La Politique Agricole Commune engage un tiers des dépenses du budget européen. Ses résultats sont mauvais sur ce qui constitue aujourd’hui la principale préoccupation d’avenir, l’écologie. La biodiversité recule encore et toujours. Par exemple, les oiseaux ont perdu un tiers de leurs effectifs en zone agricole depuis 1990, alors que les effectifs sont stables en milieu forestier. Autre statistique consternante : les rejets de gaz à effet de serre ont beaucoup moins reculé dans l’agriculture que dans l’industrie, l’habitat ou l’énergie, compromettant ainsi l’efficacité de la lutte contre le réchauffement climatique.
Le Parlement Européen a voté lors de sa session de novembre en faveur de la PAC 2023-2027. Mais ce vote restera comme un contre-sens face aux responsabilités qui sont désormais celles de l’Union Européenne.
Lancée en 2018 par la Commission Européenne, pour une première application en 2021, cette nouvelle PAC accuse un retard de deux années au démarrage. Cela tient à des considérations techniques, liées dans un premier temps au renouvellement du Parlement Européen en mai 2019, ce qui a conduit à repartir de zéro ou presque dans le processus de décision, et aussi aux contraintes sanitaires du Covid qui ont ralenti les négociations. Mais cette nouvelle PAC aurait dû être prête pour 2021, ce retard a conduit à prolonger la précédente deux années durant, et il est prévu qu’elle n’entre en vigueur qu’en 2023.
Entre son lancement en 2018, et son application en 2023, cinq années sont donc passées qui ont considérablement changé le contexte de cette PAC. Élue en septembre 2019, la nouvelle Commission Européenne, présidée par Ursula von der Leyen a lancé le « Green New Deal », programme ambitieux de renforcement des objectifs écologiques de l’UE. Ainsi l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour 2030, qui était jusqu’à présent de -40 % par rapport à 1990, a été réévalué à -55 %, ce qui est un renforcement considérable. Or l’agriculture entre pour plus de 10 % dans les émissions de gaz à effet de serre et cette part augmente régulièrement car les autres secteurs (énergie, transport, etc.) sont beaucoup efficaces dans leurs efforts. Très clairement, sans modification de modèle agricole, les chances d’atteindre les nouveaux objectifs sont compromises, et c’est encore beaucoup plus évident pour ce qui est des objectifs en termes de biodiversité.
En fait, les autorités européennes, prises par le temps et par les pressions très fortes des lobbys agricoles, ont considéré qu’il fallait conclure cette négociation et qu’on ne pouvait repousser davantage l’adoption de la PAC. La pression des États et des lobbys, très présents au Parlement Européen dans les groupes de droite et libéraux, mais aussi dans les délégations espagnoles et italiennes chez les socialistes, comme irlandaise au sein de l’ex-GUE, a obtenu ce vote. La rupture n’a pas eu lieu. En choisissant de voter cette PAC anachronique, l’Europe a validé une continuité consternante.
Cependant il y aura, dans les années à venir, de nouveaux rendez-vous sur lesquels nous pourrons nous battre.
Première étape, dans six mois, quand les États auront à faire valider leurs « Plans Stratégiques Nationaux ». C’est une procédure nouvelle qui oblige les États à démontrer la compatibilité de leur déclinaison nationale de la PAC avec les objectifs actuels de l’Union Européenne. Parmi ceux-ci, un rapport de la Commission, amendé et voté par le Parlement Européen le 20 octobre 2021 définit « une stratégie de la Ferme à la Fourchette, pour un système alimentaire équitable et compatible avec la santé et l’environnement ». Celui-là a bien sûr été voté par le groupe Verts-ALE. Il prévoit des orientations beaucoup plus contraignantes : division par deux des pesticides, action sur la fertilité structurelle des sols, moins 20% d’engrais, moins 50% d’antibiotiques dans les élevages, augmentation de 25% des surfaces consacrées à l’agriculture biologique.
Son rôle sera encore plus fort en 2025 quand les résultats environnementaux des politiques agricoles communes seront évalués et les États qui seront obligés de réviser leurs choix s’ils ne sont pas bons. Là encore c’est le contenu de « Farm to Falk » qui sera la grille de lecture.
À chaque étape il faudra un bras de fer entre lobbys qui voudront prolonger la PAC du passé, et les défenseurs de l’environnement, de la petite paysannerie et des terroirs.
Parmi les députés qui ont voté pour, beaucoup l’ont fait par discipline de groupe ou par consigne nationale. Pas sûr que nous resterons minoritaires lors du prochain match !
