Le 5 mai 1992 s’effondrait la tribune provisoire érigée à la hâte au stade Armand Cesari de Furiani, avant le coup d’envoi de la rencontre de demi-finale de Coupe de France qui devait opposer l’Olympique de Marseille au Sporting Etoile Club de Bastia. 19 morts, 2357 blessés, des handicaps très lourds. Naissait alors un Collectif de victimes pour réclamer justice. 20 ans plus tard, en 2011, ce sont les enfants de victimes qui relançaient le combat pour la reconnaissance d’un drame national, résumé depuis sous le slogan « Pas de match le 5 mai ».
Sa présidente Josepha Guidicelli répond aux questions d’Arritti.
27 ans plus tard, des engagements jamais vraiment tenus par Paris?
Au lendemain de la tragédie, François Mitterrand, alors Président de la République, qualifiait ce drame de national et assurait, en visitant des victimes à Bastia, qu’on ne jouerait plus au football en France un 5 mai. Ces déclarations sont vite oubliées. On jouera, par exemple, la finale de la Coupe de la Ligue remportée par l’Olympique Lyonnais face à Monaco le 5 mai 2001 et le 5 mai 2010, dans le cadre du Championnat de France, l’Olympique de Marseille est consacré Champion de France.
Comment nait le Collectif?
Le Collectif a été créé par ma mère, Vanina Guidicelli au lendemain de la catastrophe de Furiani afin que justice soit rendue et que les responsabilités de l’ensemble des acteurs – nationaux et régionaux, publics et privés – de la tragédie soient reconnues. Un procès au verdict pour le moins clément s’est tenu, des failles et des responsables de ce drame jamais vraiment reconnus et punis.
En 2011, le Collectif est relancé par moi-même et ma soeur Lauda, avec l’aide d’autres victimes ou enfants de victimes.
Une pétition en ligne est lancée demandant que plus aucun match de football ne soit joué un 5 mai en France. Plus de 10.000 signatures sont recueillies en une semaine auprès de sportifs, politiques, journalistes… un soutien populaire incontestable.
Que réclame le Collectif des victimes ?
Face à cette pression, à l’occasion des 20 ans de la tragédie, les instances du football français ont annulé toutes les rencontres qui devaient se disputer le 5 mai 2012. Une première victoire mais pas une sanctuarisation. Un Comité de suivi regroupant de nombreux acteurs est alors mis en place à l’initiative de Noël Le Graet, président de la Fédération Française de Football.
Le Collectif lui réclame :
– la pérennisation des mesures prises pour la commémoration des 20 ans : aucune rencontre de compétitions nationales officielles les 5 mai, soit seulement une dizaine de dates pour les 40 ans à venir.
– la création d’une journée nationale de sensibilisation des jeunes aux valeurs du sport et du football en particulier.
Que répond la Commission ?
Dans les faits, elle acte, contre l’avis du Collectif, qu’il n’y aurait plus aucune finale de coupe le 5 mai et que seuls les clubs corses ne disputeraient plus de match de football, ce qui est déjà le cas depuis 1993. Pour la FFF il ne s’agit donc plus d’un drame national. La suite se joue sur le terrain politique : proposition de loi en 2012, motion du conseil municipal de Bastia en 2014, rencontres avec les ministres successifs en charge des sports. Une qualité d’écoute mais pas de réelle prise en considération de ce qui est pourtant un problème public.
Pourtant, des engagements sont pris en 2016 ?
C’est avec Thierry Braillard qu’un nouveau pas est franchi. Il fait revenir la FFF sur des décisions prises par la Ligue Professionnelle de Football :
– le 5 mai, on rendra hommage aux victimes lorsqu’il y aura des rencontres et lorsque le 5 mai sera un samedi, aucun match ne sera organisé au niveau des compétitions nationales professionnelles et amateurs.
– le 10 mars 2016, la reconnaissance nationale est officialisée avec l’apposition d’une plaque commémorative dans les locaux du Secrétariat d’État aux Sports.
