Le film de Thierry de Peretti a fait, malgré sa sortie au cœur du mois d’août, l’objet d’une abondante revue de presse. Il n’a laissé personne indifférent, eu égard à la force de l’Histoire dont il fait le récit, et eu égard aussi à l’exceptionnelle qualité de l’œuvre cinématographique.
Le spectateur sort de la salle obscure avec une certitude : il n’est pas près d’oublier le film qu’il vient de découvrir ! Le choc est là, perceptible sur tous les visages, et exprimé dans toutes les critiques de presse. Le talent du réalisateur y est bien sûr pour beaucoup. Il faut y ajouter le talent des acteurs, tous exceptionnels de vérité, notamment le personnage principal, incarné par Jean Michelangeli, qu’un destin tragique conduira à mourir assassiné à l’âge de 27 ans à peine. Il faudrait tous les citer, car tous sont excellents, mais une mention particulière est aussi à faire pour Marie Pierre Nouveau, et le personnage de cette mère tourmentée qui ne peut empêcher son fils de marcher vers l’abîme.
Qu’apprend-on de la Corse, du nationalisme des années 90 qui généra ces évènements tragiques, de la société corse et ses ambiguïtés sociologiques, ces proximités complexes entre le banditisme, la politique et l’économie ? Que rien n’est simple, et qu’aucune posture simpliste ne pourra jamais éclairer le contexte de ces affrontements qui ont lourdement dégénéré. La sincérité se mêle à la brutalité, la peur qui s’installe accroit brutalement l’agressivité entre et au sein des groupes, puis les « règlements de comptes » se suivent dans un engrenage à la rationalité absurde. C’est en fait à n’y rien comprendre et le scénario serait hors de toute crédibilité s’il n’avait pas été l’exacte réalité d’histoires vécues, et ici racontées sans fard ni ostentation, dans toute la vérité de cette violence incontrôlée qui a emporté nombre de jeunes vies commençantes.
Le sentiment d’un immense gâchis est celui qui nous étreint de prime abord. On sent bien le bouillonnement qui enflamme les jeunes années de militants passionnés pour leur pays. Puis le choix d’un engagement «militaire » dévoué à un chef charismatique que l’on entoure, pour l’admirer, puis pour le protéger, jusqu’à mourir soi-même. Le passage par des années de prison mettent chacun à l’épreuve et achèvent de faire basculer les plus engagés vers l’engrenage qui finira par les aspirer et les broyer. Tout cela le film le raconte avec la vérité d’une fiction alimentée par les choses vécues, les douleurs endurées, jusqu’à cette société corse qui feint d’ignorer les drames qui se déroulent en son sein, laissant une mère impuissante face à son désespoir.
Dans les interviews qu’il a données, Thierry de Peretti rappelle qu’il est lui aussi issu de cette même génération de la jeunesse corse, et qu’il a vécu cette actualité « du dedans », en Corse où il vivait, et parmi les jeunes qu’il fréquentait. C’est ce qui sans doute donne à son film ce sentiment qu’il témoigne de son temps. La fiction qu’il a construit avec son scénario et sa mise en scène dégage une authenticité que jamais une simple reconstitution n’aurait pu réussir. «Une vie violente » fait ressentir plus qu’il n’explique, et il fait ainsi s’interroger collectivement ceux qui aujourd’hui ont oublié, ou n’ont pas vécu, ou veulent occulter ce qu’ils ont vécu, et, peut-être même, directement ou indirectement, accompagné, de gré ou de force, durant ces années de plomb.
Le film de Thierry de Peretti était indispensable à la société corse. Pour qu’elle prenne conscience, pour qu’elle n’oublie pas, et pour qu’elle s’éloigne définitivement de ces chemins périlleux. «Une vie violente», pour la Corse, et particulièrement pour les nationalistes corses, c’est un miroir qui est tendu, pour que la « force obscure » qui nous a conduit à de telles tragédies soit tenue éloignée à tout jamais.
François Alfonsi.