Commissions anti-mafia de l’Assemblée de Corse

Relevé de conclusion des travaux par le collectif A Maffia Nò A Vita Iè

« On entend par “dérives mafieuses” toute forme de crime ou de délit, ou tout comportement, émanant de groupes appartenant à la sphère de la criminalité organisée, et usant de violence ou contrainte, ou menaçant de le faire, pour influer sur les choix individuels et collectifs des citoyens ; et/ou des décideurs, et/ou des élus, et de la société corse, notamment dans la sphère économique et/ou politique » introduit le relevé de conclusion des travaux des commissions anti-mafia de l’Assemblée de Corse par le Collectif A Maffia Nò A Vita Iè. Même si les deux collectifs anti-mafia précisent pour leur part qu’il faut parler franchement d’emprise mafieuse sur la société, et non pas de « dérives mafieuses », les travaux menés ont été sérieux et sont une première en Corse, mais aussi en France, pour lutter contre ce fléau.

 

 

 

Auditions de personnalités, contributions, ateliers, débats, associant organes de la Collectivité de Corse et forces vives (associations ABCDE, Avà Basta, Ligue des Droits de l’Homme, Plateforme citoyenne, U Levante, Zéro Frazu, ainsi que les deux collectifs anti mafia et le CESEC de Corse), ont fait suite à la session spéciale et à la délibération de l’Assemblée de Corse adoptée le 18 novembre 2023 qui affirmait « l’aspiration du Peuple corse à vivre dans une société libre, démocratique, et apaisée », « aspiration menacée par un phénomène de “dérives mafieuses” qui est allé en s’aggravant depuis des décennies ». L’Assemblée dénonce clairement l’existence d’une criminalité organisée à l’œuvre dans l’Île.

Cinq ateliers thématiques ont été mis en place : « Ethique et politiques publiques », « Secteurs économiques particulièrement exposés », « Drogues, commerces illicites », « Dérives mafieuses : instruments d’analyse et de quantification, procédure, droit et politique pénale », « Enjeux éducatifs, culturels et sociétaux ».

La notion de criminalité organisée intègre trois catégories, au moins, de criminalités : une criminalité de type mafieux, utilisant la violence, considérée comme l’archétype de la criminalité organisée… souvent analysée comme terrifiante et présentant une sérieuse menace pour l’ordre politique, social, économique, culturel… Une criminalité de type politico-administratif, actuellement d’actualité avec les irrégularités dans le fonctionnement des marchés publics, les détournements au profit des partis politiques et la corruption. Une criminalité plus strictement économique et financière impliquant le monde des entreprises pour des illégalités fiscales, douanières, boursières… incluant ou non des opérations de blanchiment.

Plusieurs mesures ont été identifiées pour lutter contre cette criminalité.

 

À l’adresse des responsables de l’État

Le statut de repenti, le délit d’association mafieuse, la comparution des mafieux soupçonnés de crimes devant une Cour d’assise composée de magistrats professionnels au lieu des jurys populaires. La confiscation des avoirs et des biens mal acquis dont les mafieux ont la jouissance, un délai de carence imposé aux personnes condamnées avant qu’elles ne puissent reprendre des responsabilités publiques ou entrepreneuriales, l’adaptation de l’arsenal fiscal et des opérateurs de l’état aux nouvelles réalités. Le remplacement de la déclaration d’impôt sur le revenu par une déclaration annuelle du patrimoine de toute nature (du RSA aux chevaux de course, parts sociales de SCI, etc). L’allongement des délais de prescription, le recours à l’intelligence artificielle pour détecter les mouvements d’argent suspects. L’adhésion au dispositif italien « l’indagine patrimoniale » qui permet d’étudier le patrimoine pas seulement du criminel en son nom propre, mais également de ses proches, de prête-noms, avec la possibilité de saisie. Le renforcement des instruments de détection par le caractère obligatoire des déclarations de suspicion pour les notaires et les banques. Une transparence accrue dans les actes des collectivités locales. La refonte des procédures d’urbanisme. La mise en œuvre les préconisations de la SAFER développées dans son plan zéro friche. Dans les marchés publics la modification de la liste des pièces à produire, la fourniture d’un extrait de casier judiciaire pour les soumissions en nom propre étendu à tous les associés et aux actionnaires. La possibilité pour les élus de rejeter les soumissionnaires qui ont été condamnés à des peines pour trafic de drogues et infractions dans la sphère publique. L’introduction d’une demande collective, incluant toutes les parties engagées dans les travaux sur les dérives mafieuses, auprès des ministères intéressés, afin d’avoir accès au rapport réalisé par la JIRS, et plus globalement de demander aux services de l’État de faire preuve de collaboration et de transparence en matière d’information. Notamment la communication des rapports SIRASCO. Un audit du dispositif mis en place par le ministère de l’Intérieur (1) pour recueillir les déclarations de victimes de racket afin d’en mesurer son efficacité et obtenir les données liées à celui-ci (nombre de cas recensés, profils des personnes ayant utilisé cet outil, territoires concernés). La transmission par le ministère de l’Intérieur au groupe de travail des données anonymisées sur la réalité des drogues et commerces illicites en Corse, afin de permettre aux acteurs compétents en matière de prévention et d’éducation (administration territoriale mais également d’autres services de l’État, ou des structures associatives financées notamment par l’État) de pouvoir mener des politiques en adéquation et pertinentes. La possibilité à tous les chercheurs universitaires d’avoir accès à tous documents (rapports, jugements) concernant le crime organisé comme c’est le cas en Italie de façon à générer des études sociologiques et juridiques fiables.

