La manifestation de Bastia organisée en commémoration des deux ans de l’agression qui a coûté la vie d’Yvan Colonna assassiné par un détenu islamiste laissé inexplicablement libre de ses mouvements par l’administration pénitentiaire a eu un impact limité. Mais certains mots d’ordre populistes, comme celui qui oppose ceux « qui mangent des lacrymos » à ceux qui s’assoient à la table de négociation, et sa récupération internationale par la dictature de l’Azerbaïdjan, connue pour sa férocité contre le peuple arménien, doivent nous alerter. Il faut appeler chacun à garder le sens des responsabilités.
Le millier de participants a défilé sur la base consensuelle d’un appel à l’arrêt de la répression. Il n’est pas d’exemple au monde où se négocie la fin d’un conflit sans l’accompagnement de mesures d’apaisement. Or l’État fait preuve de tellement de réticence à cet égard que cela finit par miner la confiance réciproque indispensable au bon déroulement des discussions.
Déjà, le processus de Beauvau avait buté il y a un an sur l’attitude fermée de l’administration à propos de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi à qui l’on a refusé obstinément les mesures de rapprochement en Corse et de liberté conditionnelle prévues par la loi. Mais ce précédent nous instruit également : les digues jacobines de l’État profond ont fini par céder sous la pression du besoin d’un dialogue politique entre Paris et la Corse.
Pour le FIJAIT, une ouverture a été faite par les récentes déclarations du ministre de l’Intérieur, et la pression doit continuer à cet égard, comme pour exiger la fin des arrestations grand spectacle qui ne font qu’alimenter le réflexe de méfiance inhérent à toute situation de ce type. Il est en réalité impossible d’admettre, ou même tout simplement de comprendre, que l’on continue à poursuivre les anciens condamnés corses selon les mêmes procédures que les activistes de l’islamisme radical.
Faut-il pour autant ignorer les progrès de la négociation en cours ? Les prémices de cette négociation remontent à la présidence de Paul Giacobbi il y a dix ans et l’approbation par l’opposition nationaliste de l’époque du triptyque « inscription de la spécificité corse dans la Constitution, statut de résident, pouvoir législatif ». La négociation actuelle satisfait les deux premiers points, et elle reste incomplète, sans être vraiment négative, ni définitive, sur le pouvoir législatif qui permettra l’avènement de l’autonomie demandée par la majorité nationaliste depuis 2015.
Est-ce le moment de renverser la table de négociation comme le demandent certains des manifestants de Bastia ? Même avec l’argument valable d’une répression qui continue, ce serait manquer de sens des responsabilités. Il faut au contraire donner à ce processus toutes les chances d’arriver à son terme, car la réalité de l’inscription dans la constitution d’un statut de la Corse échappant au droit commun sera de toutes façons une avancée importante qu’il faut capitaliser maintenant, dans la suite des engagements formels pris par Emmanuel Macron.
La contestation qui se réactive à travers ces initiatives, à laquelle s’ajoute un retour de la clandestinité, occupe le créneau d’une opposition à tous crins. Cela va jusqu’à obtenir la sympathie des officines de presse de l’Azerbaïdjan dont on connaît les agissements contre le peuple arménien et son droit à l’autodétermination au Nagorno-Karabakh. Il est des parrainages qui sont éloquents et qui devraient conduire à une certaine circonspection !
En fait, à tout prendre, la seule attitude responsable est de miser sur le succès de la négociation en cours, et non pas de parier sur son échec. Même s’ils dénoncent la répression, même s’ils s’interrogent sur les obstacles qui restent à franchir jusqu’à la décision finale de l’autonomie, les Corses sont très majoritairement en soutien de ceux qui aujourd’hui négocient avec l’État. Car c’est ainsi que l’on pourra construire un autre avenir pour le peuple corse. •