AG de l’ALE

From Canarias to Europe !

L’Assemblée Générale 2022 de l’ALE (Alliance Libre Européenne) se tenait à Las Palmas, capitale de Gran Canarias aux îles Canaries. La Nueva Canarias qui accueillait les quelques 200 délégués venus de toute l’Europe, est un parti autonomiste aux responsabilités dans cette communauté autonome de l’Espagne, située à 2000 kilomètres de Madrid, 3500 de Bruxelles, et à peine 100 kilomètres de l’Afrique. Cette réalité géographique a forgé son histoire, sa culture et ses aspirations politiques, distinctes de celle de la péninsule ibérique. Territoire éloigné et fragmenté, les Canaries sont un témoin des spécificités des îles et de la nécessité pour l’Union européenne d’apporter des réponses adaptées à leurs conditions. Une réalité à prendre en compte qui était d’ailleurs l’un des thèmes forts de ces journées d’échanges.

 

C’est le propre de l’ALE de plonger dans l’histoire des peuples. Ce parti européen regroupe 49 partis nationalistes venus de diverses nations historiques dont certains sont aux responsabilités, aspirant à une véritable autonomie politique ou à l’indépendance. Des membres unis par des valeurs démocratiques et par une revendication fondamentale, celui du droit à l’autodétermination. L’ALE est aujourd’hui le seul parti européen qui porte ce principe en étendard, « c’est le parti de l’autodétermination » a dit sa présidente Lorena Lopez de Lacalle.

 

L’archipel des îles Canaries compte sept îles sur environ 7500 km². Légèrement plus petit que la Corse donc, mais où vivent quelques 2,2 millions d’habitants et y sont reçus 15 millions de touristes chaque année. Territoire volcanique aride (dont un encore actif), les Canaries importent presque tout, y compris l’eau consommée.

De sa proximité avec l’Afrique sur l’un des couloirs de migrations qui mènent à l’Espagne, puis à l’eldorado européen, les Canaries vivent de plein fouet la problématique des migrants. C’était l’un des thèmes de ces journées avec des échanges nourris en ateliers.

Autre sujet incontournable, la question du Sahara Occidental, envahi par le Maroc il y a 47 ans, peuple courageux scandaleusement chassé de ses terres et durement réprimé, qui continue à se battre pour récupérer ses droits sur son pays.

L’AG en elle-même a été également dense, outre les travaux habituels d’une assemblée générale, bilan d’activités, approbation des comptes, adoption des motions, élection du nouveau bureau porté à 15 membres, réunion du forum des femmes, assemblée générale de EFAy, le mouvement des jeunes de l’ALE, de la Fondation Maurits Coppieters qui promeut les valeurs du parti, l’ALE a également mis en place cette année un Forum des îles pour renforcer leur combat pour plus de reconnaissance dans les politiques de l’UE, à travers notamment le travail des eurodéputés ALE au sein de l’intergroupe SEARICA et de sa commission des îles que préside François Alfonsi (lire nos précédentes éditions).

 

La question des migrations soulève nombre de problématiques, parmi lesquels la lutte contre les mafias qui encouragent ces situations et exploitent la misère humaine. La migration des hommes ne s’arrêtera pas, c’est l’histoire de l’humanité, pour fuir la guerre ou la misère, ou simplement partir à la découverte d’un ailleurs. Elle épouse la situation du monde et aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, ce sont des millions de personnes qui se sentent menacées et vont immanquablement intensifier les flux migratoires. Certains sont momentanés, comme sur la question de l’Ukraine par exemple, où la majeure partie des réfugiés souhaitent rentrer dans leur pays. Mais la possibilité de trouver de meilleures conditions de vie fait que ces réfugiés s’implantent plus ou moins durablement. Pour l’ALE, l’Europe doit travailler au retour de ceux qui souhaitent rentrer dans leur pays. De même qu’à l’amélioration des conditions de vie dans leur pays d’origine. « Il ne faut pas voir les migrations comme un problème, mais comme un partage de bonnes pratiques et répondre aux causes de ces migrations autant qu’à leurs conséquences ».

« L’Europe est ancrée dans la migration, c’est son présent et son futur, il faut aider au développement des pays dont sont issus les migrants » a dit un intervenant. Par l’histoire, par son poids dans la résolution de ces situations, « l’Europe a une responsabilité historique. »

Il faut doter conseils municipaux et gouvernements régionaux, de structures spécifiques pour gérer cette question, créer des corridors sûrs où les migrants peuvent s’extraire des conflits, combattre les rejets de demandes d’asile qui les mettent en grand danger en les renvoyant dans leur pays (ex Rwanda), les éduquer aux lois et constitutions des pays d’accueil pour leur permettre une meilleur intégration, améliorer leur accès à la communication, à certaines activités, lutter contre la discrimination, le racisme, la désinformation, la violence de genres, faire respecter les droits de l’homme et les droits des peuples, optimiser le potentiel que représentent les migrants pour les pays d’accueil, sont autant de réponses à apporter. « Il y a disparité entre l’approche régionale et l’approche des États ou même celle de l’Europe avec des mesures parfois en contradiction. Il faut travailler à une harmonisation des politiques. Schengen devrait être plus clair et transparent » dit un autre intervenant. Les communautés locales doivent être associées aux politiques de gestion de l’accueil des migrants. Ce n’est pas toujours le cas et c’est une aberration.

