par François Alfonsi
Le résultat de l’élection présidentielle américaine a été long à venir avant d’être définitif. Ce qui ne devait être qu’une promenade de santé pour le candidat des démocrates a été un duel serré. Les télés du monde entier ont assisté à un affrontement entre deux visions de l’Amérique et de sa projection dans le monde.
Joe Biden et sa longue expérience politique incarnent l’image traditionnelle de l’Amérique-puissance mondiale, régulant à sa main la marche du « monde libre » abrité sous le parapluie de l’OTAN, tandis que Donald Trump a, durant quatre années, donné le spectacle d’une Amérique autocentrée, refusant de tendre la main au reste du monde, tout en y imposant unilatéralement ses vues les plus radicales.
Le climat de la confrontation entre les USA et le reste du monde changera très certainement avec l’élection de Joe Biden. Même si les USA continueront à prétendre à un leadership très peu partagé, il y a tout lieu de se réjouir de ce retour à une relation qui sera plus apaisée et plus démocratique.
Cela tient au personnage d’abord. Le spectacle des outrances de Donald Trump a fini par révéler les traits de caractère du beaucoup plus discret Joe Biden : plus de dignité assurément, un grand sens politique aussi et, sous la carapace de l’homme d’État, une empathie assez rare dans un pays marqué par la dureté de ses relations politiques et sociales.
Pour nous réjouir aussi, il y a la force de son programme sur les problèmes cruciaux de l’heure, à l’interne pour garantir un avenir aux plus menacés par la maladie, la pauvreté et le racisme, et, hors des frontières, par le retour du mastodonte américain au sein des accords de Paris pour contribuer à la lutte mondiale contre le réchauffement climatique.
Qu’est-ce que le résultat de l’élection américaine changera d’autre ? Sans doute en termes de politique étrangère les changements seront assez importants, avec davantage d’implication. Par exemple le désengagement américain du Moyen Orient, qui a fait tant de mal aux Kurdes de Syrie, pourrait être progressivement « rétropédalé », et la pression sur Erdogan à travers l’OTAN être plus forte désormais. Ce qui ne peut que convenir aux intérêts de l’Europe, et, au-delà, de beaucoup de ceux qui souffrent aujourd’hui de l’agressivité du dictateur turc, comme le peuple arménien du Nagorno-Karabakh par exemple.
En Europe, la relation dégradée héritée de Trump sera rapidement rétablie sous de meilleurs auspices. Mais la conséquence en sera aussi son corollaire de nouveaux traités qui seront négociés, TAFTA entre autres, dont on sait qu’ils sont autant de bombes à retardement pour l’économie européenne, la qualité de ses produits, et pour l’environnement. Biden ne révolutionnera certainement pas la norme américaine d’une agriculture industrielle pourvoyeuse de malbouffe dans le monde entier. À l’Europe de se doter d’un nouveau modèle, de le défendre grâce à l’Union Européenne, et de l’imposer au reste du monde par la valeur de ses productions.
La relation entre l’Amérique et l’Europe va continuer avec son lot de contradictions, mais débarrassée du climat de tension permanente que Donald Trump avait imposé, notamment au moment du Brexit, et aussi en cherchant à créer de nouvelles fractures à l’Est du continent.
Mais Joe Biden n’aura pas les mains aussi libres qu’il aurait voulu. L’Amérique de Donald Trump a puisé dans ces élections de quoi alimenter une rude contestation, et il n’est pas certain que celle qui a perdu dans les urnes aura vraiment tout perdu dans les faits.
« America first » ! C’est la force de ce slogan qui explique la résistance du Président sortant Donald Trump. Il pèsera sur l’administration Biden tout au long des quatre prochaines années. Joe Biden préférera promouvoir « l’american leadership », sorte de paternalisme à la fois contraignant et protecteur pour ses alliés, Corée ou Japon en Asie, et bien sûr l’Union Européenne. L’un ou l’autre n’exonèrent en aucune façon les autres grands acteurs du « monde libre », à commencer par l’Europe, de la nécessité de défendre leurs intérêts contre la pente hégémonique qui est celle de l’Amérique depuis la fin de la seconde guerre mondiale. •