L’information tombait ce 29 septembre, le Syndicat mixte du Grand Site des îles Sanguinaires et de la pointe de la Parata décidait contre toute attente de donner un avis défavorable au projet de réinstallation de la ferme aquacole de Gloria Maris à Aiacciu. Comment l’un des fleurons de notre économie, premier exportateur de l’île, détenteur de multiples labels de qualités, leader de l’aquaculture marine en France, reconnue par les plus grands chefs (ce qui lui a permis d’intégrer le sélectif Collège Culinaire de France), modèle de référence en Europe « vertueux dans ses pratiques, ses process, ses valeurs », peut-il être mis en difficulté aussi dangereusement ?
Le Syndicat mixte du Grand Site des îles Sanguinaires et de la Pointe de la Parata, présidé par le maire d’Aiacciu, Stéphane Sbraggia, est constitué de la commune d’Aiacciu, la Collectivité de Corse, et la Communauté d’agglomération du Pays ajaccien. Il a en charge la gestion et la valorisation du Grand Site conformément au projet de territoire mis en place lors de sa labellisation.
Le Grand Site des Sanguinaires et de la Parata est l’un des plus fréquentés de Corse avec quelques 450.000 visiteurs par an. La philospohie Grand Site n’est pas de sanctuariser mais de mettre en harmonie la vie économique d’un territoire avec son paysage.
Une entreprise créée il y a 30 ans.
Lorsqu’en 1992, il y a 30 ans, s’installe la ferme aquacole de Gloria Maris, entreprise créée par Philippe Riera, le projet de Grand Site des Sanguinaires est toujours en cours d’instruction. La présence de l’entreprise ne pose alors pas de problème. Pas plus qu’elle n’en a posé pour la labellisation Grand Site. La présence de la ferme n’est pas incompatible et l’implantation de sa base à terre est provisoire, sa réinstallation étant projetée dès l’origine, en accord entre tous. Un Comité de pilotage chargé d’étudier le projet de réinstallation travaille depuis 2017 aux côtés de Gloria Maris. Il est composé des services de l’État, des services de la mairie d’Aiacciu, de la direction du Grand Site, et de l’Architecte des Bâtiments de France (ABF). Gloria Maris était demandeur de façon pressante, à pouvoir réinstaller ailleurs sa base à terre, tout en restant à proximité du ponton où se font ses déchargements et son accès aux cages, et ce, pour lui permettre de développer son activité dans de meilleures conditions de travail pour ses salariés, actuellement trop à l’étroit, et dans un cadre architectural plus en adéquation avec l’environnement Grand Site. La nouvelle implantation possible a vite été identifiée, sur une surface de 5 000 m2, à 200 mètres du local actuel, en limite du Grand Site. Les discussions ont duré jusqu’à la fin du printemps 2022 durant lesquelles toutes les parties ont poussé puis validé le projet de nouvelle base à terre de la ferme aquacole (baptisée Aquadea). Le projet est même « dispensé d’une étude d’impacts, puisqu’il répondait à toutes les attentes au niveau environnemental comme paysager » plaide Catherine Riera, directrice de communication d’Aquadea. La Dreal en effet, précise Aquadea, a acté que « toutes les contraintes liées à la localisation du projet ont été prises en compte (légales et règlementaires, étude paysagère, campagne de prospection naturaliste, sensibilité archéologiques…) et que le projet a fait l’objet d’une étude approfondie dite au cas par cas ». Les recommandations dans l’avis favorable de l’ABF quant à l’intégration paysagère ont été également scrupuleusement suivies. « Le projet correspond à la vision exprimée par le Président des Grands Sites de France lors de l’inauguration en 2017 à savoir que les Grands Sites doivent savoir intégrer les activités économiques environnantes surtout lorsqu’elles viennent s’enrichir mutuellement : construire l’agro-tourisme de demain » rappelle Aquadea dans son dossier.
Fort de ce travail en commun qui a perfectionné son projet initial, fort aussi de l’accord donné il y a deux ans tant de la part du Syndicat mixte que de la commune d’Aiacciu pour poursuivre son activité, accord réitéré lors d’une délibération du conseil municipal de la ville en janvier 2021 à propos du site d’implantation, Aquadea dépose donc son permis de construire.
« Près de 80 % des stocks de poissons sont menacés d’extinction, au risque, à terme, de dérégler l’écosystème marin. En même temps que la ressource halieutique s’épuise la consommation de poisson est passée de 9 kg/hbt en 1961 à 20,5 Kg/hbt en 2017. Comment répondre aux besoins alimentaires d’une population mondiale en forte croissance tout en préservant la biodiversité, les milieux marins ? L’aquaculture responsable est une solution viable, c’est un mouvement structurel face aux défis alimentaires auxquels la planète est confrontée. Selon le dernier rapport de la FAO, l’aquaculture a produit 53 % des 171 millions de tonnes de poissons produits dans le monde. » • Extrait du dossier Gloria Maris
Répétons qu’il ne s’agit pas d’une extension, mais d’une réinstallation destinée à gommer toutes les nuisances dues à la promiscuité et à l’exiguïté de l’implantation actuelle, dans un bâtiment de 300 m2, trop proche de la Maison du Grand Site, loué à la ville d’Aiacciu, et ne pouvant abriter tout le matériel nécessaire à la pêche, entreposé à l’extérieur, ce qui entraîne une pollution visuelle, sonore et olfactive sur les lieux.
