par François Alfonsi
L’édition 2021 di a Festa di a Nazione rencontre un climat politique particulier. Depuis cinq ans et l’élection de l’actuel Président de la République française, toute la vie politique en Corse a été jalonnée par le refus constant d’un véritable dialogue de la part de l’État, alors même que la majorité nationaliste a installé autour de Gilles Simeoni sa légitimité incontestable. Le Préfet Lelarge incarne jusqu’à la caricature cette réalité d’un pouvoir hostile. À la veille de l’élection présidentielle, la question se pose : peut-on accepter cela cinq années encore ?
On connaissait les tweets tonitruants de Donald Trump, on vient de découvrir la « communication de rupture » du Préfet Lelarge. Rupture avec les usages, par la communication à la presse d’un courrier officiel de la Préfecture avant même que son destinataire n’en ait eu connaissance. Rupture, par des propos provoquants, avec le respect qui est dû à l’institution de la Collectivité de Corse, à celui qui en a été élu Président du Conseil Exécutif avec une très large majorité, et au peuple corse que cette Assemblée représente. Et enfin en rupture avec le minimum de décence et de retenue dans la mauvaise foi quand on représente un État qui bafoue ses propres lois comme il le fait pour Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, ou qui nie ses propres turpitudes comme dans l’affaire Corsica Ferries aux conséquences financières démesurées.
La situation se débloquera-t-elle, ou restera-t-elle ainsi figée pour les années à venir ? Plusieurs signaux envoyés via des messages officieux l’ont laissé espérer après l’été. La réalité exprimée officiellement par le Préfet de Région leur apporte des démentis quotidiens. Il est temps d’en prendre acte, de se regrouper et d’agir en conséquence !
La désinvolture délibérée apportée au traitement du dossier corse fait écho à l’actualité de colère contestataire qui s’exprime, pour cette même raison, en Martinique et en Guadeloupe, et bientôt en Nouvelle Calédonie. Tout cela fait sens : c’est une même conception méprisante et coloniale du pouvoir central que ces situations révèlent.
Guadeloupe et Martinique ont traduit leur colère par un mouvement social puissant, et des manifestations violentes. Cristallisée autour de la défense des travailleurs démissionnés pour insoumission au passe sanitaire vécu là-bas comme une énième forme d’autorité abusive de l’État, la contestation a gagné toute la population et même l’ensemble des élus qui refusent de se plier au nouveau diktat de « condamnation des violences » du ministre Sébastien Lecornu dépêché sur place en catastrophe. Face à cette contestation devenue généralisée, il a lâché l’hypothèse d’une autonomie pour les deux îles d’Outre-Mer. Mais l’État profond a aussitôt freiné des quatre fers, à travers une classe politique entièrement enfermée dans le moule jacobin. Méprisés, empoisonnés à la chlordécone, l’insecticide nocif dont l’État a continué à autoriser l’épandage aérien des années durant pour les intérêts économiques des producteurs de bananes, au point d’avoir porté gravement atteinte à la santé de tous les antillais, baladés par les émissaires parisiens qui les traitent par des palabres, et mis sous pression par l’envoi de nouvelles forces répressives, les peuples guadeloupéen et martiniquais sont entrés en résistance.
En Nouvelle Calédonie, le peuple kanak subit lui aussi le déni de ses droits. Alors que le referendum d’autodétermination programmé le 12 décembre va être complétement faussé par la pandémie qui fait rage particulièrement dans la population autochtone, l’État a décidé de maintenir coûte que coûte le scrutin pour voler ainsi aux Kanaks leurs chances réelles d’une victoire démocratique. Ainsi, après trente années, un processus patient initié par Jean Marie Djibaou et Michel Rocard va être balayé en une décision tombée de Paris, motivée par une seule préoccupation, la possible victoire du oui à l’indépendance alors que les gouverneurs métropolitains avaient toujours pensé que le « non » l’emporterait sans difficulté.
Voilà l’État que nous avons à combattre. Il faudra jeter toutes nos forces dans la bataille. A Festa di a Nazione doit nous permettre d’y réfléchir ensemble, et d’engager les mobilisations qui obligeront l’État à considérer enfin le problème corse comme un problème politique à part entière. •