Cap'artìculu

Le processus de dialogue fragilisé

La décision de la Cour d’Appel de Paris qui a refusé l’aménagement de la peine de Pierre Alessandri a jeté un grand trouble. Décidément, la liste est longue de ceux qui, dans les retranchements de l’État, veulent fermer toutes les portes. Pourtant ce processus doit continuer, et il doit réussir. Femu a Corsica a décidé de continuer sa participation.

 

Depuis le début, au mois de mars, il existe de grandes interrogations sur les leviers qui sont actionnés par l’État pour répondre à la crise politique surgie après la mort d’Yvan Colonna à la prison d’Arles. En façade, les discours et les engagements se succèdent dans le sens d’alimenter le dialogue. Mais, dans l’arrière-cour rien ne change et chaque décision survenue est une interrogation supplémentaire. On sent bien que l’attitude de l’État est parasitée par une haute administration jusqu’auboutiste.

Premier signal : Yvan Colonna est encore agonisant quand tombe la décision de son rapprochement à Borgo « car il ne présente plus de risque pour l’ordre public ». Pierre Alessandri et Alain Ferrandi en sont exclus. Le tollé que provoque cette décision cynique, au moment même où la colère des Corses s’exprime déjà dans la rue, oblige à une rectification précipitée qui permet enfin le rapprochement à Borgu de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi alors retirés à leur tour de la liste des Détenus Particulièrement Signalés qui les assignait à résidence dans les prisons du continent. Mais le fait est là : ceux qui tiennent la plume à Paris avaient décidé et montré leur pouvoir de nuisance.

Pour ce qui concerne la récente demande de libération conditionnelle de Pierre Alessandri, c’est la même caste de hauts fonctionnaires qui est à la manœuvre. Car la décision de la Cour d’Appel vient suite à un appel du Parquet, donc de magistrats placés directement sous l’autorité du Ministère de la Justice. Notons, pour commencer, qu’en première instance, en toute indépendance, des juges ont accordé à Pierre Alessandri la libération conditionnelle qu’il demandait. Il aurait très bien pu ne pas y avoir d’appel de cette décision, si l’administration de la Justice avait été en phase avec les discours tenus par Gérald Darmanin. Mais nous sommes alors en pleine période électorale et l’incertitude du scrutin pesait sur la situation. Gérald Darmanin, candidat dans le département du Nord, n’aurait pu être reconduit ministre s’il avait été battu. Dans cette vacance du pouvoir politique, le pouvoir administratif s’en donne alors à cœur joie. Puis, quelques mois après, la Cour d’Appel entérine.

 

Il n’y a pas que dans les coulisses du ministère de la Justice que de tels hauts fonctionnaires agissent. Celles de Bercy et du ministère des Finances aussi ont leur contingent de décideurs dont la seule option est « niet » dès l’instant qu’il s’agit de la Corse. Niet aux amendements déposés par les députés corses pour consolider les effets de la loi sur le pouvoir d’achat dans le contexte de la Corse où la population, alors qu’elle connaît un fort taux de pauvreté, doit faire face à un coût de la vie encore plus élevé lié à l’insularité. C’est sans sourciller aussi que le même « niet » a été opposé à la demande de préserver un dispositif fiscal qui facilite les investissements hôteliers en Corse y compris dans le cadre d’une succession familiale, alors que la loi des finances veut le réserver au profit de nouveaux acquéreurs, encourageant ainsi la dépossession des Corses au profit d’investisseurs extérieurs. Et tout à l’avenant.

Chacun comprend bien que le processus actuel a besoin de plusieurs mois pour produire ses effets. Mais si, dans cet intervalle, chaque décision prise à propos de la Corse est une décision négative, alors il est inévitable que le processus déraille. Et d’autant plus quand il s’agit de la question o combien sensible des prisonniers politiques.

Car dans le même temps que l’on a privé Pierre Alessandri d’une libération conditionnelle, des détenus basques de l’ETA l’ont obtenue alors qu’ils purgeaient des peines liées à des faits tout à fait comparables. Ce qui conforte le sentiment que les Corses sont une obsession du côté de la haute administration qui pratique, comme l’a très justement dénoncé Patrick Baudouin, président de la Ligue des Droits de l’Homme, « une justice qui se confond avec la loi du Talion ».

C’est dès aujourd’hui que le choix politique du dialogue prôné, et pratiqué, par Gérald Darmanin doit faire entendre sa prééminence dans les choix politiques de l’État français au plus haut niveau. Le contexte électoral est passé, les responsabilités sont désormais clairement définies, et les Corses doivent savoir, une fois pour toutes, si l’État français a renoncé à la loi du Talion et s’il s’engage résolument dans la voie du dialogue.

C’est à cette condition que le processus actuel, auquel Femu a Corsica a décidé de continuer à participer, sera consolidé et crédibilisé. •