Un internaute me faisait part, sur un réseau social et sur un ton désabusé, de l’incompatibilité de ces deux termes ; si cette interprétation se vérifiait, cela signifierait que la politique n’avait eu et n’aurait jamais aucun support moral, civique. Alors, il faudrait craindre le pire ; raison de plus pour se préoccuper de cette problématique dans le monde – naturellement en Corse aussi – et pour la traiter.
Il est vrai que la corruption est inhérente aux sociétés humaines depuis l’Antiquité et qu’on la retrouve à toutes les époques, sous toutes les latitudes, dans toutes les communautés, les organisations, les cités… Elle précède, accompagne, enracine l’accession aux responsabilités politiques ou à des postes éminents de la décision où la tentation est grande d’utiliser cette arme terrible, enrichie de la prévarication, du népotisme, des passe-droits, de la fraude, de l’injustice, de tout le terreau funeste de l’a-démocratie. Ainsi, sont assurés la perpétuation des dynasties, des systèmes dominants et le flot croissant des enrichissements exponentiels, inacceptables et sans justification, de manière pérenne.
L’Europe et le monde connaissent une vague évidente, non pas de moralité mais d’exigence d’honnêteté, de transparence, d’efficacité.
Transparency International – The Global Anti- Corruption Coalition note une amélioration de la situation globale et classe, en janvier 2016, 176 Pays ; le Danemark et la Nouvelle-Zélande, ex-aequo, brillent par leur leadership dans l’excellence de la probité publique tandis que la France y occupe une vingt troisième place peu reluisante.
L’Union Européenne connaît, elle aussi, une vague de populisme alimentée par l’inconduite morale et l’inefficacité des partis et responsables politiques : l’Italie, l’Autriche, la Hongrie et tant d’autres Pays en attestent quotidiennement. La Roumanie qui a le souvenir funeste du dictateur Ceausescu se mobilise massivement et contraint l’État au recul, lui qui voulait alléger les sanctions contre les corrompus, pour protéger ses amis.
La France traverse elle aussi une crise, profonde, révélée et aggravée par l’échéance présidentielle, une crise préoccupante où la confiance s’est totalement délitée ; le soupçon est partout et les révélations sulfureuses sont quotidiennes, déstabilisantes et consternantes, créant un climat de désespérance du peuple. Sans issue crédible perceptible.
La Corse connaît une situation spécifique, ici encore. L’île a vécu jusqu’en 1950 dans une société autarcique, avec peu d’argent et beaucoup de troc ; la monnaie d’échange des élus avec les électeurs était surtout représentée par de maigres avantages partisans, par l’importance des retraites, les abus des pensions et surtout par la fourniture d’emplois – en abondance – dans la fonction publique métropolitaine et coloniale, garantissant les suffrages de celles et ceux qui étaient restés dans l’île. L’État régulait cette démocratie bancale, avec des fraudes électorales artisanales institutionnalisées.
La perte de l’Algérie a généré en France, des flux financiers importants (prêts, investissements, échanges…) ; les Trente Glorieuses de 1970 à 2000 – ont avivé l’économie et suscité un important essor du secteur des Bâtiments et des Travaux publics. La manne financière a fait croître les appétits, démultiplié les fraudes électorales pour conquérir ou garder les lieux de pouvoir et installer durablement, à travers les dynasties clanistes, la mainmise sur la vie publique ; l’ensemble sur un fond de corruption généralisée et impunie. L’État a été complice car le soutien aux féodalités assurait, par la courroie de transmission claniste, la domination de ses propres intérêts au détriment de ceux du peuple corse. Et surtout, elle servait de bouclier pour endiguer la contestation autonomiste, vigoureuse, agressive, née dans les années 60.
Le relais de la corruption a été pris par l’argent de la spéculation touristique ou l’État a été défaillant dans la politique de l’urbanisme et aussi dans la surveillance et la répression de l’argent douteux. La somnolence du Pôle Financier de Bastia pendant près de deux décennies est édifiante. Pourquoi n’a-t-il jamais présenté son bilan de 1999 à 2010? Tout simplement parce qu’il était inexistant et attestait de sa faiblesse coupable dans ce domaine sensible politiquement.
Pourtant, la Corse entière exigeait la transparence dans ce domaine et la Chambre Régionale des Comptes avait rempli, avec une grande qualité, la mission qui lui était impartie. Aujourd’hui, et depuis 18 mois seulement, cette Institution fonctionne normalement.
Ce couple infernal (Etat-Clan) a maintenu sa tutelle jusqu’en 2010, par la répression, des mesures dilatoires des 3 statuts à répétition, des saupoudrages ; mais la citadelle claniste de Bastia a cédé en 2014 puis celle de la CTC en Décembre 2015, sous la pression démocratique des autonomistes, des nationalistes et des autres forces de progrès où les écologistes ont joué un rôle majeur ; bouleversant ainsi la carte politique de l’île dont le chemin vers la liberté est désormais entrouvert.
La Corse n’est pas restée indifférente à cette problématique ; Anticor est une association fondée en juin 2002 par Éric Halphen et Séverine Tessier – animée en Corse par Vincent Carlotti notamment –, pour lutter contre la corruption et rétablir l’éthique en politique.
Son ambition est de réhabiliter le rapport de confiance qui doit exister entre les citoyens et leurs représentants, politiques et administratifs.
Chacun sait que l’éthique, le respect de la démocratie, la primauté de l’intérêt général ont joué un rôle déterminant dans notre accession aux responsabilités et occuperont une place centrale dans la prolongation éventuelle du contrat avec notre peuple.
À l’Arc, nous avions compris dès le début de la lutte, en 1967, que le couple « Etat-Clan» était redoutable; nous avions analysé ses mécanismes de domination sur la société insulaire ; nous savions que le pilier de l’aliénation coloniale était l’absence de démocratie, assise sur la fraude électorale, la corruption financière et civique. Nous avons mené une lutte intransigeante et continue contre ces fléaux et n’avons jamais accepté, ni dans la société ni dans nos rangs, la moindre entorse à cette ligne de conduite, même s’il a fallu sanctionner de rares fois, sans états d’âme, des errements minimes ; car nous savions et nous savons encore plus aujourd’hui que la survie et la liberté du peuple corse, la création d’un Pays moderne ne peuvent passer que, notamment par l’assainissement démocratique, une probité publique irréprochable, une transparence certaine, une gestion rigoureuse, une société plus juste.
C’est un aspect vital de notre lutte car l’absence de démocratie ne peut qu’ouvrir la porte à une émancipation de pacotille, à une économie frelatée générant un tissu économique perverti, à la mafiosisation de la société. Il n’y aura aucun compromis ; car il vaut mieux perdre un pouvoir qui serait conservé de manière douteuse, donc inefficace et fragile, que renoncer à la démocratie et à l’éthique qui sont et resteront les principales garanties de l’avenir de notre peuple et de notre Pays.
Dr Edmond Simeoni
Aiacciu u 6 di Ferraghju 2017