– le 5 mai 2016, pour la première fois depuis le drame, l’État (Thierry Braillard), la FFF (Noël Le Graet) et la LFP (Didier Quillot) sont présents aux commémorations de Furiani.
– en décembre 2016, la LFP adopte son calendrier pour la saison 2017-2018.
Aucun match n’est programmé le samedi 5 mai 2018. La finale de la Coupe de France est décalée au 8 mai.
Pourquoi « sanctuariser » le 5 mai ?
Pour se souvenir, responsabiliser, sensibiliser, éduquer, échanger, transmettre, réfléchir, analyser et surtout, ne pas se replier sur soi.
Depuis 2011, et plus particulièrement à compter de 2013, le Collectif n’a cessé d’affirmer que la sanctuarisation du 5 mai n’était pas un problème corso-corse, mais bien une question nationale. C’est la raison pour laquelle la position du Collectif ne consiste pas en la seule absence de match de football, mais bien dans la mise à profit d’une sanctuarisation du 5 mai pour développer, à l’échelle du territoire national, des actions d’éducation, de sensibilisation, de transmission, de réflexion et d’analyse sur les valeurs et sur les dérives du sport en général et du football en particulier.
Qu’est-il prévu ce 5 mai 2019 ?
D’abord le recueillement le 5 mai, avec à 16h le dépôt de gerbes à la stèle de Furiani et à 18h la messe en la Cathédrale Sainte-Marie de Bastia.
Le 4 mai, une journée d’étude se tiendra à Bastia dans les locaux de la Collectivité de Corse à compter de 10h. Elle ouvrira les animations d’une opération côté stade le dimanche 5 mai au stade Santos Manfredi à Corti.
Après avoir envisagée la question des catastrophes lors de la première édition, avec l’idée qu’il s’agissait bien d’un problème public à traiter d’un point de vue national, voire international, le fil conducteur de cette nouvelle journée d’étude questionne le supportérisme. Il s’agit d’un autre problème public, trop souvent réduit à des clichés. Nous voulons contribuer à une prise de recul sur un sujet qui fait souvent controverses dans la société.
Sous quel angle aborderez-vous ce débat ?
Sébastien Louis, professeur d’Histoire, Géographie et Sociologie à l’Ecole européenne de Strasbourg, spécialiste des Ultras, interviendra sur le thème des « Catastrophes lors des matchs de football en Europe : quel travail de mémoire des Collectifs de supporters ? ».
Didier Rey, professeur des universités, esquissera une histoire du supporterisme en Corse.
Lauda Guidicelli, psychologue et Ludovic Martel, maître de conférence, sociologue à l’Université de Corse, proposeront une approche croisée sur les figures de supporters « entre identité individuelle et phénomènes de groupe ».
Enfin, Christophe Laurent, journaliste à Corse Matin animera une table ronde en présence de deux représentants de l’Association Nationale des Supporters, Michael Tommasi et James Rophe. Sans tabou, le point de vue des acteurs sera au rendez-vous pour traiter de sujets qui font le quotidien des supporters.
En clôture, Lauda présentera l’action #PasDeMatchLe5Mai retenue par la Fondaction du Football.
Que pensez-vous des propos de la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, qui n’a pas d’avis sur la tenue ou pas de matchs de football le 5 mai ?
C’est tout simplement honteux. La tragédie de Furiani est la plus grande catastrophe que le sport français ait connue. Ce 5 mai, sur décision de la LFP, des rencontres de Ligue 1, dont certaines à enjeux de titre ou de qualification pour la Champions League se joueront en France… Force est de constater que, 27 ans après, le combat est loin d’être gagné face à des autorités sportives et un Gouvernement qui continuent, pour les uns, à faire la sourde oreille, pour les autres, à nous prouver leur profonde méconnaissance du sujet. Le Collectif continuera à se battre pour obtenir le gel des matchs de football le 5 mai afin que soient respectées les victimes de la catastrophe de Furiani.
Contacts : collectif5mai92@gmail.com