritaire sera de construire cet outil à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui et de demain.