Par François Alfonsi
Les préparatifs « grand format » qui ont eu lieu à Aiacciu ces derniers jours, en présence des services officiels du Vatican, pour une venue en décembre prochain, confirment que ce déplacement du pape François est bien programmé, même si la confirmation définitive reste sans doute conditionnée à son état de santé. Pour la Corse c’est un grand honneur, certainement, et c’est aussi un sacré soutien à l’affirmation de son identité singulière.
Ce voyage du pape en Corse n’est pas ressenti comme une bénédiction par tout le monde. La presse relate que bien des dents ont grincé au sein de l’épiscopat français tout entier. Pourquoi le pape va-t-il en Corse alors qu’il a repoussé au même moment l’invitation pressante d’être à la cérémonie de réouverture de Notre Dame de Paris, cinq ans après l’incendie qui l’avait ravagée ? Cette cérémonie est à leurs yeux incommensurablement plus importante qu’un colloque de province sur la « religiosité dans l’espace méditerranéen » ! Qui plus est, dans un territoire marginal de la République ! Emmanuel Macron avait fait de Notre Dame de Paris sa priorité, mais le pape a préféré venir en Corse, où, selon le protocole établi puisqu’il est le chef de l’État du Vatican, le président de la République sera malgré tout tenu de l’accueillir en personne.
On peine à imaginer l’impact d’un déplacement pontifical. Les chiffres donnent le vertige, puisque Aiacciu, 70.000 habitants, s’apprête à recevoir autant de pèlerins que ce qu’elle compte d’habitants. Des paquebots de croisière géants seront mobilisés pour accueillir cette gigantesque foule. L’impact sera énorme pour un déplacement qui lui fait quitter Rome le matin et y revenir le soir-même.
Le choix de la Corse par le pape François doit manifestement beaucoup au cardinal François Bustillo dont le rayonnement est grand, en Corse et hors de Corse.
En Corse, depuis sa nomination comme évêque en 2021, il a construit une relation de proximité exceptionnelle. Il fréquente assidûment tous les lieux que les Corses affectionnent, notamment les événements religieux qui expriment l’identité de la Corse et de ses pieve, de la Santa di u Niolu à la Madunuccia in Aiacciu, San Ghjaseppu in Bastia, la cérémonie du Catenacciu à Sartè, et aussi dans une multitude de villages où il a honoré de sa présence la tenue des fêtes patronales. Il est un adepte de la « pastorale du contact », déployant une énergie impressionnante pour aller au-devant de toutes les occasions de débattre avec les gens, et de mettre en avant sa personnalité à la fois proche, familière et charismatique, avec un rythme étourdissant de déplacements sur le terrain.
La relation est ainsi devenue réciproque. La grande fidélité des Corses aux expressions traditionnelles de leur relation à l’Église est réconfortante pour l’évêque-cardinal de Corse, et le déplacement fait à Rome par 800 Corses venus soutenir son ordination comme cardinal a conforté largement son image de prélat-rassembleur, de plus en plus renommé dans les cénacles de l’Église, particulièrement dans l’entourage du pape à Rome.
Autre réalité à forte résonnance, celle des confréries, dont le renouveau de ces quinze dernières années a jeté une lumière nouvelle sur les pratiques populaires liées à l’expression de la foi. On compte 2.000 confrères dans l’île, auprès des paroisses urbaines comme rurales, dont l’activité auprès des gens est forte et appréciée, lors des fêtes villageoises, auprès des familles touchées par un deuil, et autour de multiples occasions d’apporter solidarité et identité en tous lieux. Cette force de mobilisation popularise positivement le culte catholique qui était menacé de nécrose par un repli sur la « messe du dimanche ». Et elle apporte au cardinal Bustillo une fonction de leader religieux apte à renouveler les pratiques confessionnelles pour leur donner une nouvelle dynamique.
C’est, à entendre les commentaires autour de cette visite-surprise en Corse, la raison principale du choix du pape entre Notre Dame de Paris et la Corse. À la cérémonie corsetée entre hautes personnalités conviées à Paris pour un événement puissamment conventionnel, il a préféré aller au-devant d’une ferveur populaire qui s’exprime en Corse avec une vigueur nouvelle.
Au passage le pape met la Corse en lumière, et il rappelle qu’elle est un territoire plus proche de Rome que de Paris. Ce qui ne peut qu’encourager le peuple corse dans sa quête d’une reconnaissance spécifique, et soutenir les vues du mouvement autonomiste sur l’île. •