« La législation européenne n’est pas adaptée à la situation des réfugiés et à la lutte contre la criminalité organisée » déplore un autre.

 

Romano Rodriguez-Ròdriguez, vice-président du gouvernement autonome des Canaries, propose la mise en place d’une coordination européenne entre pays frontaliers, « non pour réprimer mais pour accueillir ». Il faut « décentraliser l’action, adapter les politiques », inviter les migrants à apprendre les langues des régions qui les accueillent, « agir conjointement pour réduire la criminalité, la traite des femmes et des enfants, sanctionner les pays qui exploitent les migrations et développent cette criminalité. »

« Nous sommes l’Union Européenne pour ces personnes, 50.000 sont arrivées ou passées par les Canaries ces deux dernières années ». L’Europe doit trouver des solutions plus équitables d’accueil. « Par bateau, par avion, ils arrivent même d’autres pays européens ». Sa voix se fait plus émue lorsqu’il aborde la situation des « 3000 enfants dont personne ne veut. Les parents ne peuvent pas les récupérer par peur de sanction s’ils quittent leur pays d’accueil. L’Europe maintient ainsi séparées des familles, ça n’est pas tolérable ».

Lutter contre les migrations c’est faire valoir les droits humains dit encore le vice-président canarien, « il y a eu 8000 morts ces dernières années sur les côtes, c’est une vraie souffrance de n’avoir pu les aider. C’est un impératif humain que de le faire. Des femmes arrivent en Europe pour échapper aux mutilations génitales, elles prennent le risque de mourir en mer et nous devrions les renvoyer ? C’est une injustice. Des gens sont au fond de la mer et personne ne sait combien ils sont. J’ai parlé avec un jeune garçon de 15 ans qui a vu mourir son frère, il n’a pas eu d’assistance psychologique. Ces gens sont livrés à eux-mêmes si nous ne les accueillons pas dignement. Que sommes nous en train de devenir ? » dit encore le responsable canarien qui souligne la vulnérabilité de ces populations et l’impératif pour un mouvement comme l’ALE d’imposer plus de justice et d’humanité dans les politiques européennes.

 

« Peuple Sahraoui, les damnés de la terre » titrait Arritti en avril dernier, lors du retour de mission politique d’eurodéputés de l’intergroupe Sahara Occidental au parlement européen (groupe de La Gauche avec le député basque Pernando Barrena, groupe socialiste et groupe ALE dont François Alfonsi). L’ALE et le gouvernement canarien ont souhaité convier à cette assemblée générale plusieurs responsables sahraouis. Des témoignages émouvants, de vécus très durs, mais chargés d’espoir par la détermination et les aspirations de ce peuple martyr.

« Merci pour avoir donné priorité à la situation de notre peuple, c’est un geste courageux qui permet de donner visibilité à la cause sahraouie » a dit Oubi Bachir, ambassadeur de la République démocratique arabe du sahraoui, « nous sommes à un moment extrêmement grave, la paix est menacée dans ses fondements internationaux à travers la remise en cause du droit à l’autodétermination. Le Maroc persiste dans son aventure coloniale. Le peuple sahraoui réaffirme sa foi inébranlable dans le droit international et en appelle à l’Europe » a insisté Carmelo Ramirez, ministre de la coopération et de la solidarité internationale sahraouie.

L’invasion marocaine a été condamnée par l’ONU et par l’Europe, mais perdure depuis près de 50 ans avec des populations qui vivent dans le désert dans des conditions extrêmes de survie, sans eau, sans végétation, confrontées à une chaleur épouvantable et au sous-développement. Le Front Polisario est leur armée et lutte pour récupérer les terres annexées. Les révoltes sont durement réprimées, et les sahraouis sont victimes de prison, de torture, de discriminations de toutes sortes.

« L’invasion que l’on voit en Ukraine est la même que nous vivons nous peuple sahraoui, et nul n’en parle » déplore la ministre sahraouie des affaires sociales et de la promotion de la femme, Suelma Beiruk. L’Espagne soutient le Maroc, et les subventions européennes sont un levier d’action incontestable. « 47 ans de guerre ont démontré que la paix n’est pas dans le financement du Maroc mais de trouver une solution politique durable pour le Sahara occidental ».

