Cap'artìculu

Autonomie et liberté

Pourquoi le peuple corse a-t-il besoin de son autonomie ? Pour avoir davantage de libertés dans la conduite de ses propres affaires. Pourquoi l’État français y a-t-il intérêt ? Pour en finir avec une bien piètre performance qui lui coûte cher, économiquement et politiquement.

 

On connait l’image de la massue incapable d’écraser une mouche. L’outil est puissant, impressionnant même, mais il est incapable d’atteindre son objectif car il est totalement disproportionné pour y parvenir. Le centralisme c’est un peu ça : il demande aux moyens d’un État conçu pour gérer presque 70 millions d’habitants, avec ses procédures et ses proportions, de performer sur un territoire de 350.000 habitants, deux cent fois moins peuplé, et aux caractéristiques culturelles différentes. Le résultat est écrit d’avance : échec assuré ! Surtout quand cette gouvernance s’enferme d’elle-même dans le carcan de l’uniformité jacobine, qui ignore les cultures et les réalités locales, ce qui la condamne à une inefficacité notoire.

Un des paris de l’autonomie est que l’adaptation de la gouvernance au territoire et au groupe humain – le peuple corse – qu’elle gère, apportera des politiques beaucoup plus adaptées, saisissant les opportunités et répondant en temps et heure aux problèmes rencontrés, et donc qu’elle sera beaucoup plus performante.

Un exemple parlant de la paralysie générée par l’absence de pouvoir législatif local peut être illustré par la taxe sur les transports que chacun paye chaque fois qu’il va ou vient de et vers la Corse, en bateau ou en avion. Elle a été rendue possible en 1992, quand a été instauré le statut Joxe, dix ans après le premier statut particulier de 1982. La loi Joxe en fixe le montant : 30 francs. Aussi, trente ans plus tard, son montant est immuable, 4,57 euros. Et qu’en sera-t-il dans 30 ans ? Ce sera encore et toujours 4,57 euros, même si entre-temps l’évolution du coût de la vie aura divisé par six ou sept sa valeur, puisque, au rythme de 7 % par an, qui est la tendance actuelle de l’inflation, toute valeur se divise par deux tous les dix ans. Mais pour modifier ce montant de 30 francs, désormais 4,57 euros, il faut modifier la loi et donc bénéficier d’un pouvoir législatif.

On pourrait même imaginer l’appliquer autrement. Certains voudraient favoriser l’aérien par rapport au maritime ? On pourrait alors faire évoluer cette taxe en faisant un mix passagers/véhicules de son montant, la part véhicules ne concernant alors que le maritime. Cela nous est interdit. Certains voudraient qu’elle contribue à l’étalement de la saison ? On pourrait décider de son abattement partiel en dehors de la haute-saison. Cela aussi, c’est impossible. Etc., etc. Bref, vous êtes condamnés à l’immobilisme faute de pouvoir législatif.

 

Les exemples proposés par l’étude comparative des statuts d’autonomie illustrent aussi le propos.

Par exemple, le 11 février 2022, aux Iles Baléares, le gouvernement régional basé à Palma de Majorca a adopté une loi qui rend impossible durant quatre ans la création de nouveaux hôtels et la commercialisation de nouveaux logements touristiques. Et passé ce délai, les autorités locales de chaque île de l’archipel pourront fixer des quotas. Le but est double : enrayer le développement de l’hébergement AirBnB et pousser l’investissement hôtelier vers une rénovation du parc plutôt qu’à la création de nouvelles unités. Aurions-nous cette liberté en Corse : bien sûr que non. Autre décision rendue possible par les pouvoirs dont bénéficie cette autonomie insulaire dans le cadre de l’État espagnol : l’île de Majorca a limité le nombre de navires de croisière autorisés à y jeter l’ancre. Nombreux ici seraient ceux qui voudraient que la Corse puisse en faire autant ! La Présidente des Baléares, Francina Armengol, défend ces mesures « tournées vers l’avenir » en « misant sur la qualité » par ces mots : « il faut penser non seulement aux visiteurs, mais aussi aux habitants, aux travailleurs et au territoire ».

Ce qui manque à la Corse, en l’absence d’autonomie, c’est la liberté de faire de tels choix. Et l’économie n’est qu’un aspect du problème : culture, environnement, enseignement, fiscalité… ; tous les domaines de compétences sont concernés. •