Gilles Simeoni était l’invité de la Matinale de France Bleue Frequenza Mora le 8 février, interrogé par Marion Galland. Extraits de ses premières réactions après le discours de Bastia d’Emmanuel Macron.
On vous a vu déçu, très en colère à l’issue du discours d’Emmanuel Macron, vous parlez d’occasion manquée ?
Certainement une occasion manquée, il faudra travailler pour qu’une autre se présente le plus vite possible et c’est ce que nous allons faire, mais avant même de parler du fond, ce qui m’a frappé, ce qui je crois a frappé beaucoup de Corses pendant ces deux jours c’est l’extraordinaire violence symbolique de certains mots, de certains comportements.
Certains mots, notamment lors du premier jour avec la phrase «ça ne se plaide pas » qui a heurté l’ensemble des avocats de France. Ou même certains comportements, je voudrais simplement rappeler par exemple, alors même que j’avais tenu à être présent à cette cérémonie pour des raisons symboliques et politiques fortes, on a voulu à toutes forces du côté du protocole me mettre au deuxième rang.
Je n’ai pas voulu, parce que j’ai considéré que la place du président du Conseil Exécutif vu les circonstances était au premier rang. Et puis il y a eu aussi cette affaire de fouille au corps alors même que nous avons expliqué très tranquillement, très poliment, que nous étions des élus. J’ai expliqué que j’étais le Président du Conseil Exécutif de Corse, j’ai justifié de mon identité. On a considéré qu’il fallait me fouiller. Dont acte. On l’a fait. Puis on est allé écouter le Président de la République parce que nous-mêmes nous respectons les gens, les fonctions et les protocoles.
Sur le fond, il y a effectivement une occasion manquée, même si certains points sont constitutifs non pas d’ouverture, mais de champs de travail. Je pense notamment à la révision de la Constitution.
C’est un discours qui aurait pu être fait devant n’importe quelle mandature. On a bien senti la volonté du président de la République de parler aux Corses et non pas aux nationalistes corses ?
Je crois que malheureusement le Président de la République n’a parlé ni aux nationalistes, ni à l’ensemble des Corses. En tous cas, je crois vraiment qu’il n’a pas dit ce qu’une grande majorité de Corses avaient envie d’entendre et espéré entendre en termes de perspectives politiques, de reconnaissance et également de voie de travail à explorer ensemble. Maintenant, nous restons dans le même état d’esprit. La paix, essentielle. Le dialogue, indispensable.
La détermination. Donc la stratégie des trois D, dialogue, démocratie, détermination. Il faut travailler sur cette révision, et sur tous les chantiers du quotidien parce qu’encore une fois on ne peut pas dissocier les uns des autres, l’économie, le social, travailler avec les forces vives, être aux côtés des gens qui souffrent, renforcer les transports, améliorer l’éducation et la formation, être aux côtés des populations et des communes de montagne et de l’intérieur, on va continuer à faire tout cela, avec toujours le même engagement et la même foi.
Sur cette porte ouverte de la refonte de l’article 72 de la Constitution, qu’allez vous proposer ?
L’article 72, c’est la révision de droit commun. Ce que le Président de la République a acté expressément hier, c’est l’inscription de façon spécifique d’une mention concernant la Corse dans la Constitution, mais ça ne suffit pas en soi. Où va-t-on inscrire cette mention spécifique ? Si c’est dans l’article 72, 73, à notre avis, c’est insuffisant. Si c’est dans l’article 74, ça permet bien évidemment de garder la Corse dans la République – ce qui est l’inquiétude majeure manifestée par un certain nombre et ce qui est la ligne rouge fixée par le Président de la République, mais en même temps ça permet d’avoir des politiques spécifiques, des transferts de compétences législatives, par exemple, et c’est l’article 74 déjà qui le dit, dans le domaine linguistique, dans le domaine foncier, dans le domaine fiscal, dans le domaine de l’emploi.
Mais Emmanuel Macron n’a pas parlé de l’article 74 ?
C’est vrai il ne l’a pas cité, et c’est une faiblesse supplémentaire du discours à notre avis, mais en même temps il a dit qu’il était ouvert et qu’il était prêt à se laisser convaincre. Reste à savoir si c’est une offre, non pas de Picard, mais de Gascon. Si véritablement le Président de la République est prêt à se laisser convaincre, nous allons réunir les arguments qui le convaincront et nous n’allons pas le faire seuls. Nous allons le faire avec le groupe de Jean Charles Orsucci qui est sur la même position et avec les forces économiques, sociales et politiques qui partageront notre analyse.
Je voudrais dire aussi, puisqu’on parle de démocratie, et c’est essentiel, qu’au-delà des attitudes méprisantes, vexatoires et inutilement blessantes, il y a un véritable problème de démocratie.
Parce que Macron a dit, non pas seulement aux 56% de Corses qui ont voté pour nous, il a également dit non aux 14% qui ont voté pour Jean Charles Orsucci, puisque nous avons voté ensemble une résolution vendredi à l’Assemblée de Corse. Si avec 70% du corps électoral on n’arrive pas à avancer, je me demande si l’on est encore en démocratie.
Sur la fiscalité, le Président vous dit pourquoi pas, mais si des fiscalités sont transférées au niveau local, il y aura moins de dotations d’État, est-ce que vous êtes prêts à dire à Emmanuel Macron « banco » ?
Oui, c’est exactement ce que nous avons dit et c’est en cela aussi que j’ai souligné, comme beaucoup d’observateurs, le caractère au mieux paternaliste, quelquefois carrément néocolonial de certaines déclarations. Lorsqu’on vient nous dire, consommez mieux les crédits européens, il faut que les Corses sachent que lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités le taux de consommation était de 4% et que grâce notamment à l’action de Nanette Maupertuis, il est aujourd’hui de 40%. Lorsque le président de la République nous parle d’un « projet méditerranéen », les Corses savent que depuis que nous sommes arrivés aux responsabilités, nous avons passé un pacte stratégique avec la Sardaigne, avec les Baléares, que nous travaillons avec la Toscane et que l’Université de Corse, par exemple, a des dizaines de partenariats avec les universités méditerra paternanéennes.
Dernier mot, il y a un phénomène de recentralisation qui est absolument insupportable. Entendre dire que le projet méditerranéen de la Corse va être défini et piloté par le préfet, on se croirait revenu à 1957, ou au mieux à 1972 avec la Datar qui prévoyait un plan d’aménagement de la Corse, contre les Corses et sans les Corses.
Votre base, elle aussi est déçue, les syndicats étudiants appellent notamment au blocage de l’université. Comment allez-vous faire pour contenir cette base ?
Il ne s’agit pas de contenir la base, il s’agit de réunir toutes celles et tous ceux qui n’acceptent pas le refus du fait démocratique, et toutes celles et tous ceux qui veulent construire pour la Corse, dans le respect de la démocratie et du pluralisme, un chemin qui soit celui de l’émancipation. Une émancipation raisonnée, qui place les intérêts collectifs de ce peuple au coeur de la démarche. La volonté de défendre l’intérêt général au coeur de nos choix. C’est ce que nous allons faire de façon apaisée mais déterminée. Le peuple corse est vivant, il est debout et il a droit à la vie.