Processus de Beauvau

La droite fait bande à part

par François Alfonsi
Qui est contre le dialogue ? Personne bien sûr ; du moins facialement. Mais en réalité, chacun vit ce dialogue à l’aune de ses intérêts propres. En retirant le soutien consenti jusque-là à Gilles Simeoni en tant que président du Conseil exécutif, le groupe de droite à l’Assemblée de Corse a ouvert la boîte de pandore des jeux politiciens.

 

 

Le prétexte avancé est celui sempiternel du choix des mots face à la violence clandestine qui se manifeste en marge de la vie politique. Personne ne la soutient, tout le monde la combat, mais faut-il pour autant manier le mot « condamner » comme l’a exigé Valérie Bozzi au nom de son groupe ?

Le débat ne date pas d’hier. Il était exactement le même en 1988 quand l’Assemblée de Corse, alors présidée par Jean Paul de Rocca Serra, avait voté une délibération historique pour affirmer « l’existence du peuple corse, formé des Corses d’origine et des Corses d’adoption ». Cette délibération, fruit du premier dialogue réel entre forces politiques nationalistes et non nationalistes, se devait d’associer aux votes majoritaires de la droite les votes nationalistes des deux familles, autonomiste et LLN.

Le débat était allé au bout de la nuit, y compris à distance avec François Giacobbi. Les ultras jacobins, emmenés par Nicolas Alfonsi et Émile Zuccarelli demandaient le préalable de la condamnation de la violence, en sachant pertinemment que les élus de la famille LLN ne pouvaient y souscrire, car ils soutenaient le FLNC. Il avait fallu la sagesse éclairée du « Renard argenté » pour passer outre et refuser ce préalable politicien. Et la force de caractère des élus LLN de l’époque pour accepter le compromis final malgré l’exaltation des réunions informelles qui se tenaient dans leur bureau de groupe.

 

Mais Valérie Bozzi n’est pas de la même trempe que Jean Paul de Rocca Serra, malgré la circonstance très différente aujourd’hui qui voit la famille nationaliste bien plus tempérée qu’elle ne l’était alors. Elle reprend à son compte la vieille ficelle du débat sur la violence politique. Si on la comprend bien, à la première déstabilisation qui s’exprime et prend le dialogue rétabli avec l’Etat en otage par des attentats, il faudrait tout suspendre et se retirer sur l’Aventin. Est-ce la solution ? Bien sûr que non. Est-ce raisonnable ? Pas plus.

Car le préalable posé aujourd’hui comme il y a trente-cinq ans poursuit le même objectif : faire claquer la porte du dialogue à tout un pan de la famille nationaliste, et torpiller ainsi le format du dialogue mis en place avec l’État. Pour quel résultat ? Sans doute celui de désavouer l’Exécutif dans sa légitimité d’interlocuteur consensuel apte à mener une négociation structurée à son terme, et, tout aussi probable, de créer les conditions de la mise en retrait de l’État dans le dialogue engagé en lui permettant de se défausser sur les divisions au sein de la délégation de la Corse.

 

Certes Valérie Bozzi n’a pas l’aura qu’avait Jean Paul de Rocca Serra, et elle ne laissera pas la même trace dans l’Histoire de la Corse. Sans doute pense-t-elle que sa posture d’aujourd’hui lui apportera un boost électoral demain ?

À mon avis, rien n’est moins sûr ! En attendant, ses manœuvres ne permettront pas de retirer la légitimité des négociateurs nationalistes appuyés par 68 % du corps électoral corse.

Le processus de négociation doit déboucher sur deux négociations successives. La première touche à la réforme constitutionnelle pour ouvrir la porte à une autonomie de la Corse dans le cadre français. En l’état de l’article 72 de la Constitution, c’est impossible. Cela pourrait le devenir si la Corse bénéficie comme la Nouvelle Calédonie d’une mention séparée, à travers un titre de la Constitution qui lui serait dédié.

Puis il faudrait entrer dans le détail de ce statut à travers un loi-cadre qui précisera les compétences transférées, le rythme de ces transferts, le niveau de ces compétences, au plan réglementaire et législatif, et la fiscalité qui devra accompagner cette autonomie.

 

Au terme de ce processus en deux temps, on aboutira nécessairement à un compromis. Il est probable que les nationalistes eux-mêmes seront alors partagés entre les tenants de l’accord, vu comme une étape historique, et ceux qui le jugeront insuffisant, « una tràppula » pour reprendre l’expression qui avait cours au lendemain de la mise en place du premier statut particulier de la Corse. Il faudra, là encore, déjouer les jeux politiciens. Seul moyen : une implication forte du peuple corse dans les débats à venir. C’est le grand challenge des mois prochains. •