La crise économique de 1929 aux États Unis, appelée alors « la Grande Dépression », avait été le point de départ d’un désordre mondial qui a ébranlé la planète et conduit aux pires heures de l’Humanité, 10 ans après, quand s’est déclenchée la Seconde Guerre mondiale. Ce précédent historique nous enseigne que nul ne sort indemne d’une crise économique comme celle qui s’annonce, qu’elle deviendra mécaniquement une épreuve politique, et que seul un effort de gouvernance partagée et solidaire peut écarter les pires des scénarios.
La création de l’ONU, comme le lancement de l’Union Européenne, ont été le fruit des analyses faites alors pour conjurer les origines du cataclysme qui avait ravagé le monde. Ces Organisations de coopération ont été conçues pour éviter des tensions nouvelles qui menaceraient les équilibres du monde. Elles sont aujourd’hui mises à l’épreuve. Saurons-nous être à la hauteur de la sagesse des pères fondateurs ?
Car le choc économique de 2020, 91 ans après 1929, apparaît bel et bien comparable, et des conséquences considérables sont à craindre. Car une chute de 10% du PIB mondial, selon les premiers chiffres lancés au doigt mouillé par les économistes, mais cela pourrait bien être davantage, au lieu d’une croissance mondiale annuelle de 5% à laquelle on s’était accoutumé, cela va créer un tension énorme sur le système financier mondial. Tiendra-t-il le choc ?
Tout dépendra du système bancaire. Or ce système est bien mal en point comme l’a démontré la crise des subprimes de 2008 qui a provoqué la faillite de Lehman-Brothers, une des plus grandes banques américaines, puis le sauvetage à la « sauve-qui-peut » des autres grandes banques mondiales, notamment les géants européens, à grands coups d’injection d’argent public par les États. En Europe, plusieurs de ces États sont passés à deux doigts de l’effondrement économique. Les déficits se sont creusés, et ces mêmes États, du moins nombre d’entre eux, ne pourront en faire autant 10 ans après.
La Grèce par exemple est encore bien mal en point, même si, par chance et pour l’instant, elle semble avoir été moins touchée que d’autres par la pandémie. Mais soyons réalistes : elle n’échappera pas à la crise économique car l’effondrement du tourisme pour 2020 sera pour la Grèce un choc que ses ressources propres ne peuvent seules « encaisser ».
Sera-t-elle la seule en Europe ? Espagne et Italie faisaient déjà partie des PIIGS (Portugal, Ireland, Italia, Greece, Spain) les cinq États les plus fragiles de l’Union Européenne. Italie et Espagne sont les plus impactés par la crise sanitaire en cours, et ils sont, avec la Grèce, parmi les plus dépendants du tourisme qui sera l’activité économique la plus menacée par les retombées du coronavirus.
L’Allemagne et les pays du Nord en général sont de « l’autre côté » de la crise touristique, puisque leurs populations resteront très largement casanières en 2020, ce qui, par effet mécanique, générera la crise économique des pays de destination. Mais ils seront rattrapés par la crise bancaire car, en Allemagne, en Hollande, au Danemark, plusieurs « canards boiteux » du secteur bancaire seront menacés par les défauts de paiement que leur folle gestion des produits dérivés, encore tolérée à grande échelle malgré le précédent de 2008, ne manquera pas de générer. Sans compter que les majors de l’industrie européenne, comme l’industrie automobile allemande, seront les premières frappées par la crise en raison de l’effondrement du marché européen et de leur imbrication avec un système de sous-traitants chinois.
Pour la France, c’est « double peine » : économie touristique en berne, et industrie largement impactée comme par exemple son fleuron aéronautique auprès duquel les compagnies aériennes décommandent à tour de bras des livraisons d’avions neufs.
Dans ce contexte très préoccupant, le Parlement européen a refusé, lors d’un vote réalisé par téléconférence, les « coronabonds », à savoir l’émission d’emprunts par obligations par les États afin d’assumer les mesures d’urgence qu’ils prennent pour soutenir leurs économies, en bénéficiant de la garantie collective de tous les États-membres. Cette garantie solidaire a pour objectif d’en maintenir le coût, matérialisé par les taux d’intérêt, au plus bas niveau possible, y compris pour les États aux économies les plus faibles, et cela donnerait à tous le moyen de relancer l’économie après le choc récessif que représente le confinement, plusieurs mois durant, de toute la population européenne.
C’était une proposition de notre groupe Verts-ALE, et elle a été rejetée de 44 voix, 326 contre et 282 pour.
En allant au delà des mesures, certes substantielles, déjà actées, mais dont le volume est limité alors que les besoins réels, qui dépendront de la durée finale du confinement, ne sont pas encore connus, c’est un mécanisme de solidarité active et automatique que les coronabonds auraient pu enclencher, jusqu’à une issue favorable pour tous. Même Emmanuel Macron les avaient souhaitées lors de son discours de Pâques, mais les députés français qu’il a fait élire en mai dernier se sont dérobés au moment du vote en s’abstenant.
La droite « conservatrice » et les « libéraux » des pays du nord ont fait bloc avec l’extrême-droite pour rejeter la meilleure solution européenne, pensant sans doute que leur « prospérité relative » d’avant la crise leur donnerait l’accès à une solution intra-muros. Ils ne tarderont pas à se rendre compte qu’il ne pourra pas en être ainsi et que l’effondrement prévisible d’un pan entier de l’Europe ne pourrait que les entraîner à leur tour.
L’Europe doit sauver les plus faibles de ses membres si elle veut se sauver elle-même.
François Alfonsi.