Par François Alfonsi
Le calendrier politique sera complétement bousculé par le renversement annoncé du gouvernement Barnier après le vote d’une motion de censure ralliant les voix du Nouveau Front populaire et celles du Rassemblement national. Au moment où paraîtra Arritti cette semaine, à moins d’un miracle, la France n’aura plus de gouvernement, alors qu’elle n’a plus la possibilité de recourir à de nouvelles élections législatives. La marasme politique qui suivra pourrait tout emporter, y compris le processus politique d’autonomie de la Corse.
2025 restait une fenêtre envisageable pour reprendre le fil politique des discussions avec l’État sur l’avenir de la Corse. Cette année 2025 est suffisamment en amont des élections présidentielles du printemps 2027 qui marqueront la fin de la présidence d’Emmanuel Macron. Ces 12 mois à venir étaient certes peu lisibles en l’absence de majorité au Parlement, mais ils restaient malgré tout propices à des réformes de l’État car situés en dehors des enjeux électoraux. Dès 2026, la campagne présidentielle s’ouvrira, tandis que les élections municipales seront, en Corse comme partout en France, la priorité du calendrier politique, et elles seront suivies immédiatement après d’un renouvellement par moitié du Sénat.
Derrière l’alliance de circonstance entre la gauche rassemblée et l’extrême-droite pour faire tomber le gouvernement Barnier, se profile en fait le projet de prolonger le bras de fer jusqu’à la démission d’Emmanuel Macron. Cette période qui s’annonce, caractérisée par une tension politique très forte, reléguera mécaniquement la question corse au second rang des priorités.
La victime collatérale de cette séquence politique pourrait être le budget de la Collectivité de Corse grevé par le non-vote de la rallonge de la dotation de continuité territoriale attendue par le Conseil exécutif. Les amendements que les parlementaires corses, à l’Assemblée nationale et au Sénat, sont parvenus à faire voter ne pourront être intégré au programme des dépenses exécutables sur la base d’une simple prolongation des dépenses courantes. Il faudra attendre le nouveau gouvernement, et le vote d’un budget supplémentaire, pour que la rallonge attendue de 50 millions d’euros soit inscrite.
Dans le contexte budgétaire actuel, qui est tendu pour l’État comme pour les collectivités territoriales, ce n’est pas une bonne nouvelle pour la Corse qui doit faire face, mois après mois, par tranches de 20 millions d’euros, au fonctionnement des concessions de service public maritime et aérienne, avec des milliers d’emplois à la clef.
Mme Catherine Vautrin a pris aussi des engagements pour la gestion des ports et aéroports, avec une échéance au 31 décembre 2024. Il a été prévu que celle-ci sera repoussée de quelques mois pour que la solution d’un service public corse puisse être validée et mise en œuvre. Les avancées obtenues par la mobilisation de cet automne et par la position offensive du Conseil exécutif sont objectivement fragilisées dans ce nouveau contexte qui nous place à nouveau entre les seules mains de l’administration préfectorale dont les positions avaient mis le feu aux poudres.
Même chose à propos des décisions de justice scandaleuses qui ont frappé la langue corse à Marseille, et aussi le créole aux Antilles, ou encore le catalan devant la Cour d’appel de Toulouse. Les jeunes Corses expriment une colère juste et vigoureuse dans la rue, avec des affrontements sévères qui peuvent dégénérer. La Collectivité de Corse a porté le dossier devant la Cour de cassation pour aller ensuite devant les juridictions européennes et faire condamner les menées linguicides de la France, attentatoires à « l’unité dans la diversité » qui est la devise même de l’Union européenne. Mais cette longue procédure ne peut répondre en rien à l’urgence de la situation de notre langue, et à la mobilisation des jeunes pour la sauver.
La nouvelle donne politique va donc compliquer à l’envi la gestion du quotidien, et renvoyer aux calendes grecques le traitement au fond du dossier corse en vue de l’instauration d’une autonomie de plein droit et de plein exercice. Le calendrier antique nous a aussi légué la date fatidique des « ides de mars ». Appellation justifiée : passé le mois de mars, la fenêtre 2025 pourrait bien être fermée pour de bon. •