Nous avons été une minorité à voter contre la PAC, mais le rapport de forces pourrait changer lors des prochains combats. •
François Alfonsi.
La PAC en quelques chiffres (source Greenpeace)
Créée en 1962, la PAC représente 40 % du budget européen établi sur 7 ans. Deux piliers :
– Premier pilier, plus des 2/3, consacré aux aides directes aux agriculteurs dont 85 % distribués en fonction de la surface des fermes (plus les fermes sont grandes, plus elles perçoivent d’aides). 15 % restant en fonction de la production.
– Second pilier consacré au développement rural (modernisation des exploitations agricoles, aides à l’installation, luttes contre les handicaps naturels [zones de montagne], aide à l’agriculture biologique…). Ce second pilier introduit en 1999 est cofinancé par les États membres et dépendent de leur bon vouloir.
La PAC soutient donc un modèle industriel, productiviste et polluant au détriment d’une agriculture écologique et à taille humaine.
Ainsi, en 2015, 1,5 % des bénéficiaires a touché 32 % du montant total des aides. •
La position du groupe Verts-ALE
Le Parlement européen a adopté la nouvelle Politique Agricole Commune. La droite et le centre ont voté favorablement, les écologistes et une partie de la gauche européenne ont voté contre, dénonçant le non-respect des impératifs environnementaux. Le groupe Verts-ALE a dénoncé le manque de cohérence avec le « Pacte vert » de l’Union européenne, dans une PAC qui ne permet même pas de vérifier l’impact « des milliards investis sur le terrain » et qui est « une double peine » pour le monde agricole, continuant de soutenir des politiques qui impactent le climat, la biodiversité, la santé au lieu d’accompagner une politique « plus résiliente sur ces enjeux » tout en soutenant le revenu des agriculteurs en difficulté. L’eurodéputé de la Corse François Alfonsi a expliqué le vote de son groupe lors de l’intervention en séance plénière. Pour Yannick Jadot, le combat n’est pas perdu, il invite désormais à combattre la PAC au niveau national.
François Alfonsi
« La Politique Agricole Commune qui nous est proposée aujourd’hui est un document dépassé qui engage très négativement l’Europe. L’Europe a pris de nouveaux engagements contre le réchauffement climatique. Cette PAC, en parfaite continuité de la précédente, les ignore ouvertement. Parmi les urgences auxquelles il fallait répondre, il y a l’impact territorial des politiques agricoles productivistes que la PAC continuera d’encourager. Ses conséquences, ce sont des territoires défigurés et désertifiés. Ils le sont du fait de l’hyperproductivisme qui détruit les sols et les paysages et qui expulse économiquement le plus grand nombre des paysans des zones agricoles intensives. Ils le sont aussi du fait d’immenses territoires abandonnés car jugés trop peu compatibles avec le modèle agricole dominant avec, là encore, la perte de leurs paysages et aussi de leur population car l’agriculture est le pilier de leur économie traditionnelle. Il fallait une PAC réconciliée avec la nature, réconciliée avec ses territoires, et efficace contre le réchauffement climatique. Votre proposition de PAC n’apporte aucune rupture avec le passé sur aucun de ces sujets vitaux. Nous voterons contre et nous la combattrons. » •
Yannick Jadot
« La Politique Agricole Commune c’est l’une des plus anciennes et des plus importantes politiques pour l’Europe. Celle qui a permis notre sécurité alimentaire, mais aujourd’hui c’est une politique qui précarise les paysans et en font disparaître énormément. C’est une politique qui concentre l’aide sur quelques agriculteurs, c’est une politique qui participe du dérèglement climatique, des pertes de la biodiversité et de la souffrance animale. C’est pour ça que la renégociation de la PAC qui a été votée aujourd’hui était aussi importante. Malgré des années de mobilisation, les écologistes n’ont pas obtenu à l’échelle européenne les bons résultats, mais le combat n’est pas perdu à l’échelle nationale. Chaque État devra maintenant développer sa stratégie agricole nationale. Cette stratégie on la fera sous présidence écologiste, présidence écologiste de la France, Présidence écologiste de l’Europe. Nous mettrons les paysannes et les paysans, nous mettrons la biodiversité et le climat, le bienêtre animal, l’aménagement de nos territoires, au cœur d’une vraie politique agricole et alimentaire contrôlée, organisée, pensée avec les citoyennes et les citoyens. » •