L’actualité internationale n’en finit pas de rebattre les cartes à travers des conflits multiples. Après la situation au Mali la semaine dernière, Arritti poursuit son tour d’horizon avec le cas de l’Ukraine.
Le conflit ukrainien rythme l’actualité européenne depuis les années 90 et la chute du mur de Berlin. 32 ans après, il est encore le « point chaud » dont on peut craindre un embrasement non maîtrisé, d’autant que la Russie de Vladimir Poutine a retrouvé une bonne partie de ses attributs de « grande puissance » trois décennies après l’effondrement de l’Union soviétique. Les rumeurs bruissent depuis plusieurs semaines d’une invasion prochaine de l’armée russe en territoire ukrainien.
Avec 44 millions d’habitants sur 600.000 km2 (un peu plus que la France), l’Ukraine est un pays qui a toujours compté dans l’Histoire de l’Europe, d’autant plus que son territoire est formé en grande partie de vastes plaines réputées pour leur fertilité. Ce grenier à blé a été convoité par ses voisins, et son Histoire est faite d’invasions et de résistances, contre le Royaume de Pologne, l’Empire austro-hongrois ou le Tzar de Russie.
Face à la Russie alors puissance dominante, un tournant a lieu en 1917 quand se produit la révolution bolchévique. Dans ce contexte agité, la Russie ne peut empêcher l’affirmation politique d’un Etat ukrainien indépendant qui rejoint alors le concert des nations au lendemain de la Grande Guerre.
Cette indépendance sera de courte durée et l’armée rouge envahit l’Ukraine dans les années qui suivent. Elle devient alors en 1922 une des toutes premières Républiques Socialistes Soviétiques au sein de l’ex-URSS, jusqu’à la chute du mur de Berlin et l’effondrement du Bloc de l’Est en 1990. Depuis elle est l’enjeu principal d’une lutte d’influence féroce entre la Russie et l’ensemble occidental regroupé au sein de l’Otan.
Ce conflit international a créé une division politique au sein de l’État ukrainien, qui est aussi une division territoriale et linguistique entre les populations russophones vivant dans l’Est, près de la frontière russe, et le reste du pays où l’ukrainien, langue longtemps interdite, a retrouvé son statut de langue officielle.
Les deux camps se sont disputés la tête de l’État, gagnant alternativement une majorité des voix lors des élections, tandis que les rues de la capitale Kiev et de plusieurs grandes villes de l’Ouest du pays ont été le théâtre de deux grandes « révolutions ». La révolution orange a eu lieu en 2004, à la suite de fraudes électorales qui avaient dans un premier temps accordé la victoire au candidat pro-russe, provoquant d’immenses manifestations de rue jusqu’à ce que l’élection soit refaite et attribue la victoire au candidat pro-occidental. Ce qui n’empêcha pas l’autre camp de gagner les élections suivantes en 2010 en portant au pouvoir un « pro-russe » qui s’attacha à remettre en cause les orientations pro-occidentales de son prédécesseur. Le refus par le nouveau pouvoir de ratifier les accords de rapprochement avec l’Union Européenne provoqua alors une nouvelle révolution populaire qui a renversé le gouvernement pro-russe en 2013.
Moscou a accusé l’Europe et les États Unis d’être derrière cette révolution, et, aussitôt, les pro-russes ont fait proclamer l’indépendance de la Crimée, territoire hybride dont la capitale Sebastopol est une immense base militaire russe depuis des décennies, et dont le peuplement autochtone est principalement tatar, peuple turcophone de la Mer Noire, minoritaire désormais. Un an plus tard, la Crimée a intègré la Fédération de Russie, et Moscou a fait construire un immense pont pour rattacher de façon effective la péninsule à son territoire. Dans le même temps les territoires de l’est de l’Ukraine sont entrés en sécession, et a commencé la guerre du Donbass qui a fait à ce jour plus de 10.000 morts entre l’armée ukrainienne et des milices armées soutenues par les militaires russes.
Ne pouvant plus espérer une alternance pro-russe à Kiev après la sécession du Donbass, Moscou a décidé de retrouver son influence en montant les enchères internationales à propos de l’Ukraine pour empêcher son basculement définitif dans l’autre camp, celui de l’Otan. Moscou fait peser la menace militaire depuis les dernières semaines ; et, on ne peut exclure qu’il envisage de passer de la menace à l’offensive militaire effective dans les semaines à venir.
Les limites de l’Europe en Ukraine sont économiques, diplomatiques et géographiques.
Géographiquement, outre la distance et l’immensité de la zone de conflit potentiel, aucune intervention directe n’est envisageable. Or, si un conflit est déclenché, le poids diplomatique dépendra pour l’essentiel du poids militaire. L’Europe peut bien contribuer à renforcer la capacité militaire ukrainienne en lui fournissant des armements, mais elle ne peut guère aller au-delà. Et on pressent que cela pourrait bien ne pas être suffisant.
Reste donc l’arme économique. L’économie russe, et donc la capacité de Poutine à se déployer militairement sur plusieurs points de la planète, est dépendante en grande partie de ses ventes de gaz à l’Union Européenne dont le marché absorbe une grande partie des exportations russes via plusieurs gazoducs dont le principal d’entre eux traverse justement l’Ukraine. Pour la Russie, il n’y a pas de marché alternatif, et la perte de ce marché européen serait très grave. L’Europe serait elle aussi affectée par la perte de cet approvisionnement stratégique, mais elle peut trouver des alternatives plus facilement pour se fournir en énergie que Moscou pour exporter son gaz.
Cette situation d’avantage stratégique grâce à l’arme économique suffira-t-elle à enrayer la dynamique guerrière qui se manifeste aux frontières de l’Ukraine, qui sont aussi les frontières de l’Europe ? La réponse interviendra dans les semaines à venir. •