La capacité de résistance des sahraouis est impressionnante, le rôle très important des femmes y est souligné. Elles « conduisent de nombreuses actions, surtout l’aide humanitaire, afin que toutes les familles puissent y avoir accès ».

 

Leurs témoignages sont poignants, El-Ghalia Djimi, présidente de l’association des victimes des violations des droits de l’homme, contient mal ses sanglots lorsqu’elle parle des tortures subies. Elle-même a été emprisonnée et martyrisée des années durant, coups, abus sexuels, aspersion de produits chimiques, électrocution, maintenue les yeux bandés durant deux longues années, contrainte à porter les mêmes vêtements toute une année sans pouvoir se changer, même en période de menstruation… « Malgré tout je suis devenue plus croyante que jamais en la paix, en la survivance. Le courage est énergie de la souffrance et des atrocités que nous avons vécues. Aidez-nous à faire cesser cette guerre et ces injustices » appelle-t-elle. Elle dit que ce qu’elle a connu n’est rien face aux malheurs subis par son peuple, raconte aussi les sanctions qui frappent les enfants réprimés du fait de l’engagement politique de leurs parents et qui n’ont pas droit aux bourses pour étudier par exemple.

Les sahraouis demandent la libération de leurs prisonniers politiques, les informations sur les disparus, et l’engagement de négociations sous l’égide de la communauté internationale leur permettant de récupérer leur souveraineté sur leur terre. « Nous ne serons jamais libres sans la liberté de notre terre » dit Suelma Beiruk.

« On doit rendre hommage aux autorités sahraouies d’avoir su organiser une société avec l’aide internationale bien sûr dans des conditions extrêmement difficiles » souligne François Alfonsi qui alerte : « Le Maroc aujourd’hui réalise un certain nombre d’avancées. Il faut voir à quel point ces avancées diplomatiques sont dangereuses parce que l’objectif est de faire admettre par la communauté internationale l’annexion par la force d’un territoire par un pays voisin. C’est un précédent que l’on veut créer, en s’appuyant sur le Maroc et sur ses soutiens internationaux, notamment en Europe malheureusement, mais aussi récemment aux États-Unis de Donald Trump qui a donné un grand coup d’accélérateur à cette diplomatie… Le premier ministre espagnol agit en continuité de cette offensive internationale. C’est dangereux parce qu’on sait que les Américains sont épaulés par les israéliens dans cette affaire, et que derrière le Sahara occidental, ils envisagent de faire la même chose avec la Palestine. » C’est aussi bien évidemment le cas de l’Ukraine aujourd’hui, a rappelé encore François Alfonsi. Cette situation géopolitique provoque une instabilité dans tout le Maghreb. Il existe cinq camps de réfugiés sahraouis en Algérie avec « des situations de tensions qui peuvent dégénérer et menacer la paix dans cette partie du monde » explique encore François Alfonsi. « En sus de l’Ukraine à l’Est, l’Europe est dans un risque sécuritaire aussi dans son voisinage immédiat du Sud ». L’eurodéputé informe aussi de l’action juridique internationale très forte développée pour la cause sahraouie, démontrant à quel point le Maroc a bénéficié indument de soutien de l’UE destiné au Sahara occidental. Il s’agit de sommes colossales (2 milliards d’euros) que les sahraouis sont en droit de réclamer suite à la décision en appel de la Cour de Justice de l’Union Européenne en septembre 2021. L’intergroupe Sahara occidental appuie cette action en justice qui donne quelques espoirs pour forcer à la négociation en faveur de la cause sahraouie.

 

L’ALE a accueilli deux nouveaux membres cette année. Le MÈS, partit catalan de l’île de Mallòrca aux Baléares qui se définit comme « républicain, écologique et féministe pour plus de démocratie » et « souhaite nouer des rapports plus serrés avec d’autres partis insulaires comme Femu a Corsica en Corse. »

L’Union Valdôtaine, plus vieux parti de la Vallée d’Aoste, après s’en être écarté, revient au sein de l’ALE. C’est un parti autonomiste qui compte plusieurs maires et représentants locaux, ainsi que des membres au parlement valdôtain et à Rome.

L’Alliance Valdôtaine, autre membre de l’ALE a donné son accord pour cette adhésion en insistant sur la nécessité de lutter contre la corruption qui est forte en Italie et dans la Vallée d’Aoste, et de travailler à un mouvement « plus uni, démocratique et novateur ». La priorité doit être mise dans la lutte contre le changement climatique dans nos territoires, dit encore l’Alliance Valdôtaine qui appelle à la constitution d’une majorité solide.

« C’est ça l’ALE, améliorer la coopération pour améliorer les conditions de vie de nos territoires » approuve la présidente de l’ALE.

