par François Alfonsi
Ce qui se passe aux confins orientaux de l’Europe, à la frontière polonaise, où une poignée de migrants kurdes vivent un enfer inhumain, est la manifestation la plus récente de la nouvelle arme déployée par les dictateurs pour s’imposer contre le reste du monde démocratique. Avant Loukatchenko, le satrape de Minsk, Erdogan l’a pratiqué à bien plus grande échelle encore depuis Ankara, extorquant ainsi des milliards d’euros à l’Europe, et obtenant aussi la liberté politique d’opprimer son opposition et de bombarder le peuple kurde. Face à ces agressions, l’Europe a une arme : celle des sanctions économiques. Mais elle ne l’utilise que bien trop peu. Et elle a un devoir : respecter les droits humains. Et là aussi le bât blesse.
Ils sont principalement des Kurdes de Syrie et d’Irak, trois ou quatre mille à affronter l’hiver qui commence, parqués dans la campagne biélorusse, privés de nourriture et menacés de mourir de froid comme cela a été le cas pour onze d’entre eux.
Comment sont-ils arrivés là ? Par des lignes aériennes mises en place par des compagnies aériennes ayant pignon sur rue, à commencer par la compagnie étatique biélorusse, mais aussi bien d’autres compagnies attirées par un marché inespéré. En effet, aucune étude économique préalable crédible n’aurait pu expliquer que s’ouvre soudain une offre de vols entre Damas, Bagdad et Beyrouth et la capitale biélorusse de Minsk.
Ces charters ont été délibérément mis en place pour être remplis de « touristes » dotés de visas délivrés par le consulat biélorusse afin d’alimenter un stratagème imaginé par le régime de Loukatchenko pour s’en prendre à l’Union Européenne qui refuse de tolérer la dictature qui perdure à ses portes.
Les 27 États européens disposent dans tous les États du Moyen Orient de 27 services diplomatiques aux effectifs cumulés manifestement pléthoriques, manifestation ruineuse de l’incapacité des États-nations de la vieille Europe à s’organiser davantage dans ce domaine sensible de la politique extérieure. Malgré cette abondance de moyens diplomatiques et de services secrets, pas un de ces experts n’a pu deviner le manège grossier qui s’est mis en place sous leurs yeux ? C’est là un constat d’échec dont il faudrait tirer les leçons !
Étouffer dans l’œuf la crise que l’on connaît aujourd’hui était tout à fait possible. Il suffisait d’adopter dès le début les sanctions contre les compagnies qui se livraient à ce trafic à peine dissimulé de migrants pour en arrêter aussitôt le flux.
Car les lignes aériennes qui ont acheminés ces malheureux jusqu’à l’aéroport de Minsk sont désormais interrompues. L’Europe a fait ce qu’il fallait pour cela, mais tellement tard, en sanctionnant les compagnies qui se sont prêtées au jeu, et qui sont désormais menacées de ne plus pouvoir desservir aucune destination dans les 27 États-membres de l’Union. Ce qui, pour chacune d’entre elles, signifierait des pertes économiques abyssales.
L’efficacité radicale de cette décision, même si elle a été très tardive, permet de mesurer le potentiel de l’Union Européenne et sa capacité à se protéger collectivement et à peser sur les équilibres mondiaux. À condition de s’en donner les moyens politiques préalables, notamment en avançant sur une Europe de la diplomatie beaucoup mieux intégrée, plus efficace et probablement bien moins coûteuse que l’empilement systématique de 27 ambassades par pays !
Cette carence de l’Union Européenne a fait que la manipulation indécente et inadmissible imaginée par le dictateur biélorusse pour « punir » l’Europe qui combat sa dictature a pu se mettre en place. En organisant l’acheminement de quelques milliers de migrants par des vols aériens depuis l’Irak et la Syrie, pour les amener jusqu’à la frontière de l’Union Européenne, il a fait preuve de cynisme et d’inhumanité.
Il faut s’opposer avec fermeté aux manœuvres du satrape de Minsk, mais ceux qui ont été piégés doivent être secourus. Ils sont les victimes du « retard à l’allumage » de la contre-offensive des sanctions qui a rapidement tari le flux des arrivées de nouveaux migrants. Leur situation humanitaire ne peut nous laisser indifférents. Ils sont trois ou quatre mille à peine : personne ne peut sérieusement affirmer qu’ils constituent une « vague migratoire » à l’échelle de 460 millions d’européens. En tardant à leur donner asile, alors même qu’elle porte une part de responsabilité dans leur situation, l’Europe manque à un devoir essentiel : le respect des Droits de l’Homme. •