 

Ce qui est possible pour la CdC sans modification majeure de la loi

La protection de la sphère publique notamment sur les secteurs extrêmement sensibles : déchets, urbanisme, BTP, sans pour cela ne rien exclure, notamment le foncier, les transports, l’eau. La dilution des responsabilités, les directeurs des agences et offices sont des ordonnateurs au même titre que le président de l’Exécutif, le non-respect du droit et l’exécution des décisions de justice sont transgressées et ces organismes qualifiés d’EPA à l’exception de l’OEHC avec certaines réserves cumulent les avantages des EPA sur le plan comptable et des EPCI sur le recrutement du personnel. Les membres présents de l’atelier 2, à l’unanimité, adhèrent et déclarent qu’il est temps de recentrer la responsabilité au niveau de l’organisation territoriale au plus près du conseil exécutif. Ils demandent la suppression des agences et offices et l’intégration de leurs fonctions dans les grandes directions des services de la CdC.

Ces compétences doivent être exclusivement gérées sous la seule responsabilité du président du conseil exécutif de la CdC. Une Charte Ethique pour les élus et les fonctionnaires d’état et territoriaux, sur le modèle de celle préconisée par les associations anticorruption (ANTICOR et Transparency International) doit être adoptée par l’assemblée de Corse.

 

La participation citoyenne

Il est nécessaire aussi d’associer le citoyen à la fabrication et au suivi d’une politique anti-mafia, avec trois propositions majeures :

– Instituer un référendum révocatoire sur la base du recueil de plus de 25 % des signatures des électrices et électeurs figurant sur les listes électorales corses.

– Rendre le citoyen acteur et élément incontournable de la gestion publique en l’informant plus en amont. Exemple : accès simplifié à tous documents relatifs à la sphère publique et à toute la commande publique qui ne doit pas être réservé aux seuls initiés.

– Identifier des secteurs particulièrement sensibles considérés par l’ensemble des participants comme l’une des racines de l’emprise mafieuse : marchés publics, Urbanisme, foncier, gestion des déchets, de l’eau, des transports.

« Plusieurs de ces grands secteurs, sont déjà sous l’emprise mafieuse. La sécurisation des procédures relevant de la sphère publique devient par conséquent indispensable et prioritaire » précise le relevé de conclusion, « ils sont emblématiques de l’exemplarité que cela constituerait pour démontrer la volonté de nos instances élues de s’attaquer à l’emprise mafieuse sur tous ces secteurs d’activités ».

 

Concernant les marchés publics : Publication sur les sites de la CdC de l’ensemble des informations relatives aux marchés publics : critères permettant la soumission des offres, liste des entreprises soumissionnaires, entreprises attributaires et motifs de l’attribution, vote à l’unanimité ou à la majorité.

 

Concernant l’urbanisme : Déférer tout document d’urbanisme et toute autorisation d’urbanisme (au-delà de certains seuils de criticité à définir) qui contreviendrait manifestement aux dispositions du Padduc, par exemple, via un pôle anti-spéculation à la CdC. Inciter plus activement les communes à adopter un PLU compatible avec le Padduc, les EPCI à réaliser des Scot compatibles également avec le Padduc, avec des sanctions pour les réfractaires.

La CdC et les services de l’État doivent être extrêmement vigilants sur la mise en application des dispositifs déjà existants et multiplier les contrôles par exemple : avis du conseil des sites de Corse pour tous les permis de construire affectant les sites, les paysages sensibles et les milieux naturels.

Communication à la CTPENAF (commission territoriale de la préservation des espaces naturels agricoles et forestiers) des autorisations d’urbanisme dans les communes sans document d’urbanisme, pour avis conforme. Application rigoureuse par l’État du règlement national d’urbanisme et de la loi Littoral aux communes du littoral sans document d’urbanisme, en exerçant un contrôle de légalité beaucoup plus systématique sur les autorisations délivrées par les communes dotées d’un document d’urbanisme.

Contrôle  de l’urbanisation sur les terres agricoles exclusivement réservé à l’outil de travail et à la rénovation du bâti existant destiné à la résidence principale de l’agriculteur.

 

Concernant les déchets : une gestion entièrement publique des déchets et des installations structurantes de traitement des déchets y compris le sur-tri sous la responsabilité d’une direction de la CdC et suppression du Syvadec au bénéfice de régies publiques locales. Inscription concrète et précise de la gestion publique, transport compris, dans le PTPGD (plan Déchets). Régionalisation des services de l’État notamment fiscale/urbanisme/contrôle de légalité avec des grandes plateformes de compétences.

