Par François Alfonsi
Plusieurs dynamiques politiques devront trouver comment rebondir après les élections européennes et législatives qui viennent d’avoir lieu. Une nouvelle séquence s’ouvre désormais.
Pour la seconde moitié de sa mandature entamée en 2021, la Collectivité de Corse est désormais confrontée à un interlocuteur parisien totalement chamboulé. Les contours du nouveau pouvoir en gestation en France restent très flous, et c’est l’inconnu qui prévaut au niveau des différents interlocuteurs sur le dossier corse, à l’exception d’Emmanuel Macron, toujours président de la République.
Pour autant, l’accord de Beauvau reste vivant, fort des signatures légitimes qui y ont été apposées par le représentant mandaté du gouvernement et par le président du Conseil exécutif de Corse qui en avait le mandat largement majoritaire émanant de différentes forces politiques insulaires.
En fait, « l’accord de Beauvau » est entré depuis sa signature dans une nouvelle phase, celle de sa mise en œuvre. Elle sera rendue beaucoup plus compliquée du fait de cette nouvelle donne politique.
Avec ces élections impromptues, il fallait se mettre en situation de pouvoir profiter de la moindre fenêtre de tir pour mener de nouvelles négociations. C’est ce que nous avons réussi à faire, même si la perte du siège de Jean Félix Acquaviva a affaibli la représentation parlementaire du « camp autonomiste ». Cependant, avec deux députés sur quatre, et un sénateur sur deux, nous restons présents et bien représentés.
Comment cela pourrait-il évoluer ? En théorie, rien n’empêche Emmanuel Macron de déclencher la réforme constitutionnelle pour laquelle il s’est engagé le 27 septembre 2023 lors de son discours à Aiacciu. En pratique, il ne le fera certainement pas avant qu’une certaine stabilité ne soit revenue à l’Assemblée nationale. Mais il se peut aussi que l’on se dirige vers une nouvelle dissolution dans un an ! Et plus le temps passe, plus une remise sur les rails du processus de Beauvau serait compromise.
Un autre cycle doit être analysé, celui qui a conduit les nationalistes à la tête des institutions de la Corse à partir de 2016, et à s’y maintenir depuis. Car, depuis quatorze ans, c’est la première fois que le mouvement nationaliste marque un recul dans une élection en Corse.
En 2010, la liste Femu a Corsica conduite par Gilles Simeoni avait renversé le leadership au sein du mouvement nationaliste, jusque-là détenu par le Lutte de Libération Nationale qui était seule représentée à la table de négociation de Lionel Jospin quelques années plus tôt.
Ces années d’opposition ont préparé l’élection suivante, celle des municipales de 2014 et la première grande victoire électorale aux municipales à Bastia. Il a été alors montré que l’hésitation de nombreux Corses à soutenir un mouvement nationaliste dominé par une tendance radicale pouvait être levée dès l’instant que le mouvement modéré, représenté par Gilles Simeoni, était à la barre.
L’opinion corse a ensuite rapidement été majoritaire à se reconnaître dans le message autonomiste : 35 % en 2015, année de l’arrivée aux responsabilités, 56 % en 2017 lors de l’installation de la Collectivité unique issue de la fusion des départements et de la Collectivité territoriale, 68 % en trois listes en 2021, consolidant une base majoritaire indéniable qui a permis que s’ouvrent les portes du dialogue qui ont conduit à l’accord de Beauvau.
Les élections du mois dernier ont donc marqué un certain recul après des années de progression rapide et continue. Ce recul n’est pas dramatique, mais il faut s’en préoccuper.
L’opposition idéologique aux nationalistes redresse la tête après dix années très difficiles pour elle. Une nouvelle génération entre en politique qui n’a pas connu « la Corse d’avant ».
Une désillusion se fait jour sur les performances des politiques territoriales qu’il faut veiller à améliorer. La situation économique reste fragile et l’angoisse existentielle du peuple corse perdure face à l’érosion de sa langue et à la dépossession provoquée par la spéculation foncière. Enfin, l’importance du vote en faveur du Rassemblement national et de ses candidats inconnus, même s’il n’est pas spécifique à la Corse, est le marqueur d’un désarroi important de l’électorat insulaire.
Un nouveau cycle de consolidation doit donc s’ouvrir, en sachant que l’interlocuteur du dossier corse à Paris est insaisissable, et qu’il pourrait l’être encore pour une longue période. •