La Fédération R&PS organisait cette année son Université d’été et son congrès à Lorient, en Bretagne, du 21 au 23 août, et dans un contexte inédit. La crise sanitaire s’est imposée, mais dans une zone de Bretagne plutôt épargnée par le virus, et avec une organisation bien menée, permettant le respect continu des gestes barrières, le rendez-vous a été maintenu avec une franche réussite. Une innovation avec la retransmission en live, permettant de suivre les débats en présentiel mais aussi à distance, une première pour la Fédération qui entend reproduire l’expérience. Plus d’une centaine de congressistes avaient fait le déplacement.
Le thème cette année « Autonomie et interdépendance » avec trois débats au cœur des problématiques actuelles.
Premier débat, « La résilience territoriale », avec les territoires « comme acteurs principaux et essentiels du monde d’après », animé par Gaël Briand, rédacteur en chef de notre confrère Le Peuple Breton et quatre intervenants pour rappeler le lien entre culture et nature. Damien Deville, géo anthropologue pour dénoncer les velléités d’uniformisation. Alain Le Sann, secrétaire du Collectif Pêche et Développement pour creuser la question de l’écologie sans complaisance avec l’exemple de la pêche : « une écologie qui intègre ou une écologie qui exclut ? ». Josiane Ubaud, ethnobotaniste, pour reconstruire le lien entre homme et nature. Bernard Cano, agriculteur, venu expliquer comment « construire des filières écologiques endogènes » à travers l’exemple de l’agroalimentaire.
Auteur d’un ouvrage qui fait lien entre peuples et écologie, Damien Deville réinterroge le lien avec la terre, combat l’uniformisation des territoires et des paysages, loue la diversité du vivant, des peuples, des cultures. Il parle du vrai monde, dénaturé par nos sociétés destructrices de liens, appelle à se reconnecter avec sa diversité, dénonce les logiques de centralisation, de déterritorialisation, les travers des pôles de compétitivité : « le capitalisme ce n’est pas seulement les inégalités, c’est un impérialisme qui mange la diversité de ses territoires ».
Envisager les territoires non pas comme échelon administratif mais comme des lieux de vie avec leur écosystème de diversités, Damien Deville propose trois piliers :
– assumer la vulnérabilité et la placer au cœur de chaque espèce. « Vivre par », la couleur de la terre où l’on a grandi, les couleurs dans lesquels on a évolué, « vivre pour », « vivre avec ».
– « Créer des politiques de la rencontre », l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’on voudrait qu’il soit, miser sur des désaccords et sur des complémentarités, par opposition au capitalisme qui écrase les différences.
– La justice enfin, pour replacer les relations à sa lumière, créer de l’émancipation. C’est vrai pour les hommes, les peuples, les territoires. Et d’insister sur les luttes :
1/ anthropologiques, les équilibres écosystémiques à préserver (Peuls en Afrique, ND Landes en Bretagne…).
2/ La cause animale, non pas comment protéger telle ou telle espèce, mais comment vivre avec elle.
3/ la création d’espaces pour mieux lutter (cela va par exemple de SOS Méditerranée, aux jardins partagés dans les villes, etc.).
Actrice des Liens nature, culture, environnement, Josiane Ubaud parle de la dépossession des savoirs, de l’histoire, des racines des peuples. Sous l’angle de l’ethnobotanisme, elle démontre la pertinence de la gestion des territoires par nos anciens, leurs relations intimes, humaines, avec ce territoire. Et de citer les cultures associées de l’agroforesterie, un concept ancré depuis le 15e siècle au moins, l’association de légumes et fruits, légumes et fleurs, légumes entre eux… l’utilisation des engrais et autres traitements naturels extrêmement efficaces. Chì tanti pesticides ! La pratique ancestrale et permanente du recyclage de toutes matières vertes. Idem pour la gestion de l’eau, ces paysages tenus par des murets de pierres sèches, les rigoles pour conduire l’eau, les puits, les pratiques de nos anciens contre le gaspillage, la plantation de végétaux adaptés à la sècheresse.
