Le fédéralisme au service des territoires, c’était le thème du second débat de l’Université d’été de la Fédération Régions & Peuples Solidaires, qui se tenait à Lorient du 21 au 23 août 2020. Il était animé par Nil Caouissin, porte-parole de l’Union Démocratique Bretonne et par Rémi Carbonneau, politologue, Lydie Massard, représentante de l’UDB, Andria Fazi, politologue, Paul Molac, député au Palais Bourbon. La gestion calamiteuse de la crise sanitaire d’une part, la réactivité de certaines collectivités comme en Corse d’autre part, ont démontré la pertinence de l’aspiration à plus d’autonomie et à la notion de fédéralisme différencié que défend R&PS.
Lydie Massard introduisait le débat en présentant le projet de l’UDB d’une Assemblée de Bretagne, qui se veut « alternative au système hyperprésidentiel qui étouffe la démocratie en France ».
Pour la responsable de l’Union Démocratique Bretonne « la Ve République est une monarchie républicaine dont le fonctionnement est centré sur les pouvoirs du président de la République. Les seuls contre-pouvoirs sont les collectivités et sont des nains politiques. » Toutes les décisions d’avenir reposent sur un homme à Paris, d’où découle les lourdeurs de l’administration. Les enjeux de régionalisation et d’aspiration à plus d’autonomie des territoires sont au cœur du débat des prochaines élections régionales.
Qu’est-ce que l’Assemblée de Bretagne ? « Nous la concevons démocratique, proche des citoyens, des élus locaux et des territoires » explique Lydie Massard qui pose d’emblée la revendication du périmètre de la Bretagne historique avec ses cinq départements, comprise la Loire Atlantique qui en est aujourd’hui exclue. « La réunification n’est pas une lubie, c’est notre culture, une manière de penser, une façon d’appréhender notre avenir en commun. » Le projet d’Assemblée compterait deux collèges, un pour les citoyens, Bretons et Bretonnes élus sur scrutin de liste, et un collège territoires avec un à trois élus proportionnellement à la population. Ce qui renforcerait considérablement son budget, ses compétences, son champs d’action. Actuellement la Région Bretagne dispose d’un budget de 8 Mds d’euros pour 5M d’habitants. L’Assemblée de Bretagne disposerait d’un budget de 50 Mds pour 13M d’habitants avec de réelles compétences autonomistes : pouvoirs législatif et normatif.
« L’Assemblée de Bretagne veut une Bretagne ouverte et non pas concentrée sur les métropoles de Rennes et Nantes tournées vers l’Est, c‘est à dire vers Paris. » Cette conception a creusé les fossés, à l’opposé du projet fédéral de l’UDB pour la Bretagne « nous voulons de la complémentarité et de la solidarité entre les différents territoires de Bretagne… Être plus proche des citoyens pour les meilleures décisions possibles et le meilleur projet possible au service des Bretons et Bretonnes : autonome, écologique et solidaire. »
Kristian Guyonvarc’h, de l’UDB, a appuyé cette présentation lors du débat en soulignant « le passif du découpage départemental », l’impact sur la répartition de la population et le budget alloué. Celui de la Loire Atlantique est quatre fois plus élevé que celui de la région Bretagne. Pour l’UDB, « il faut un échelon intermédiaire entre commune et future Région Bretagne, l’UDB propose que les pays (28 en Bretagne) soient constitués en collectivités dotées de compétences héritées des Conseils départementaux. »
À son tour, Andria Fazi exposait les avantages de la Collectivité unique en période de crise. Seul exemple de fusion entre une autorité régionale et plusieurs autorités départementales, la Collectivité de Corse dispose désormais de l’ensemble des ressources et compétences des trois collectivités fusionnées. « Faute de recul, difficile de tirer un véritable bilan, mais une telle réforme renforce assurément la légitimité, la cohérence et les capacités d’action de la Collectivité qui en résulte. »
Cette revendication a été quasiment exclusivement portée par le mouvement nationaliste. Le Conseil Général était vu comme la reproduction du système claniste (gestion aide sociale, gestion aide aux communes et intercommunalités, élus locaux influents redoutables d’un point de vue électoral). Lors de la mandature 2010-2015 la fusion est mise en perspective, avec plusieurs demandes de révisions constitutionnelles (coofficialité, statut résident, fiscalité) qui hélas n’aboutiront pas. La fusion est alors concédée en forme de compensation. « Il est dommage d’envisager une modification institutionnelle sous l’angle de la compensation » se désole Andria Fazi. Question avantages, la fusion n’apparaît pas comme une panacée en règle générale. « D’un point de vue économique, on assiste à une réduction des dépenses, mais il est illusoire d’attendre un effet rapide et sensible de ce point de vue. »
Au niveau démocratique, on assiste à « des effets négatifs compréhensifs du fait de l’élargissement de la population. Il y a moins de proximité, moins de représentation, on vote moins. » On constate un déficit de coordination et une mutualisation de moyens difficile, donc de l’hégémonie. Pas de compétences décisionnaires, mais plus d’efficacité de l’action publique. Une centralisation régionale avec des moyens et pouvoirs concentrés en un lieu tout en ne reflétant pas la création d’un véritable gouvernement régional.
