Ce 26 janvier 2020, Gilles Simeoni, en présence du lehendakari (président du gouvernement basque), Iñigo Urkullu, a reçu le prix Sabino Arana. Un moment d’intense émotion.
Ce 26 janvier 2020, Gilles Simeoni, en présence du lehendakari (président du gouvernement basque), Iñigo Urkullu, a reçu le prix Sabino Arana. Un moment d’intense émotion. Durant tant d’années, la lutte du peuple basque a été, et reste, une référence pour le mouvement national corse. Nos regards se sont tournés avec admiration vers ces deux nations en Espagne, que sont la Catalogne et Euskadi. Leur combat contre la dictature franquiste, leur soif de liberté, leurs souffrances, leur foi en l’avenir, leurs choix démocratiques, ont été et restent un exemple pour nos luttes. Voir aujourd’hui la Corse honorée par le peuple basque, être elle aussi une nation qu’on regarde et qui inspire, c’est une profonde fierté, et c’est aussi là que l’on mesure l’extraordinaire progrès du combat de ces 50 dernières années. Sabino Arana Goiri est le fondateur du nationalisme basque. Né au début du XIXe siècle, en 1865. Poète, amoureux de la langue basque, il est un penseur éclairé de son temps pour le peuple basque dont il défend la dimension culturelle et sociale historique. De là à bâtir sa dimension politique, il n’y a qu’un pas. Sabino Arana va développer un discours autour du concept de nation basque et travaillera toute sa vie à ce « riacquistu » identitaire. Il invente les expressions abertzale (patriote basque) et Euskadi (nation basque), il crée et popularise l’ikuriña (le drapeau basque), redonne place à l’euskara (la langue basque). Il développe l’idée d’indépendance pour la nation basque, lui donne une ossature même, à travers des initiatives pour organiser la société basque au niveau économique, culturel, social. Il fonde ainsi le Parti Nationaliste Basque (EAJ-PNV) en 1895, ce qui en fait aujourd’hui le plus vieux parti politique nationaliste d’Europe. Mais en développant l’idée de souveraineté basque, il est de plus en plus un danger pour l’Espagne et l’intelligentsia castillane. Il est emprisonné à plusieurs reprises et tombe malade en prison. Il meurt très jeune en 1903 à l’âge de 38 ans. Avec sa mort, le mythe s’ancre définitivement et le peuple basque qui a retrouvé sa fierté, poursuit sa lutte.
La Fondation Sabino Arana est créée en 1986 avec pour projet la préservation de la mémoire nationale basque, l’oeuvre de Sabino Arana et la longue lutte du peuple basque au travers de l’histoire. Chaque année, devant l’ensemble des dignitaires de la nation basque, président du gouvernement, du parlement et ministres, la Fondation décerne un prix à des personnalités ou des organismes internationaux qui se sont illustrés au service de l’intérêt général, et de la cause des droits de l’homme et des peuples. Ainsi ont été salués par le passé le travail à la résolution des conflits à travers le monde, par le prix remis à la Communauté Sant’Egidio, ainsi aussi a été salué le processus de paix irlandais, à travers Alec Reid, prêtre catholique irlandais qui a joué un rôle important en faveur de la paix, ou encore la cause de l’indépendance de manière démocratique, à travers le prix remis au premier ministre écossais Alex Salmond. La fondation a souhaité cette année « récompenser Gilles Simeoni, Président du Conseil Exécutif de Corse, la plus haute instance de gouvernement de ce territoire qui aspire à une plus grande autonomie politique et institutionnelle à l’égard de l’État français », parce qu’il « représente la voie exclusivement démocratique et non-violente dans la lutte pour la reconnaissance de l’identité nationale corse et l’approfondissement de son autonomie et des outils pour le bien-être et le développement politique, socioéconomique et culturel de la Corse ; aspirations avec lesquelles le peuple basque se sent pleinement identifié ». «Homme de consensus et symbole d’un nationalisme ouvert et solidaire, Gilles Simeoni représente aujourd’hui les aspirations et le combat de tout le peuple corse ». Ce prix nous honore donc collectivement et il est une fierté pour l’ensemble du nationalisme corse aujourd’hui aux responsabilités.
«C’est avec une immense émotion que je m’exprime aujourd’hui devant vous » a dit Gilles Simeoni devant un parterre de plus de 1200 personnes. Remerciant pour la chaleur de l’accueil qu’il a reçu, il a souligné « la force des liens qui unissent le peuple corse et le peuple basque ». Se déclarant « fier et heureux » d’être distingué par une Fondation si prestigieuse, «qui incarne la volonté indomptable du peuple basque de conserver et de transmettre vivante et ardente la mémoire de sa lutte », il a souligné l’importance de l’action menée qui donne encore plus de relief à ce prix. « Le Pays Basque, comme je l’espère la Corse et d’autres nations sans État, contribue à la marche d’une société globale, vers une Europe et un monde plus justes, plus solidaires, plus fraternels, qui démontre que le combat que vous avez mené, que nous avons mené pour la reconnaissance de nos peuples et de leurs droits est indissociable des valeurs universelles d’humanisme, de démocratie, de justice sociale et d’ouverture » a dit encore le président du Conseil Exécutif de Corse, appelant Corses et Basques à être « des artisans inlassables de la paix ». Soulignant l’importance du modèle basque pour construire une « société inclusive » à partir de l’attachement à sa langue, inspiré de ces expériences, il a livré des souvenirs personnels, lorsque son père, Edmond Simeoni, lui avait fait découvrir le combat basque et lui promettait qu’il connaîtrait les mêmes évolutions démocratiques et de construction d’une nation corse apaisée, tant il était confiant en l’avenir du peuple corse. « En ce moment d’émotion inégalée je pense à ces dizaines de milliers de femmes et d’hommes qui en Corse, et en Euskadi, depuis des décennies, se sont battus quelquefois au prix de leur liberté ou de leur vie pour obtenir que leur peuple soit reconnu… ce sont ces femmes et ces hommes qui sont les véritables lauréats du prix que vous me faites l’honneur de me remettre. Et c’est donc en leur nom que je le reçois avec beaucoup d’humilité mais aussi avec beaucoup de joie. » a conclu le président du Conseil Exécutif de Corse.
Fabiana Giovannini.