Seconde motivation de notre déplacement en Iparralde, qui fera l’un des thèmes forts des Ghjurnate d’ARRITTI : le mouvement alternatif basque.
Iparralde (Pays Basque Nord) ne dispose ni d’une région, ni même d’un département pour faire vivre son identité, inclus dans le département des Pyrénées-Atlantiques qu’il partage avec le Béarn et son chef-lieu Pau, lui-même noyé dans la région Aquitaine, et son chef-lieu Bordeaux, aujourd’hui devenu la Nouvelle Aquitaine en fusionnant avec le Poitou-Chartentes et le Limousin…
Heureusement adossé au Pays Basque Sud, la Collectivité autonome d’Euskadi, Iparralde s’accroche à son identité et invente des alternatives à tout ce qui peut lui faire obstacle. Le génie basque est en constant bouillonnement, un peu comme notre période du riacquistu, sauf que l’esprit créatif, la capacité d’entreprendre et l’implication citoyenne sont permanents et développent une dynamique crescendo. Ainsi, a été créée Euskzal Herriko Laborantza, la Chambre d’agriculture du Pays Basque en 2005. Ainsi est né Bizi en 2009 et le Festival Alternatiba en 2013, principaux moteurs du mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale.
Euskzal Herriko Laborantza, Chambre alternative !
Michel Berhocoirigoin est le président de Euskzal Herriko Laborantza Ganbara, la Chambre associative d’agriculture du Pays Basque pour protéger la terre et les agriculteurs d’Iparralde, gommée au sein de la Chambre d’agriculture départementale.
Au service d’un territoire d’agriculture de montagne, qui compte 4 000 fermes dont 3 000 au moins professionnelles, d’une moyenne de 28 ha, principalement tournées vers l’élevage de brebis, EHLG mise sur la qualité pour dégager de la valeur ajoutée, faire de la montagne et la pente des atouts, développer les races locales adaptées, créer des appellations d’origine. C’est ainsi que nait l’appellation au lait de brebis Ossau Iraty il y a 40 ans, qui regroupe aujourd’hui 90 % des éleveurs. « Le modèle actuel est une forme de cannibalisme, qui part du principe qu’il faut de moins en moins de paysans pour vivre mieux. Pour nous, il faut au contraire être nombreux pour vivre mieux » explique Michel Berhocoirigoin.
Autre aspect essentiel : la maîtrise du foncier. Un Groupement Foncier Agricole est créé pour « acheter la terre ensemble ». Autant de logiques qui ont essaimé sur toutes problématiques agricoles depuis 50 ans et donné naissance à un renouveau et une volonté également sur le plan politique.
Au niveau syndical d’abord, avec la création en 1982 d’ELB (Euskal Laboranen Batasuna), syndicat pour la défense des paysans du Pays Basque et la promotion d’une agriculture de qualité. Affilié à la Confédération paysanne et Via Campesina, il veut redonner la maîtrise économique aux paysans face à l’agroalimentaire, les banques, l’État. C’est ainsi qu’ELB soutient les ikastolas, lutte pour un statut des réfugiés, adhère à la plateforme Batera (ensemble) pour la coofficialité de la langue basque, une université de plein exercice, une institution propre, etc. « Participer aux travaux, être là où il faut défendre notre type d’agriculture, porter nos revendications pour la protection et la qualité des aliments, de l’eau, des paysages », le cheminement est tracé pour revendiquer une Chambre d’agriculture propre au Pays Basque. Il a fallu 10 ans pour l’imposer à l’Etat. EHLG voit le jour le 15 janvier 2005 sous forme associative. Le combat s’est poursuivi au tribunal mais il a été gagné !