En ce qui concerne la Corse, la fusion est trop récente pour tirer des enseignements, Andria Fazi se contente de dresser le tableau des attentes, opportunités et risques de la fusion. La réforme reste trop insuffisante. Ceci dit, « face à une crise comme celle du coronavirus, la fusion est très certainement une chance. La Collectivité de Corse n’a pas compétence en matière de santé. En revanche en matière économique et sociale, l’agrégation des compétences pourrait, devrait, être très bénéfique en termes d’efficacité de l’action publique. »
Pour la Bretagne, la situation peut apparaître encore plus compliquée. Il y a au moins trois métropoles. La nouvelle Assemblée de Bretagne ne pourrait pas fonctionner comme les institutions actuelles. Il faudra réorganiser de façon différente, répartir les compétences, se concentrer sur les fonctions stratégiques, avec un échelon communal (déficit de ressources) et un échelon intercommunal (déficit de démocratie), il faut penser l’Assemblée de Bretagne comme une recomposition globale par rapport au système français. Des intercommunalités avec des collectivités territoriales à la gouvernance plus politisée, et la légitimité de conduire des projets de territoires. Les communes avec un seuil minimal de population, un pouvoir fiscal et une légitimité de proximité.
« En conclusion, la Collectivité unique offre des potentialités très intéressantes mais avec un besoin de les penser dans un cadre plus général, une redistribution de pouvoirs, prélude à une révolution territoriale. »
Pour Paul Molac, l’État a administré plus qu’il n’a géré la pandémie. Il y a un vrai problème d’efficience de l’administration centrale. Les collectivités locales ont été plus réactives. « Un bon élu, c’est un élu qui reste à portée d’engueulades » rappelle le député breton du Morbihan. Le monde administrativo-politico parisien est trop emprisonné dans la collusion entreprises/administration centrale qui nuit à l’efficience des politiques publiques.
« Seul un fédéralisme est en mesure d’éviter les problèmes. »
L’État prône le couple maires-préfet, or à 80 %-20 % il n’y a pas d’équilibre, le maire est sous la dépendance du préfet, et c’est une dépendance sans prospective. « Il faudra être vaillants » invite Paul Molac qui prône le vote d’« une loi spécifique » parce que « si l’idée de collectivités aux compétences et au périmètre divers fait son chemin il reste les questions très importantes du pouvoir réglementaire, de la possibilité de faire des lois de pays et du développement de l’autonomie budgétaire et fiscale. Cette question, je ne crois pas que le pouvoir actuel ait jamais eu envie de la poser » se désole le député qui développe les contraintes imposées par l’État et plus particulièrement le gouvernement actuel. Aussi la différenciation est une bonne chose, dit encore Paul Molac parce que « vous ne pouvez pas définir la Bretagne et la façon dont elle voudrait s’organiser comme d’autres régions en France. Dans certains départements en France, le département a une certaine légitimité, ce qui n’est pas vraiment le cas de la Bretagne, parce que les gens se sentent Bretons. »
« Toutes ces questions-là restent des combats difficiles… sans un mouvement fort, porté par différents partis, je pense que nous n’y arriverons pas » assène Paul Molac qui exhorte : « il faudra un rapport de forces. Il commence avec les élections et à poser cette question-là clairement aux électeurs. »
Rémi Carbonneau, politologue explique la notion de fédéralisme. Il défend « le fédéralisme comme la chance historique pour la diversité nationale en France. » Le fédéralisme c’est « une philosophie du pluralisme territorial, avec un lien moral, une justice réparatrice ou d’une égalité réelle des citoyens, c’est un concept normatif conciliant unité des composantes d’une communauté politique et leur diversité. C’est chercher l’unité tout en respectant cette diversité. »
Cela interroge la nature même hétérogène de la société et exige la subsidiarité, être mieux servi par une institution plus proche.
Avancer vers une société fédérale c’est « remettre en cause la souveraineté indivisible de l’État imposé par le groupe ethnolinguistique dominant, le fédéralisme joue le rôle incontournable de ciment des peuples cohabitant au sein d’un pays hétérogène comme la France. »
Le fédéralisme est une aspiration pour lutter contre l’arbitraire d’un État, mais aussi pour rechercher plus d’efficacité, de subsidiarité et de proximité avec les citoyens. C’est une reconnaissance de la diversité sociétale, face aux diversités territoriales, au niveau géographique, démographique, ou économique, face aussi à l’altérité culturelle (minorités nationales, linguistiques, religieuses…). On peut tendre vers une fédéralisation par agrégation, comme aux États-Unis par exemple, ou désagrégation, comme en Espagne ou en Belgique, explique encore Rémi Carbonneau qui énumère les différents modèles de fédérations, mononationales, multinationales, leurs compétences, leurs atouts ou insuffisances. « La République Une et indivisible, ce n’est pas concevable » dit encore Rémi Carbonneau soulignant l’absurdité du concept. « Dans une fédération multinationale, il y a des droits individuels, et il y a des droits collectifs aussi. La notion d’égalité est vue différemment. Ce n’est pas la notion d’égalité de traitement qui est profondément inégalitaire en France et qui est une fausse égalité. »
En conclusion, le politologue avoue que « le fédéralisme n’est pas la panacée, mais c’est la meilleure façon de gérer la diversité dans un monde aussi complexe que le nôtre. C’est un modèle qu’on peut toujours améliorer en s’adaptant au contexte. »
Vous pouvez revivre l’intégralité des interventions et des débats qui ont suivi de l’Université d’été, sur le site de la Fédération R&PS : www.federation-rps.org