Parmi les débats de l’Université d’été de la Fédération Régions & Peuples Solidaires, l’intervention de Christian Allard, député européen du Scottish National Party (jusqu’au Brexit) après avoir été élu durant quelques années au Parlement écossais, a marqué les esprits par son ouverture et le concept généreux de nation à l’écossaise. Interview.
Vous êtes français mais vous avez été élu par l’Écosse au Parlement européen, expliquez-nous…
Oui je suis de nationalité française, je n’ai pas la nationalité britannique, mais les écossais m’ont fait confiance, et m’ont élu au Parlement écossais où j’ai siégé pendant quelques années et ensuite au Parlement européen où j’ai rejoint François Alfonsi à l’ALE et où j’ai représenté l’Écosse les sept derniers mois, avant que la Grande Bretagne ne quitte l’Union européenne avec ce Brexit qui est vraiment un désastre. Mais un désastre qui peut et qui doit être une opportunité, non seulement pour l’Écosse et son indépendance, mais aussi pour le Pays de Galles, pour l’Irlande du Nord et pour l’Angleterre ; pour les régions d’Angleterre qui pensent elles-aussi qu’elles doivent être plus autonomes et revenir au sein de l’Union européenne pour plus d’autonomie et contre la politique de Londres. Une politique que les Écossais n’apprécient pas, comme beaucoup en Angleterre, particulièrement avec le Brexit et ses développements sous Boris Johnson. Quelque chose va changer rapidement en Écosse.
L’Écosse se revendique européenne…
Oui l’Écosse est un pays européen, même très européen. Nous nous sommes toujours sentis européen. Nous avons voté à plus de 60 % pour rester au sein de l’Union européenne en 2016. Malheureusement notre type de démocratie fait que l’Écosse a dû quitter avec le reste du Royaume Uni l’Union européenne.
L’Écosse est un pays de 5 millions d’habitants avec un partenaire voisin – l’Angleterre – de 55 millions d’habitants. Vous voyez la disparité et la difficulté pour que la voix de l’Écosse se fasse entendre au sein du Royaume Uni ! Je dois remercier François Alfonsi et tous les collègues députés européens de l’ALE, la voix de l’Écosse était très entendue au sein du parlement européen. J’espère qu’elle le sera à nouveau le plus rapidement possible. Nous avons l’expérience de la différence entre une Union européenne d’Etats et de régions de plus en plus indépendantes et autonomes, et cette union en Grande Bretagne qui est tout à fait centralisée à Londres.
Comment voyez-vous l’après-Brexit justement ? L’Écosse est-elle prête désormais à l’indépendance ?
Le Parti indépendantiste dont je suis membre, le SNP, a eu de grands succès électoraux depuis des années. Nous sommes au pouvoir depuis plus de 14 ans, et nous avons eu un référendum pour l’indépendance en 2014. Les Écossais, le peuple d’Écosse, n’étaient pas prêts parce qu’une des conditions de la campagne du non à l’indépendance, étaient si vous devenez indépendants, vous ne serez plus au sein de l’Union Européenne. Or nous sommes maintenant de fait hors de l’Union européenne alors que nous avons voté contre l’indépendance. Donc les Écossais pensent maintenant tout à fait différemment et voient les conséquences du Brexit.
Le Brexit était un débat non seulement sur l’immigration mais aussi sur l’identité un petit peu perdue d’une identité anglaise au sein du Royaume Uni en Europe, parce que l’Europe s’est élargie, est devenue de plus en plus diverse et le Royaume Uni depuis 1999 a connu une certaine autonomie de l’Écosse, de l’Irlande du Nord et du Pays de Galles, que l’Angleterre n’a pas connue. Il faut comprendre nos amis les Anglais qui se sont retrouvés très isolés de ce qui se passait en Europe, avec un manque de pouvoir. Le principe européen de subsidiarité qui est très cher aux Écossais, les Anglais ne l’ont pas expérimenté puisqu’il n’y a pas de parlement de région anglaise, il n’y a qu’un parlement britannique.
L’Écosse a donc un tout autre intérêt de l’Europe ?
Nous voyons les choses très différemment. Nous avons beaucoup d’îles, près de 800, dont 90 sont habités. Ces îles connaissent une certaine autonomie, et nous exerçons cette décentralisation, cette subsidiarité, nous l’avons au sein de l’Écosse, et nous voulons retourner au sein de l’Union européenne pour retrouver et exercer cette expérience au niveau européen, et pourquoi pas au niveau mondial.
Vous disposez désormais d’une majorité absolue au parlement d’Edimbourg ?