Pampi Olaizola, membre du Bureau d’EHLG, nous explique le rôle de la Chambre. De 200 k€ de budget au départ, elle dispose d’1M€ aujourd’hui et 20 salariés qui s’emploient à d’innombrables chantiers : dossiers de la PAC, compétitivité agricole de la Région, valeur ajoutée, systèmes d’exploitation, autonomie des fermes, suivi des démarches collectives de paysans, installation-transmission, installation de jeunes, enjeu environnement (Natura 2000, gestion de la montagne, gestion de l’eau, impact sur la biodiversité…), répartition des aides, spéculation, etc. EHLG a créé un salon de l’agriculture du Pays Basque : Lurama, en 2006. Chaque année (courant novembre) ce sont 25.000 personnes qui s’y pressent sur trois jours (conférences, concours de dégustation, espace-exposition des animaux, présentation des paysans bio, des AOP…). « Bien que dans le déni, la Chambre d’agriculture des Pyrénées Atlantiques est bien obligée de s’aligner sur nos chantiers en créant des structures similaires » explique pas peu fier Pampi Olaizola.
Dominique Amnestoy est le président de Lurzaindia, créée en 2013 dans la foulée du GFA. C’est un outil de gestion collective du foncier et de lutte contre la spéculation foncière pour se substituer à la SAFER qui ne remplit pas son rôle. Face aux phénomènes de dépossession, mais aussi d’agrandissement des fermes, la volonté était d’encadrer le prix de la terre et de contrôler les ventes. Une réflexion menée,avec EHLG, Arrapitz, le GFA, mais aussi des organisations comme Terres de liens… a abouti à la création de Lurzaindia avec deux objectifs : 1/ acheter des terres et installer des jeunes, 2/ sortir la terre du marché spéculatif et s’impliquer dans l’aménagement du territoire en intervenant à chaque fois qu’il y a des dérives.
Lurzaindia achète terres et bâtiments, les donne aux jeunes, fait les baux, forte d’un budget de 300 k€ constitué par l’aide des communes, d’EHLG, mais aussi l’actionnariat populaire ou d’emprunt. Elle s’implique fortement dans les commissions CTPNAF (préservation des terres agricoles), exerce une vigilance sur l’urbanisation, l’élaboration des PLU et agit au besoin par des actions syndicales, de la sensibilisation, la pression politique sur les élus.
« On ne prêche jamais dans le désert, il y a toujours quelque chose qui germe » commente Michel Berhocoirigoin.
Pantxika Maitia, est présidente de la Fédération Arrapitz, pour le développement agricole et la défense des paysans par les outils dont ils ont besoin, créée en 1989, dans la foulée d’ELB, du GFA… ou d’autres structures importantes comme l’AFOG, réseau de formation collective (1982).
Objectif : s’adapter à la spécificité de la montagne, accompagner et susciter les débats nécessaires à la structuration du monde agricole. En créant une association des producteurs fermiers du Pays Basque il y a 30 ans, aujourd’hui une installation sur deux est en production fermière. En initiant la production biologique, aujourd’hui plus de 300 fermes sont en production bio (10 %). De même, c’est par ces débats que sont nées différentes structures de production pour la pomme, la cerise, le piment d’Espelette. « On défend la langue, la terre, le collectif. Ensemble, parce qu’on a besoin de se questionner sur le modèle, la culture paysanne… On est toujours en mouvement » dit encore la présidente d’Arrapitz qui cite l’exemple de la vente de production fermière aux cantines.
Bizi (vivre) !
Avec Bizi, notre délégation rencontre un autre personnage de ce « génie basque ». Txex Etcheverry, figure du mouvement abertzale, fondateur du mouvement Bizi, qui se définit non-violent, écologiste et abertzale. 20 adhérents à sa création en 2009, 680 aujourd’hui, son but est d’occuper le terrain du climat et de l’écologie pour que cette thématique conduise à un projet en phase avec l’abertzalisme. Soutien à la langue basque, aux prisonniers, etc, par ses prises de position, Bizi attire la jeunesse. Il impulse plusieurs dynamiques, regroupées dans le slogan Burujabe (souverain) pour définir un Pays Basque « souverain, soutenable et solidaire ». À travers la diffusion de brochures mais aussi d’actions et du festival Alternatiba. Il participe ainsi à ANV-Cop21 (Alternatives non violentes pour la Cop 21 qui rassemble plus de 1000 jeunes chaque année). « Cela forme une génération de jeunes militants avec une autre vision du Pays Basque » explique Txex. « L’objectif est d’obtenir des leviers de rapports de forces plus efficaces. Nous avons un rôle de laboratoire et d’essaimage de pratiques nouvelles. »
Étude sur l’emploi dans la lutte pour le climat, mise en place d’un Pacte municipal de transition climat-énergie (signé par une quarantaine de mairies représentant 75 % de la population), le logo Burujabe (ci-contre) résume le champ d’action qu’il se donne, fourmillant d’initiatives comme la création d’un nouveau mouvement Alta (changer) pour travailler au sein des quartiers populaires et impulser des dynamiques de reconnexion de ces quartiers aux aspirations du territoire.