« Les cultures populaires sont guidées par le bon sens » dit Josiane Ubaud, qui dénonce : « on a coupé l’envie de transmettre en dénigrant ces savoirs appelés croyances et repliement passéiste. »
Conséquences ? Dans l’agroalimentaire, « on a des nuggets et des carrés de poisson » ! On se transforme en « consommateurs de distance » avec un « besoin effréné de consommer du kilomètre ». Mais « la crise sanitaire doit changer les paradigmes ». Elle prône les circuits courts, « le trio nature/culture/langue génère de l’économie locale et au-delà, une plus-value gustative et de qualité ».
Josiane Ubaud prône aussi « la linguidiversité au même titre que la biodiversité » et dénonce « le rejet de nos dirigeants jacobins de cette diversité culturelle », encensée sous forme folklorique, jusque dans la toponymie.
Alain le Sann appelle à « protéger la biodiversité des océans », certes, mais avec un acteur essentiel : l’homme. Il met en garde contre « l’économie bleue » ou la « croissance bleue » et l’armée de « grandes ONG, de multinationales, de banques, de biologistes » qui supplante les véritables acteurs d’une meilleure gestion de la ressource : les pêcheurs. Il loue leur « culture spécifique et leur connaissance intime de la mer ».
« On incrimine les pêcheurs, on les exclut, on leur met sur le dos toute la responsabilité de l’affaiblissement de la ressource », et parallèlement « on favorise des activités lucratives, comme les extractions de matériaux, qui contribuent davantage à la dégradation des océans ». Et de faire le parallèle avec la création des grands parcs qui ont exclu les hommes, Yellowstone aux États-Unis ou la colonisation de l’Afrique où, sous couvert de protéger la biodiversité, on a développé des activités beaucoup plus destructrices que ne l’étaient les populations implantées. « On a expulsé 40M de personnes pour créer ces grands parcs ! »
Même chose pour les océans où l’on veut aujourd’hui exclure les hommes de 70 % de ceux-ci, « abandonnant les fonds marins aux exploitations gaz, pétrole, extraction de minerais, de sables… On ne pourra pas sauver les océans sans recours aux savoirs des pêcheurs » dit Alain Le Sann, « il faut construire des compromis en reconnaissant les droits et les responsabilités des pêcheurs, passer aux géosystèmes, plus qu’aux écosystèmes. Sortir des diktat (quotas). Engager des processus qui prennent en compte l’adaptation. Ne pas transférer à la mer les pratiques terrestres (zones). Lutter en priorité contre les dégradations qui viennent de la terre. » De quoi susciter le débat dans la salle. Didier Cherel, notamment, représentant EELV s’offusque : « pêcheurs, pêche industrielle et armateurs, ont participé à l’épuisement de la ressource. Bien sûr il faut mieux écouter le monde de la pêche, mais mettre dos à dos ceux qui participent à l’affaiblissement de la ressource avec ceux qui dénoncent la surpêche, on se trompe. » Il est applaudi. Alain Le Sann rectifie, il dénonce les gros armateurs mais souligne combien le monde de la pêche a progressé dans la prise en compte de la vulnérabilité de la ressource : « Dénoncer la pêche industrielle destructrice, oui, mais ne pas la démolir lorsqu’elle s’est assagie car elle est un complément indispensable avec la pêche côtière » qui, menacée dans ses espaces, va voir arriver une concurrence contre laquelle elle ne pourra pas lutter. Il dénonce « les grandes ONG environnementalistes qui ont pris le pouvoir comme Bloom », qui ne parle pas de nature, mais de « capital » naturel. À ne pas confondre donc avec les associations environnementales indispensables à la démocratie et à la défense de l’environnement.
