Femu Quì a fêté ses 30 ans dans le splendide cadre du parc de Saleccia, en présence de ses « anciens » et « nouveaux » artisans, au sens le plus noble. C’est-à-dire les créateurs et responsables de cette magnifique construction collective au service de la Corse et d’une cause qui était à l’époque un véritable challenge : créer de l’emploi par et pour le peuple corse au moyen d’une société de capital-risque basée sur de l’actionnariat populaire. Poca scumessa !
Femu Quì est née de façon originale, autour d’un débat politique, lors de la Ghjurnata d’ARRITTI de 1990 à Ghisunaccia. Et ARRITTI est fier de ce qu’est devenu ce « doux rêve » que nous avions à l’époque. Fier d’avoir su réunir les volontés nécessaires au long cheminement qu’a pris la démarche pour devenir aujourd’hui une société solide qui a depuis investi 28,6 M d’euros, créé 994 emplois et généré 147,7 M d’euros de richesse en Corse !
Pourtant, ceux qui y étaient s’en souviennent, les railleries et les paris sur l’échec étaient nombreux à l’époque…
À l’origine, deux hommes, Max Simeoni, alors fraîchement élu député européen, et François Alfonsi, secrétaire général de l’Union du Peuple Corse. Tous deux se rendent au Pays Basque et y découvre la démarche Hemen Herrikoa (Faisons ici en langue basque). Une société de capital-risque constitué d’actions prises par les citoyens basques… Germe alors l’idée, l’envie, le pari un peu fou : pourquoi pas nous ? De retour dans l’île, il ne leur faut pas beaucoup de temps pour convaincre Edmond Simeoni l’éternel partant pour faire grandir les bonnes idées dans l’île. Il est décidé à quelques-uns d’organiser une Ghjurnata d’Arritti sur ce thème où les représentants d’Hemen Herrikoa, forte déjà d’une expérience de 10 années, sont invités à s’exprimer. La journée se tient sous un chapiteau à Ghisunaccia et, au stand d’ARRITTI, sont proposés des « promesses d’actions », juste pour voir si l’idée peut séduire dans l’île… À l’époque, aucune confiance n’était faite aux Corses par les banques dans le domaine économique, un bon entrepreneur était immédiatement invité à s’exiler pour faire éclore son projet. Les concepteurs de Femu Quì, et ceux qui viendront très vite les épauler pour bâtir ce projet, veulent faire mentir le fatalisme.
Encourager les entrepreneurs à créer de l’emploi à partir de valeurs fortes.
La campagne de « promesses d’actions » surprend par son succès. Les promesses affluent au courrier ! L’action s’élève alors à 750 francs. Ce n’est pas une petite somme à l’époque. Parallèlement à cette campagne, les pionniers porteurs du projet, choisis dans le monde de l’entreprise, sont sollicités et il faut user d’un enthousiasme là aussi un peu fou pour parvenir à les convaincre de s’engager et de faire leur ce projet. Objectif : forger un esprit d’entreprendre, encourager les entrepreneurs à s’installer, à créer de l’emploi, à partir de valeurs fortes, définies dans une « Charte fondatrice », toujours de pleine actualité ! Adoptée en 1991, cette charte édicte notamment que « la Société Épargne Emploi “Femu Quì S.A.” inscrit son action dans une démarche au service des intérêts collectifs du peuple corse (corses d’origine et corses d’adoption), ses hommes et ses femmes, sa culture, sa terre, ses ressources, ses valeurs », que « cette Société Épargne Emploi se différencie des sociétés à capital risque classiques en ne s’inscrivant pas dans la seule logique de haute rentabilité financière », que « les interventions de Femu Quì S.A. s’inscrivent dans la construction d’une économie corse où le capital est un instrument au service de l’homme, pour son épanouissement social. Elles se référeront de façon permanente à des objectifs de dignité, de solidarité, de responsabilité et de justice sociale », pour « dégager une valeur ajoutée créatrice d’emplois qualifiés » et faire notamment de « la valorisation des ressources locales et de la défense de l’environnement » des principes fondateurs. Réduire la dépendance économique, corsiser les emplois, maîtriser les circuits économiques, participer au rééquilibrage entre les secteurs d’activités et entre les territoires, rural/urbain, intérieur/littoral… sont aussi des objectifs de la charte fondatrice qui ont guidé les choix d’investissement des administrateurs jusqu’à ce jour.
