A Giustificazione della rivoluzione di Corsica écrite et publiée en 1758 par Don Gregorio Salvini rassemblait 160 exemples « de mauvaise justice et de mauvaise administration » imputés à la domination génoise.
Autour de ce livre précis et argumenté, Pascal Paoli a rassemblé et mobilisé ses contemporains contre la situation faite à la Corse par la République de Gênes.
La « justification » de la réforme constitutionnelle que la Corse réclame aujourd’hui prend, elle aussi, appui sur des dizaines d’exemples « de mauvaise administration » compilés par la Commission Chaubon durant deux années, et conclues par le vote quasi-unanime de l’Assemblée de Corse, élus nationalistes ou pas, en faveur d’une reconnaissance explicite de la spécificité de la Corse dans la Constitution française.
Ainsi quarante fois en vingt-huit ans, l’Assemblée de Corse a formulé, comme la loi le prévoit depuis qu’il existe un statut particulier, des propositions d’adaptation réglementaire ou législative, sur le foncier, sur les arrêtés Miot, sur la langue corse, etc.. La réponse fut systématiquement négative, et, le plus souvent, elle s’est limitée à un silence méprisant. Dans l’ensemble français, sans reconnaissance constitutionnelle, statut particulier ou pas, vous n’existez pas.
Ce qui complique les choses, c’est que la reconnaissance constitutionnelle que propose le Président de la République est plus qu’incertaine.
Elle est incertaine dans son déroulement : le vote du Congrès qui serait convoqué en juillet ne sera acquis qu’après négociation avec l’opposition, notamment au niveau du Sénat. C’est peu dire qu’avec son Président Gérard Larcher, ça ne tire pas dans le bon sens, et pas seulement pour la question corse !
Et elle est incertaine dans son contenu. Article 72, 73 ou 74 dans le titre 12 (« des collectivités territoriales ») du texte fondamental : c’est tout le débat posé par les constitutionnalistes.
L’Assemblée de Corse a approuvé la proposition de Madame Wanda Mastor qui avait déjà travaillé pour le compte de la Commission Chaubon sous l’autorité du Professeur Carcassonne, décédé depuis.
L’article 72 énonce les collectivités organisant le territoire français, tandis que les deux suivants attribuent des pouvoirs spécifiques à deux catégories d’entre elles : les départements d’outre-mer (art 73), et les Collectivités d’Outre-mer, principalement la Polynésie, pour l’article 74.
D’où la proposition de Mme Mastor :
– ajouter la «Collectivité de Corse » à la liste des collectivités mentionnées dans l’article 72, qui deviendrait « les Collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier, la Collectivité de Corse et les collectivités d’Outre-mer régies par l’article 74. »
– puis ajouter un peu plus loin (article 72-3) :
« la Collectivité de Corse est régie par l’article 74-2 »
– article 74-2 lui-même ainsi libellé : « la Collectivité de Corse régie par le présent article a un statut qui tient compte de ses spécificités au sein de la République ».
C’est sur cette base que les négociations ont été engagées entre l’Elysée et les élus de la Corse. Le délai est très court : un mois accordé par Emmanuel Macron lors de sa venue en Corse, il ne reste plus que quelques jours. Mi-mars au plus tard ce sera bouclé.
Deux ans après avoir porté serment sur une version originale de la Giustificazione publiée en 1758, la majorité territoriale sera fixée sur le niveau de la révision constitutionnelle qui sera consenti par l’État. Quel qu’en soit le résultat, la route sera encore longue avant que la Corse ne bénéficie de l’autonomie à laquelle elle aspire.
François Alfonsi.