Curieusement, le Syndicat mixte qui rejette le projet (à l’unanimité !) le fait en expliquant vouloir dénoncer ces nuisances alors que le projet de réinstallation est justement destiné à les gommer ! Par la même occasion, le Syndicat mixte, qui soi-dit en passant a délibéré « sans connaissance du projet qui ne lui a même pas été présenté ! » s’offusque Catherine Riera, rejette aussi (toujours à l’unanimité) le projet de rond-point de la Collectivité de Corse qu’il avait été pourtant demandé par le Copil à l’entreprise Aquadea d’intégrer.
L’avis du Syndicat mixte n’est pas opposable, mais il est pris sous la présidence du maire d’Aiacciu, et c’est bien la commune d’Aiacciu qui délivrera, ou pas, le permis de construire… C’est aussi la commune d’Aiacciu qui devra se pencher l’an prochain sur le renouvellement du bail de l’installation actuelle, ponton compris. Tous les ingrédients semblent donc en place pour une catastrophe économique annoncée…
Y a-t-il un avenir pour l’aquaculture en Corse ?
Pour résumer, il est demandé à une entreprise installée depuis 30 ans sur un site dédié à l’aquaculture dans le Schéma de mise en valeur de la mer (SMVM) du Padduc, entreprise qui compte 43 salariés qualifiés, une cinquantaine de cages et une production de 800 tonnes de loups, maigres et dorades royales, consommés en Corse, en France et à l’international, lui ayant permis d’obtenir plusieurs labels (70% du groupe), dont un label rouge* unique en Corse ; il est demandé à cette entreprise de purement et simplement dégager des lieux en sachant pertinemment qu’il n’y a pas d’autres possibilités d’installations ! En effet, sa qualité et son excellence sont tirés du site même. « Notre ferme marine des sanguinaires bénéficie d’un environnement unique qui nous oblige à être irréprochables et exemplaires. Toutes nos actions, projets et ambitions sont portés par quatre maîtres-mots : qualité, excellence, savoir-faire et respect de l’environnement et sont animés par l’ensemble de nos collaborateurs qui, en véritables artisans de la mer, assurent un suivi très strict de notre écosystème marin par le biais d’études indépendantes assurées notamment par la Stareso » plaide son PDG Philippe Riera.
Y a-t-il un avenir pour l’aquaculture en Corse ? Qu’en pense la Collectivité de Corse qui a en charge l’application de son Schéma de mise en valeur de la mer et notamment de son plan de développement de l’aquaculture ? Qu’en dit la commune d’Aiacciu, qui s’est prononcée à plusieurs reprises en faveur du projet Gloria Maris et qui semble donc aujourd’hui faire volte-face ? Pour l’heure, le maire est aux abonnés absents, l’entreprise ne parvenant pas à obtenir un rendez-vous…
Quelle est la vraie raison de ce coup de tonnerre sur l’un des fleurons de l’économie insulaire ?
Peut-être faut-il chercher dans une concurrence qui ne veut pas dire son nom, avec les industriels du tourisme ? Le ponton, convoité par les bateliers, ne serait-il pas le véritable enjeu de cette mise à mort de l’entreprise ?…
Il n’est pas possible de laisser faire et on ose espérer que la commune d’Aiacciu reviendra à de meilleures intentions. En attendant, l’enquête publique va s’ouvrir le 24 octobre jusqu’au 10 novembre prochain, et il est demandé aux Corses de s’y exprimer pour apporter leur soutien à ce projet de réinstallation tel que prévu de longues dates dans le plus profond respect du cadre du Grand Site. •
Fabiana Giovannini.
* Labels et signes de reconnaissance obtenus : Label Rouge, Aquaculture de nos Régions, Bio, Friend of the Sea, Collège Culinaire de France, Concours Meilleur Ouvrier de France, Ethic Ocean.
Gloria Maris en chiffres
4 000 tonnes de poissons par an (sur les 5 000 t produites en France)
35 M d’alevins
200 salariés
39 M€ de Chiffre d’affaires (dont 1/3, 10 M€, pour Aquadea)
80 % à l’export (premier exportateur corse devant les producteurs de clémentines)
« Gloria Maris s’est imposée comme la référence nationale et européenne en matière d’aquaculture durable par la qualité premium et l’identité forte de nos élevages privilégiant la haute qualité et la recherche constante de l’excellence » plaide son PDG Philippe Riera à la tête d’un groupe composé désormais de Acquadea, Palma d’Oro (en Sardaigne), Aquanord, et France Turbot. •
Pour soutenir le projet de ferme aquacole Aquadea, vous pouvez vous exprimer lors de l’enquête publique qui sera ouverte du 24 octobre au 10 novembre. Le public est invité à consulter le dossier et à y apporter ses observations à la Direction générale des services techniques de la mairie d’Aiacciu (ouverture du lundi au vendredi de 9h à 17h), ou par courriel à l’adresse : GloriaMaris@ville-ajaccio.fr •