« Femu Quì S.A. veut contribuer à rétablir la confiance entre le peuple corse et son économie » dit encore la Charte fondatrice. C’est dire la pertinence et l’ambition affichées !
Parmi ces pionniers fondateurs, Jean Nicolas Antoniotti, qui s’identifiera totalement à la démarche et lui donnera une impulsion déterminante durant 21 ans de présidence, de même que Jean-Paul Poggioli, premier président de la S.A, Michel Angeli, parmi les premiers administrateurs, Jean-François Stefani, parmi les premiers et toujours actuels dirigeants. Et tant d’autres ! La démarche est militante et parce qu’elle est militante, elle s’appuie sur la prise de conscience pour susciter l’espoir. C’est son premier atout.
Mais de la démarche militante à l’outil financier, innovant, professionnel, solide, respecté par tous les acteurs économiques et in fine devenu un véritable label… il y a un travail considérable à réaliser et un capital confiance énorme à bâtir avec tous les acteurs potentiels, actionnaires, bien sûr, entrepreneurs, institutions, banques… C’est ce travail remarquable d’efforts et de réussite qui a été fait durant ces 30 années ! Et sa beauté est qu’il est un travail collectif où nombre de femmes et d’hommes se sont investis.
Convaincre les partenaires.
La création de la S.A. n’a pas été chose facile, il a fallu surmonter bien des difficultés, remplir les critères, convaincre les partenaires. Mais auparavant, au terme de la campagne d’appel, la grande question était : les gens tiendront-ils leurs promesses ? Ils l’ont fait ! La S.A. est créée en 1992 par appel public à l’épargne, avec 1300 actionnaires et 3 M de francs de capital.
L’autre question immédiate était, les entreprises oseront-elles nous solliciter ? Elles l’ont fait. Et elles sont toujours là, 30 ans après, fortes d’une belle réussite entrepreneuriale. Citons les plus emblématiques : la Charcuterie Fontana, premier investissement, la Brasserie Pietra, qui a assuré sa réussite en même temps que celle de Femu Quì, Gloria Maris devenu leader français de l’aquaculture, et tant d’autres !
Mais il fallait plus pour agir sur le tissu économique et en 2000-2001 une nouvelle grande étape est franchie avec l’entrée au capital d’investisseurs institutionnels : la Collectivité de Corse (alors Collectivité territoriale), la Caisse de dépôts et consignations à travers son fonds PME (désormais dénommé FPMEI géré et représenté par BPI France), mais aussi plusieurs acteurs bancaires et du financement solidaire faisant de Femu Quì « un acteur solidaire et éthique reconnu ». La S.A. est agréée « Entreprise solidaire d’utilité sociale » en 2003 et obtient le label Finansol en 2004. En 2004 aussi elle adhère à la Fédération européenne des banques éthiques et alernatives (FEBEA). Elle compte alors 2300 actionnaires (dont 1800 petits porteurs) et son capital fait un bond à 5 M d’euros !
Le Conseil d’administration s’adapte en créant plusieurs collèges d’actionnaires « tout en consacrant le rôle et la responsabilité clés des petits porteurs » qui fondent la philosophie de Femu Quì. Autre grande ambition en 2015 : créer une société de gestion de portefeuille agréée par l’Autorité des marchés financiers, Femu Quì Ventures, lui permettant de gérer plusieurs autres fonds de financement. Ses actifs sous gestion passent alors de 5 à 30 M d’euros ! Ce qui lui permet d’investir davantage dans les entreprises accompagnées et « de se positionner en leader dans les tours de table, et de se replacer au centre du marché insulaire ». Un rôle que lui a conféré aussi « le déploiement de la gamme de Fonds d’Investissement de Proximité (FIP) Corse Suminà ». Depuis 2016, trois fonds se sont succédés, le quatrième (FIP 5) est en cours de commercialisation.
