I messaghji d’Edmond Simeoni

Le problème corse

Le 4 avril 2011, Edmond Simeoni répondait à une interview de Corse-Matin sous le titre « La Corse a besoin d’une perspective forte ». Lorsqu’on reprend ses réponses du contexte de l’époque, on se rend compte qu’elles peuvent s’appliquer au contexte actuel. Certes, bien des choses ont changé, mais le fond des besoins de la Corse reste le même : plus de démocratie, de dialogue, de projets, un climat apaisé et des valeurs réaffirmées. Des messages que nous avons toujours collectivement besoin d’entendre.

 

«Tout reste à faire. Combien de drames, combien de temps perdu, combien de postures stériles, alors que tout le monde sait, à Paris et en Corse, que le moment viendra, inéluctablement, où il faudra se mettre autour d’une table.

Le problème corse touche à l’identité collective, à l’exigence démocratique, à la crainte d’une communauté humaine de disparaître et à son corollaire : l’aspiration à être rassurée sur sa pérennité.

À ces données structurelles, s’ajoutent des facteurs aggravants : une situation économique et sociale dégradée, chômage, pouvoir d’achat et salaires faibles, crise du logement, vie chère, précarité en progression. Mais aussi des secteurs en crise profonde, des déséquilibres territoriaux et démographiques de plus en plus marqués, et un pessimisme qui tend à se généraliser : l’exil des jeunes qui reprend, leur mal-être multiforme en sont des expressions frappantes.

C’est toute la Corse qui a besoin d’une perspective politique forte, qui mobilise et fédère les forces vives de l’île. L’État doit accompagner cette dynamique, plutôt que de s’en tenir à une politique faite d’une alternance entre calculs et répression.

Nous avons des problèmes majeurs et cumulatifs dans de nombreux domaines. Ces problèmes sont connus de tous : agriculture en survie, tourisme mal maîtrisé, commerce à la peine, industries et technologies de pointe marginales.

Facteur aggravant, la Corse maîtrise peu, et souvent mal, ses secteurs stratégiques censés induire et encadrer le développement. Le secteur du transport avec l’avenir incertain du chemin de fer de la Corse et l’abcès, jamais résolu, de la desserte maritime. Une dépendance énergétique qui exprime le décalage entre les discours et les choix effectifs : alors que Paris prétend ériger la Corse en pôle d’excellence environnementale, le fioul lourd est privilégié à Lucciana*, tandis que les énergies renouvelables sont en panne : photovoltaïque mal conduit, éolien mal en point, biomasse en jachère. Nos principales richesses restent le soleil, la terre et l’eau. Ces dernières sont convoitées, et le seront plus encore eu égard à l’évolution du contexte économique européen et mondial. Il faudrait aussi évoquer les difficultés d’accès à la santé publique et les retards parfois abyssaux en matière d’infrastructures, routes, assainissement, déchets, équipements sportifs, culturels et sociaux. Enfin, la régression accélérée des éléments constitutifs de notre identité collective, au premier rang desquels la langue, accroît le sentiment de dépossession.

(…) J’espère que les décisions prises seront à la hauteur des enjeux, et des attentes : définir et mettre en œuvre les mesures qui permettront de maintenir le lien multiséculaire entre le peuple corse et sa terre. Nous touchons ici au noyau dur de l’angoisse collective des Corses. Apporter des réponses fortes sur ce plan, c’est préserver l’avenir et apaiser définitivement le présent.

La violence de droit commun est lourde et génératrice de drames humains insupportables pour une petite société comme la nôtre. On le constate malheureusement tous les jours dans vos colonnes. Cette violence prospère sur le terrain du mal développement, du culte des armes, de l’argent facile et du rapport de forces. Il y a là incontestablement la matrice d’un système mafieux ou prémafieux. L’antidote le plus sûr à ces dérives se situe dans le fonctionnement démocratique de notre société. La démocratie non pas comme un argument d’estrade, mais comme une pratique quotidienne et généralisée.

(…) Réapprendre à se parler, et à s’écouter, poser lucidement et sans tabou les problèmes, c’est déjà faire un pas vers leur solution.

(…) La question institutionnelle n’est qu’un des aspects de la problématique. Mais il est certain que plus les élus de la CTC vont avancer sur le chemin de l’identification des problèmes et des solutions, plus la nécessité d’ajustements législatifs et réglementaires importants va se faire sentir. C’est vrai en matière de foncier, en matière de fiscalité, et notamment la question du maintien du régime issu des arrêtés Miot, en matière de langue, en matière de maîtrise des transports, etc. Nous aurons donc sans doute intérêt à profiter de la réforme des collectivités, si elle est maintenue, pour réfléchir à l’adaptation de nos institutions. »

 

Ndlr : Depuis ce texte, Lucciana est passé au fioul léger au mois de mars 2014, et ses anciennes cheminées définitivement démontées en 2017. Mais la question du fioul lourd reste posée au Vaziu et l’arrivée du gaz toujours pas véritablement réglée pour les deux centrales thermiques.