Nous avons eu des élections au mois de mai. Nous avons eu un gouvernement minoritaire depuis 2005, mais qui nous avait permis, avec le soutien de nombreux autres députés, d’avoir un gouvernement effectif. Aujourd’hui nous avons conclu un accord avec le parti des Verts écossais qui est pro-indépendantiste. C’était d’autant plus facile que nous avons siégé avec nos amis des Verts avec l’ALE au parlement européen. De même, nous avons des objectifs de société, de paix et d’autodétermination qui se rejoignent. C’est donc le premier gouvernement indépendantiste avec deux partis, les Verts et le SNP.
Le SNP reste le premier parti d’Écosse ?
Le SNP compte plus de 100.000 adhérents, pour la France cela équivaudrait à un parti de plus d’un million d’adhérents. Nous sommes donc une force politique depuis plus de 14 ans et cette force politique se valorise au sein d’un mouvement d’indépendance avec nos amis les Verts mais aussi beaucoup d’autres petits partis politiques qui ont rejoint le mouvement indépendantiste. Un mouvement indépendantiste que nous retrouvons d’ailleurs aussi au sein du parti travailliste, même s’il a décidé de s’opposer à l’indépendance pour l’instant.
Nous assistons vraiment à un changement de l’Écosse, surtout après le Brexit et nous attendons avec confiance ce référendum.
Quand aura lieu ce second référendum pour l’indépendance ?
Malheureusement à cause de la crise sanitaire du Covid, nous n’avons pas pu avoir notre référendum comme prévu en 2020, il se fera l’année prochaine ou l’année d’après. C’est à nous d’en décider avec nos amis les Verts. Je pense que ce sera probablement dans la première session parlementaire de l’an prochain car l’argument de redevenir européen compte beaucoup dans la décision.
L’autonomie ne parvient plus à répondre aux besoins de l’Écosse ?
L’autonomie nous suffirait peut-être pour beaucoup d’Écossais si le gouvernement britannique, ou les gouvernements successifs en Grande Bretagne, avaient respecté l’Écosse et le peuple écossais. Malheureusement ils ne l’ont pas fait et l’indépendance devient une priorité. Au sein de l’ALE, nous avons développé cette idée que l’autonomie des régions et l’indépendance d’États comme l’Écosse, avec l’autodétermination, est un droit démocratique. Ce droit doit être respecté. Un exemple, cette semaine la Cour de justice en Écosse a refusé l’extradition de députés parlementaires de la Catalogne. Cette solidarité entre les Etats et régions qui veulent devenir plus autonomes est très importante.
Quel est l’enjeu de cette indépendance ?
C’est un enjeu de société. C’est aussi très important au niveau de l’enjeu climatique. La COP 26 sera à Glasgow au mois de novembre cette année. Nous montrerons au monde entier ce que nous avons fait en Écosse au niveau de la transition énergétique. Nous avons beaucoup à montrer et à démontrer. Vraiment cette indépendance se veut au bénéfice des générations à venir. C’est quelque chose que nous voulons faire au niveau démocratique et au niveau économique. Nous suivons l’exemple de nos voisins scandinaves et de nos cousins en Nouvelle Zélande pour mettre au premier plan le bienêtre de notre peuple, peut-être avant la croissance économique. C’est très important, surtout pour les jeunes d’aujourd’hui.
Un exemple de réalisation du fait de l’originalité du gouvernement écossais ?
L’Écosse a voté une législation qui dit que tous les gens qui vivent en Écosse, qui ont fait ce choix d’y vivre, ont le droit de vote et le droit de se présenter aux élections. Auparavant, ce n’était que les Européens, et c’est ainsi que j’ai pu le faire et siéger au parlement écossais, puis au parlement européen. Maintenant tout le monde, d’où qu’il vienne, quelle que soit sa nationalité, peut participer à notre démocratie, y compris les réfugiés. C’est très important de comprendre cette originalité, cette volonté d’indépendance est une ouverture sur le monde.
C’est la vision d’une Écosse moderne ?
L’Écosse est un pays qui veut partager non seulement sa démocratie, mais aussi sa culture. Être Écossais c’est vivre en Écosse. Cet appel que j’ai reçu, cette volonté de faire une différence au niveau démocratique, d’être invité à le faire, je pense résonne beaucoup pour les générations futures, pour une Écosse moderne, une Écosse européenne et une Écosse du XXIe siècle.
Je veux finir sur cette idée que l’autonomie et l’indépendance ne sont pas pour des gens d’une certaine ethnicité mais surtout, dans le XXIe siècle, où tout le monde se marrie ensemble, ou les migrations deviennent de plus en plus importantes, que c’est surtout un peuple et un territoire, une culture, c’est ça l’Écosse ! Venez en Écosse, découvrir notre territoire, notre peuple, et ce que nous voulons faire dans le futur. •