« Le droit doit être dit de la même manière du nord au sud de l’est à l’ouest de la Corse » précise encore le compte-rendu des travaux. Se donner les moyens de faire appliquer le droit et jouer pleinement son rôle de contrôle, en renforçant les effectifs de la CRCC, du contrôle de légalité très déficient, de l’urbanisme. Faire respecter le droit et l’exécution des décisions de justice tous secteurs confondus et notamment tout ce qui relève de la sphère publique.

En réalisant une étude approfondie sur l’impact de la drogue et commerces illicites sur la Corse : à l’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives en France) : que la fiche de la Corse soit davantage renseignée et décrive un portrait fidèle de la réalité ; à l’IHEMI (Institut des hautes études du ministère de l’intérieur) mener une étude sur la Corse, avec un focus sur les drogues et les commerces illicites (comme cela a pu être réalisé sur trafic de cocaïne en Guyane). Identifier mieux ce qui relève de la protection de la société civile par une meilleure dentification et un ciblage des secteurs économiques particulièrement exposés victimes des dérives mafieuses et /ou de la main mise mafieuse : BTP, commerces de tourisme. « Il est apparu que dans l’entreprenariat le racket et l’intimidation prenaient des proportions inacceptables et qu’il fallait protéger ces acteurs de la société civile des emprises mafieuses. En mettant l’accent sur la prévention et en protégeant et accompagnant les citoyens victimes des effets collatéraux majeurs de l’emprise mafieuse, de la drogue  et des commerces illicites. »

 

Pour la mise en œuvre de ces propositions, il est préconisé la mise en place d’un Comité de pilotage dédié, composé de sociologues spécialistes des questions de drogues et des commerces illicites, en lançant un appel à projets, à l’instar d’autres collectivités qui mobilisent ainsi des laboratoires de recherches universitaires sur des questions particulières ; en se saisissant des questions des politiques de la ville et le lien entre elles et certaines problématiques ; en retenant l’éducation à la légalité comme un axe clé des actions à mener et en renforçant les actions de prévention auprès des publics jeunes, et des dispositifs déjà existant (DAJ).

Publier aussi un appel à manifestation d’intérêt (AMI) en se référant notamment sur les activités de prévention de Libera (2) qui prône la rencontre entre les jeunes et les personnes directement concernées (victimes ou proches de victimes). Construire de nouveaux moyens pour aller à la rencontre des jeunes, en alliant l’innovation et la langue corse. Construire des outils de prévention pédagogiques qui pourraient être mobilisables par tous les acteurs jeunesse, avec ou sans une courte formation que la Collectivité de Corse pourrait assurer (par ses agents ou par les acteurs retenus par AMI).

Former des acteurs jeunesse à ces enjeux. Garder en tête que l’éducation à l’égalité peut se faire tout au long de la vie. Penser à des moyens de communiquer à ce sujet auprès de tous les autres publics. Veiller sur les messages diffusés par la Collectivité de Corse sur l’événementiel à son initiative et à celles des productions et ou toute action soutenue par les deniers publics tout en respectant la liberté de création en prenant conscience de l’impact que cela peut avoir sur l’imaginaire collectif et surtout sur les jeunes et en ne véhiculant pas de messages en contradiction en matière de drogues et de commerces illicites. Étudier plus précisément les actions de Libera pour les déployer en Corse.

Une mission d’étude pourrait être organisée en Sicile, avec les parties prenantes des collectifs, tout en organisant des réunions de travail thématiques et techniques en y conviant également les directions concernées au sein de l’administration territoriale.

 

Pour l’avenir et la pérennisation de l’engagement anti Mafia

Les collectifs anti-mafia ont été longtemps préoccupés de la faible implication des élus de la Corse dans la lutte contre les “dérives mafieuses”. Ils se félicitent du constat posé et des propositions concrètes qui ont émergé, la majorité des élus corses a enfin pris en compte la priorité qui doit être accordée à cette question. Leur volonté a été clairement affirmée lors de l’assemblée générale de Femu a Corsica consacrée à l’Autonomie par le président de l’Exécutif Gilles Simeoni et la présidente de l’Assemblée de Corse Marie-Antoinette Maupertuis.

Pour les collectifs anti-mafia, l’objectif est de protéger les élus des pressions qui s’exercent sur eux, ce qui passe évidemment par leur propre prise de responsabilité en la matière en se détournant de la politique de l’autruche.

Reste à imaginer le dispositif qui permettra aux associations citoyennes et aux collectifs anti-mafia, de suivre la prise en charge de ses demandes et d’informer la population de l’avancement des dispositions arrêtées. •

 

  1. Contact : pjcorse-extorsion@interieur.gouv.fr
  2. ONG sicilienne anti-mafia et écologique.

 

Compte-rendu plus complet sur le site maffiano.com