Relever le défi du numérique.
Sébastien Simoni prend la suite de Jean-Nicolas Antoniotti en 2015 et inscrit sa présidence sous le signe du savoir-faire numérique. « Le retard de la Corse en matière de Recherche et Développement est conséquent et le capital ciblé sur le financement de startup est un ingrédient en faveur d’un rattrapage de ce retard. Le défi est de taille mais l’opportunité existe » explique-t-il. En 2021, le fonds d’amorçage régional Alzà cofinancé par la Collectivité de Corse et les fonds européens Feder relève ce défi. Et Femu Quì en est le gestionnaire ! S’ajoute le projet European Digital Innovation Hub Corsica, en 2022. Appuyé sur un consortium d’entreprises composés notamment d’Aflokkat, GoodBarber, la Sitec, Femu Quì Ventures… Il est destiné à « répondre aux besoins en matière de conseil, de recherche, de formation, de financement et de développement de solutions numériques en particulier sur les thématiques de l’Intelligence Artificielle, de la robotique et de l’Internet des objets ».
Femu Quì travaille encore sur le projet de fonds professionnel de capital-investissement « Travalcà » « qui marque une nouvelle étape historique » lui permettant « de doubler le volume d’actifs sous gestion ».
Autant dire que la démarche fait un bond considérable pour se projeter dans l’avenir ! Il faut dire que Femu Quì s’est professionnalisée. Sa gestion repose sur une équipe de 9 collaborateurs âgés de 23 à 65 ans* qui cumulent ensemble plus de 112 années d’expérience professionnelle dans les domaines de la Banque, la gestion d’actifs, l’ingénierie financière, le financement et de l’accompagnement d’entreprises, l’entrepreneuriat, la logistique et la gestion de projet. 42 ans cumulés de fonctions au sein de Femu Quì. Sa gouvernance est organisée autour du Comité de Direction de Femu Quì Ventures, d’un Conseil d’Administration, d’une Direction générale, d’un Conseil Stratégique pour le Fonds Alzà, et de Comités consultatifs (composé de 8 administrateurs représentant le collège des petits porteurs et un membre du comité consultatif d’Alzà), le tout sous une « co-direction » efficace : Ghjuvan’Carlu Simeoni et Jean-François Stefani.
Femu Quì a rempli toutes les espérances de sa fondation et bien au-delà encore. En 30 ans, elle a accompagné 93 entreprises, réalisé 131 opérations, accompagné 1700 emplois, dont un millier de créations dans 16 microrégions de Corse. Elle a multiplié par 5 ses capitaux pour atteindre 27,5 M€. Son objectif d’accompagner (en fonds propres, en conseils, en investissements) les entreprises dans leur développement et leur création d’emplois tout en pesant sur l’avenir économique de l’île est plus que rempli ! Femu Quì est un exemple de réussite, particulièrement pour la jeunesse. C’est un acteur incontournable du développement économique de la Corse qui a généré « un écosystème dynamique où l’ensemble de la société ”se tire vers le haut” ». Bravo ! Felice anniversariu à Femu Quì è ch’ella campi 100 anni ! •
Fabiana Giovannini.
* L’équipe de gestion : Ghjuvan’Carlu Simeoni, Jean-François Stefani, Adrien Filippi, Alexandra Payen-Joubert, Xavier Pieri, Alexandra Cherenti, Laurent Masson, Anthony Grégoire, Adrian Popescu. Assistés en 2022 par une équipe de stagiaires : Hugo di Vincenzo, Mathis Quilichini, Alexis Yard, Clara Maria Franceschetti, Pierre Cervoni.