Pour Bernard Cano, l’agriculture bretonne est spécialisée dans les productions animales intensives et hors sol. Tout ce qu’il ne faut pas faire. Alors que, bien sûr « on peut faire autrement » ! Même si « c’est très dur de changer les choses face à la compétition mondiale. »
Problème : les paysans ne sont pas consultés, ils sont enfermés dans une dépendance aux produits phytosanitaires, dans l’atomisation des marchés et des productions. Pour Bernard Cano, « il faut autonomiser le paysan, c’est une question de volonté politique. » Pour cela, là aussi, diversifier ! « Notre agriculture est dépendante du soja, consommateur d’eau », « nous sommes dépendants du Brésil et des céréales qui viennent d’ailleurs, c’est une agriculture dépendante des matières premières et des marchés de l’export, donc fragile. » La revendication des consommateurs se traduit en matière d’environnement par des choix politiques nouveaux et plus en faveur de l’écologie. « La Bretagne peut et doit penser à diversifier son agriculture pour produire du végétal. » Pour cela, agir sur la formation. Comme pour les pêcheurs, les agriculteurs possèdent la connaissance, et doivent se la réapproprier, être mieux reconnus comme acteurs du développement. Gestion de l’eau, maitrise des semences et des engrais… « puiser dans nos savoirs. »
Bernard Cano aussi fait le parallèle avec la langue : « j’ai vécu dans un monde où Le Breton était la première langue, et faire le lien entre terre et langue c’est pour moi rester dans le sujet. Ce qui se sont acharnés contre nos langues ce sont de pauvres monolingues, des demeurés qui ne sont pas capables de s’exprimer autrement qu’en français. Parler sa langue ça donne du ressort qu’il faut cultiver. »
Le débat pose la question de la définition de l’agriculture biologique, de l’empreinte carbone, de la culture hydrique, et de ces différences avec une culture conventionnelle. Avec les néonicotinoïdes, on est dans un simplisme volontaire, « le phyto détruit la microflore, et la composition du vivant. Il faut apporter aux agriculteurs de meilleurs outils, plus respectueux de l’environnement. »
Pour la salle, donc, « ça n’est pas on peut changer les choses, mais il faut changer les choses. L’agriculture du futur c’est une agriculture sans produits phytosanitaires. »
Jordi Vera, de Oui au Pays Catalan rappelle que la diversité des fruits et produits, utile à la qualité et à la lutte contre les maladies, était défendu par les grossistes. « Puis les ingénieurs ont pris le pouvoir » et ont concentré les cultures sur deux types de pommes résistantes par exemple. « On a assisté à la régression des autres types de produits. On a simplifié la production. C’est vrai pour les pommes mais aussi toutes sortes d’autres produits. »
Les centrales d’achats ont simplifié leurs activités. « L’agriculture devrait revenir à la diversité. »
Pour Pierre Fourel de l’Union Démocratique Bretonne, « nos langues sont comme nos produits agricoles, détruites au nom de cette simplification. » Et l’on retrouve le même travers dans la construction des lotissements par exemple.
Josiane Ubaud appuie le propos et se désole « c’est la généralisation du hors sol, dans la nomination des grands ensembles, comme dans la culture des fraises : d’un point de vue agricole, culturellement, linguistiquement, on est hors sol. » Et de rappeler qu’il y a peu on comptait jusqu’à 80 espèces de poires en Provence. « Il y a une perte vertigineuse de diversité. »
Conclusion : « il faut remettre le local à sa digne place qu’il n’aurait jamais dû quitter. »
François Alfonsi synthétise sur la « problématique d’une écologie qui ne prend pas en compte la dimension culturelle. La conception de la pêche à l’ALE n’est pas la même que chez les Verts. Notre vision de la protection des milieux
naturels est féconde de pratiques culturelles et d’harmonie. Il faut provoquer le dialogue. »
Voilà qui fait le lien avec les deux débats suivants : « Le fédéralisme, nouveau contrat entre l’État et les Collectivités territoriales », et « La place des Territoires dans la relance économique et l’avenir de l’Europe. »
ARRITTI reviendra sur ces importants échanges dans sa prochaine édition.