Processus de Beauvau

Faire échouer la spirale d’un échec annoncé

par François Alfonsi
Le 16 mars 2022, au moment de signer le « compte rendu de réunions » avec Gérald Darmanin dépêché en Corse pour engager le dialogue qui deviendra ensuite le « processus de Beauvau », Gilles Simeoni était resté le seul en Corse à engager sa responsabilité. Dix-huit mois plus tard, au lendemain du discours d’Emmanuel Macron devant l’Assemblée de Corse du 28 septembre 2023, le même mouvement s’observe. Seul Femu a Corsica, qui a tenu conférence de presse le 18 octobre à Aiacciu, fait bloc autour du président du Conseil Exécutif.

 

À l’opposé, on a retrouvé dimanche 15 octobre dans un amphi à l’étage de l’Université de Corti, un public de nationalistes nombreux, plusieurs centaines, venus exprimer leurs insatisfactions malgré la promesse d’autonomie annoncée par le Chef de l’État à Aiacciu.

Sur cette annonce présidentielle, leur méfiance reste grande, alimentée par un demi-siècle de faux-semblants. Ils pointent, bien souvent à juste titre, les « lignes rouges » enlevées pour la forme mais maintenues sur le fond, la spéculation immobilière qui continue et contre laquelle la feuille de route présidentielle est presque vide, la langue corse reléguée à un bilinguisme de façade pendant que les préfets continuent d’attaquer les soutiens à Scola Corsa qui a introduit enfin en Corse la méthode immersive, la corsisation des emplois reléguée aux oubliettes, etc.

Cette expression, dans sa part spontanée, est un message qu’il faut entendre. Le principal péril politique du processus de Beauvau serait qu’il génère une immense déception au terme d’interminables procédures. Or on sait que les procédures seront nombreuses à surmonter pour arriver à une réforme constitutionnelle qui est la clef de toute nouvelle évolution de la Corse, quarante-et-un an après le statut particulier qui a institué la première Assemblée de Corse. Depuis, toutes les possibilités d’évolution à Constitution constante ont été épuisées par Pierre Joxe, Lionel Jospin et par les réformes qui ont suivi jusqu’à la Collectivité Unique qui a supprimé les deux départements en 2017.

Si on veut réduire cette défiance, l’Etat dispose de quelques moyens simples. Tout d’abord arrêter sa guérilla contre Scola corsa et utiliser la possibilité qui lui est donnée, grâce à une dérogation prévue au code de l’Éducation nationale, pour accélérer la contractualisation de l’école corse immersive comme cela est déjà fait en Bretagne ou au Pays Basque. Autre moyen simple : mettre fin au fichage par l’antiterrorisme, au même rang que les islamistes radicalisés, des anciens prisonniers politiques corses. Il n’existe pas de procédure de dialogue sans que des gestes de détente ne l’accompagnent. Cela devrait en fait venir naturellement, mais, comme pour les mesures de fin de peine de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi finalement obtenues début 2023, on ressent bien la mauvaise volonté qui domine.

 

L’autre message plus politicien de ce rassemblement d’a Chjama Patriotta réunie à Corti est celui des forces politiques qui l’ont suscité, au premier rang Corsica Lìbera. Principale cible des critiques, le président du Conseil Exécutif, Gilles Simeoni.

En fait, il s’agit pour eux d’un calcul politique simple : connaissant le jacobinisme viscéral de l’appareil politique français, ils anticipent les vents contraires que Gérald Darmanin et Emmanuel Macron vont rencontrer sur le chemin de l’autonomie de la Corse. Pierre Joxe et Michel Rocard en d’autres temps ont fait déjà l’amère expérience d’une négociation politique entravée par le Conseil Constitutionnel et toutes les officines jacobines, échouant à introduire la reconnaissance du « peuple corse, composante du peuple français », dans le préambule du statut particulier de la Corse.

Cependant, aujourd’hui, c’est justement une modification de la Constitution qui a été mise en projet par l’engagement solennel d’Emmanuel Macron. Ne pas y travailler pour se réfugier dans une attitude de critique systématique est une démarche de désengagement confortable qui conduit in fine à encourager une spirale de l’échec par calcul politicien. On retrouve, quarante-et-un an après, l’attitude anti-statut particulier du slogan de la LLN de l’époque, « a tràppula ! ». Sauf que quatre décennies plus tard, le récit nationaliste attribue cette avancée du premier statut particulier à son action, y compris celle de ceux qui avaient largement critiqué l’UPC et Edmond Simeoni à l’époque.

Le mandat politique donné par le peuple corse par ses votes successifs est celui de réussir la négociation avec l’État de l’autonomie de la Corse. Cela figurait expressément dans le programme Pè a Corsica de 2015 et de 2017, cosigné par Corsica Lìbera. Instrumentaliser l’impatience, et parier sur l’échec, ne sont pas des lignes politiques conformes aux intérêts de la Corse. •