L’Eusko, première monnaie locale d’Europe ! Dante Edme nous présente cette outil alternatif au service de la dynamique économique. Créé en 2018, Euskal Moneta compte 12 salariés et peut s’enorgueillir d’avoir en circulation 2M€ pour soutenir la production agricole, artisanale ou commerciale d’Iparralde. « Une monnaie complémentaire est un bien commun » nous dit Dante et d’ailleurs tous les acteurs sont autour de la table (entreprises, citoyens, syndicats, associations…).
Il y a de la place pour deux monnaies, « ce n’est pas un projet contre l’euro, mais pour le territoire, pour l’environnement, pour la langue basque ».
1 Eusko = 1 euro. 2M€ en circulation cela signifie 2M€ de réserves confiées au Crédit Coopératif. L’adhésion coûte 12€ /an, il n’y a pas de spéculation possible et l’argent reste sur le territoire. Il s’échange entre adhérents et « payer en eusko est contagieux. On crée du réseau. On crée du commerce. C’est bon pour l’emploi, bon pour l’économie, bon pour l’environnement (circuits courts), bon pour la langue » plaide Dante Edme.
Il existe une Commission de reconversion de 5 %, notamment pour les touristes, mais il y a très peu de rendu. Chaque adhérent peut ouvrir un compte et payer y compris par carte ou application smartphone. 3 % de dons sur les 5 % d’entreprises, sont générés à chaque conversion et offerts aux démarches de votre choix (ikastolas, Bizi…), « l’intérêt est d’alimenter la vie associative locale, mais aussi d’élargir la famille eusko ». Tout se tient.
Euskal Moneta compte 1 000 adhérents professionnels, 3 800 particuliers, 23 communes, l’agglomération Pays Basque. « On décloisonne la société, plus solidaire, plus écolo, plus identitaire. C’est intéressant au niveau de la stratégie territoriale ».
Chaque entreprise qui entre dans l’eusko (condition : avoir son siège social au PB) doit remplir deux défis : un pour l’environnement et un pour la langue basque. Par exemple, s’engager à prendre 20h de cours d’initiation linguistiques ou utiliser des produits locaux…
Herrikoa – Enargia, vers l’autonomie énergétique. Autre dynamique citoyenne, Enargia est créé en 2014 par Herrikoa, société de capital risque dont l’expérience a inspiré il y a 30 ans la création de Femu Quì SA en Corse.
En France, 95 % des communes ont délégué leur fourniture d’énergie à EDF. Avec la libéralisation du marché en 2007, EDF a scindé ses services entre production / fourniture / transport-distribution. Son réseau reste monopole d’État, mais on peut désormais produire et fournir de l’électricité sous réserves d’agrément, et d’utiliser le réseau EDF. Herrikoa s’est engouffré dans cette possibilité et a créé deux outils : I-ENER production, et Enargia fournisseur au client. L’intérêt : développer les énergies renouvelables, définir le prix pour au moins 40 % (les 60 % restant relevant des taxes d’État), opérer de manière vertueuse en visant la sobriété, l’efficacité, et en faisant travailler sociétés et producteurs locaux. Grâce à son Fonds d’investissement citoyen pour financer des unités de production, Enargia a déjà investis 500k€ et réalisé 16 projets solaires. L’Union Européenne l’a inclus au paquet « énergie propre pour tous les européens », elle compte 627 sociétaires, emploie 4 CDI, a 2 000 contrats, et un chiffre d’affaires de 2,5M€. C’est une coopérative qui implique tous les acteurs du mouvement Bizi. Là encore, on retrouve la solidarité, pilier du mouvement alternatif basque !
Rendez-vous les 5 et 6 décembre à Biguglia pour découvrir toutes ses forces motrices.
Fabiana Giovannini.
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