Face à la fermeture totale qu’on leur a opposée, Gilles Simeoni et Jean Guy Talamoni ont lancé un appel aux Corses à descendre dans la rue le samedi 3 février. Car c’est maintenant qu’il faut essayer de renverser la vapeur. Et seule une grande mobilisation populaire peut y arriver.
Les représentants de la Corse, Gilles Simeoni et Jean Guy Talamoni, ont enchaîné trois rendez-vous en trois jours : Premier Ministre le lundi, Président du Sénat le mardi, Président de l’Assemblée Nationale le mercredi. En attendant le Président de la République le 6 février prochain pour un voyage officiel en Corse. Objectif : accrocher le « wagon corse » au train de la Réforme constitutionnelle annoncée pour 2018.
L’accueil fait aux élus corses a été désastreux. Edouard Philippe a manifesté la fermeture de l’Etat aux demandes du peuple corse, tandis que le Président du Sénat a opposé une fin de non recevoir totale, bloquant tout espoir d’une majorité des trois cinquièmes pour une révision constitutionnelle qui donnerait à la Corse une ouverture vers une autonomie réelle. Il ne reste plus désormais qu’à infléchir Emmanuel Macron dont la position sera exprimée le 6 février prochain à Aiacciu.
En effet, on connaît les contraintes qui pèsent sur le calendrier présidentiel. En cinq ans, l’espace de temps pour mener une réforme constitutionnelle est très limité : une seule fois, et en début de mandature. Cela devrait se faire par la voie du Congrès, qui rassemblera les deux assemblées à Versailles, en juillet prochain, juste avant les vacances parlementaires, ou à la toute fin 2018. Il est difficilement envisageable d’aller au delà car une réforme constitutionnelle demande un consensus entre la majorité présidentielle et son opposition pour pouvoir rassembler une majorité des trois cinquièmes des parlementaires, députés et sénateurs confondus. Plus on tarde, plus ce consensus sera difficile à trouver.
Introduire la question corse dans le débat constitutionnel est une demande formulée par l’Assemblée de Corse depuis 2013, suite aux débats menés au sein de la « Commission Chaubon » sous la mandature de Paul Giacobbi. Ce point est celui qui avait fait l’objet du vote le plus large, à la quasi-unanimité.
Lors de son passage en Corse, Jacqueline Gourault avait semblé ouvrir cette porte, avant de rétropédaler ferme une fois de retour sur le continent. L’objet de cette série de contacts à Paris était de vérifier si cette porte est ouverte, et à quel point.
A la sortie de la rencontre avec le Premier Ministre, les élus corses ont fait état d’une « certaine déception ». Le lendemain, après avoir rencontré le Président du Sénat Gérard Larcher, ils étaient carrément outrés, convaincus que les « jeux étaient faits » et qu’aucune négociation ne serait possible.
Manifestement l’Etat refuse d’accompagner la demande d’évolution constitutionnelle formulée par l’Assemblée de Corse. Mais cette demande a été reformulée avec une telle force par le vote du 10 décembre dernier qu’il sera bien obligé d’en tenir compte, et la manifestation du 3 février devra amplifier encore ce rapport de forces.
Dans ce débat, il faut conserver sa lucidité. L’inscription de la Corse dans la Constitution ne sera pas l’alpha et l’oméga ; elle ne serait, si elle finit par être acceptée, qu’un commencement. Car on peut être inscrit dans la Constitution et compter pour du beurre ! Les langues régionales en ont fait l’expérience : leur mention dans la Constitution via le nouvel article 75-1 adopté en juillet 2008 n’a permis aucune avancée réelle, pas même la ratification de la Charte Européenne des Langues Régionales, pourtant inscrite dans les propositions du candidat François Hollande, et promise à nouveau par Emmanuel Macron lors de son discours de Furiani.
Cette lucidité, Gilles Simeoni l’exprime dans l’interview donnée à Corse Matin la veille de son déplacement à Paris : « l’inscription de la Corse dans la Constitution est une première clé d’entrée qui déverrouille et ouvre une porte. (..) plus la spécificité est actée, reconnue, plus cela nous permet de mettre en place des dispositifs répondant à nos attentes. La révision par elle-même ne veut rien dire, c’est le contenu qui va compter. »
Dans le même temps, il tire le constat « d’un Etat en régression totale, y compris par rapport à il y a quarante ans. Qui dit non à tout. Là, ça pose un vrai problème. Si l’Etat ne change pas, où est la sortie ? »
Dans l’édito d’Arritti écrit avant que les discussions de Paris ne tournent court, je concluais : « d’ici le 6 février, ou bien un dialogue s’amorce avec l’objectif d’une inscription de la Corse dans la Constitution. Ou bien il faudra muscler le rapport de forces démocratique par d’autres moyens : manifestations bien sûr, notamment sur la question des prisonniers et celle de la langue, et/ou, pourquoi pas, comme l’ont fait les Catalans, engager un processus référendaire en Corse aussi. »
La lutte continue.
François Alfonsi.