 

La situation dans chaque territoire a donné lieu à de nombreuses prises de paroles qui permettent de se rendre compte de la richesse de l’ALE, de sa diversité géographique et culturelle bien sûr, mais surtout des points de convergence et des valeurs qui unissent les partis membres.

Des îles Aland aux Canaries, en passant par la Flandre, la Frise, l’Ecosse, le Pays de Galles, la Bretagne, l’Occitanie, la Corse, la Sicile, la Catalogne, le Pays Basque, la Galice, et bien d’autres combats dans différentes régions opprimées à l’Est de l’Europe (Hongrois de Transylvanie, Macédoniens de Grèce, Moraves, minorité slovène d’Autriche, etc.), l’ALE et ses 49 membres forment une puissance en devenir qui peut peser dans la construction d’une Europe plus démocratique. Beaucoup sont en progrès importants (Écosse, Galice, Flandre, Valencia, Irlande, Yorkshire, Corse…) mais de nombreuses nations sont menacées et appellent à la solidarité de l’ALE.

L’ALE a besoin également de se renforcer, en partis, et en pays membres de l’UE pour conserver son statut de parti européen. Plusieurs missions et voyages sont prévus pour étudier de possibles nouvelles adhésions notamment aux îles Ferroé et aux îles Aland.

 

Femu a Corsica était présent à cette AG. Le parti a adhéré juste après sa création en décembre 2018 et a affirmé sa volonté de s’impliquer fortement. Son secrétaire national François Martinetti, a fait part des progrès électoraux importants réalisés ces dernières années. « En juin 2021, Femu est devenu le parti majoritaire sur l’île avec 4 % des suffrages et surtout 32 sièges qui permettent la majorité absolue à l’Assemblée de Corse et de gérer la région présidée par Gilles Simeoni. C’est un parti de gouvernement au travail » a dit François Martinetti qui a rappelé aussi le contexte tendu dans l’île depuis l’assassinat d’Yvan Colonna « dans des conditions barbares » et les espoirs des Corses dans les négociations pour l’autonomie qui devraient s’ouvrir cette semaine. Femu a Corsica est élu désormais au Bureau de l’ALE à travers la personne de Livia Volpei, secrétaire nationale adjointe. « Nous avons la forte volonté de nous enraciner pour véritablement construire avec vous l’Europe des peuples qui devrait être la réalité de demain » a dit François Martinetti.

La grande priorité de l’ALE reste la proposition de Clarity Act avancée dans le cadre du débat sur le futur de l’Europe. Ce mécanisme européen de résolution démocratique des conflits sur fond de droit à l’autodétermination est une priorité pour l’ALE qui a lancé une campagne sur ce thème. « Nous somme le parti de l’autodétermination, du moins le plus connu sur ce thème au niveau européen. Nous voulons mettre ce sujet sur la table. C’est un droit qui doit être respecté et appliqué là où il y a une majorité qui souhaite exercer ses droits fondamentaux » a dit le vice-président Jordi Solé qui espère ainsi pouvoir peser sur la présidence espagnole en 2023.

 

Le Forum des îles concluait ces journées très denses en échanges. L’objectif est de forcer la reconnaissance des difficultés et le potentiel des îles dans l’Union européenne, de développer des synergies entre elles, de rassembler leurs forces pour inclure dans les prochaines politiques européennes des mesures adaptées à leurs besoins en termes de mobilité et transports, gestion des déchets, gestion des côtes, préservation du patrimoine naturel et culturel. S’organiser pour peser, des Baléares aux Canaries, en passant par la Corse, la Sicile, les îles Aland, les îles Féroé, mais aussi l’Ecosse et bien d’autres îles européennes. Là encore, plusieurs intervenants et une force de propositions en mouvement, d’autant qu’elle s’appuie sur les travaux du groupe des eurodéputés de l’ALE (lire l’éditorial).

Tous les représentants de territoires insulaires ont été invités à signer la « Déclaration de Las Palmas pour les îles ». Un très beau symbole pour la présidente de l’ALE qui s’est félicité de l’événement qui témoigne de ce que sont les valeurs de l’ALE. « Tous des territoires différents mais avec des dénominateurs communs » a dit Lorena de Lacalle, « nous avons beaucoup à apprendre des autres, c’est l’esprit de l’ALE, être à l’écoute et travailler ensemble. C’est notre fierté, pour faire vivre nos idées et transmettre l’espoir ». Travail et ouverture à la jeunesse, aux femmes, aux nations en difficultés, « des portes vont s’ouvrir pour toutes nos nations mais il faut pousser pour cela l’ALE » a dit encore la présidente, qui veut faire du parti « le chef de file de toutes les aspirations de peuples et leur droit à l’autodétermination ». •

Fabiana Giovannini.