Cap'artìculu

Le retour du dogmatisme jacobin

Elne, Saint André, Port Vendres, Amélie-les-Bains-Palalda, Tarerach : les maires de ces cinq communes de Catalogne – Nicolas Garcia, Samuel Moli, Grégory Marty, Marie Costa, Jean Louis Salies – sont passés devant le tribunal de Montpellier en raison de leur décision d’inscrire au règlement intérieur de leur commune la possibilité de s’exprimer en catalan lors des conseils municipaux. Comme le Tribunal administratif de Bastia contre la Collectivité de Corse, celui de Montpellier a condamné les élus catalans à renoncer à parler catalan en Catalogne ! Un comble du totalitarisme jacobin !

 

 

La question est en train de faire tâche d’huile, et elle pourrait bien, deux ans après le vote de la loi Molac sur l’enseignement par immersion des langues régionales, censurée aussitôt par le Conseil constitutionnel, ouvrir une nouvelle crise entre l’establishment constitutionnel français et les élus des territoires attachés à leurs langues régionales.

À la base de ces décisions linguicides, car interdire à des élus de parler leur langue est une loi linguicide, il y a l’interprétation par le Conseil constitutionnel de l’article 2 de la Constitution « le français est la langue de la République ». La jurisprudence qui en a découlé, et que ces tribunaux dociles appliquent sans sourciller, est que parler catalan dans la salle du conseil municipal de Tarerach (53 habitants) est anticonstitutionnel. C’est dire à quel point le jacobinisme français est un totalitarisme paranoïaque !

Comme la Collectivité de Corse, elle aussi condamnée pour avoir voté un règlement intérieur prévoyant que ses débats puissent se dérouler soit en corse, soit en français, ces élus catalans vont aller devant une cour d’appel. Sans doute pour y subir le même verdict infamant. À moins d’une mobilisation collective forte que le caractère caricatural de ces décisions pourrait bien provoquer.

 

Ces décisions des tribunaux sont à rapprocher d’une nouvelle montée en puissance des jacobins. L’auteur d’un livre intitulé « La France en miettes : régionalismes, l’autre séparatisme », Benjamin Morel, est désormais la coqueluche des médias parisiens. Par exemple, Le Monde a récemment publié une article intitulé « la République au défi des régionalismes », qui met en valeur ses thèses.

La rhétorique est rodée : « consacrer des différences entre collectivités crée de la concurrence entre les régions » et il en déduit le refus d’une Alsace retrouvant sa reconnaissance territoriale car elle est « région riche ». Elle serait « région pauvre », on lui expliquerait tout aussi doctement qu’elle ne peut s’assumer seule ! En fait seul compte de refuser l’identité du peuple alsacien !

On est de fait dans l’absurde le plus total dans la mesure où la Région Alsace a existé dans l’organisation administrative française depuis le début des « régions-programmes » en 1958 jusqu’à la réforme Valls-Hollande de 2015. Durant 57 ans, personne n’avait jamais vu dans ce découpage administratif naturel correspondant à la géographie et à l’histoire de ce territoire une « exacerbation des concurrences entre régions ». Mais Benjamin Morel n’était peut-être pas encore de ce monde !

 

Le refus par les Alsaciens d’une décision bureaucratique imposée sans aucun respect de leur volonté et de leurs droits, tels que définis par la charte européenne de l’autonomie locale du Conseil de l’Europe qui énonce que « les limites territoriales (d’une collectivité locale) ne peuvent pas être changées sans accord de la collectivité locale concernée », est démocratique et légitime. La région Alsace préexistait au conglomérat créé sous le nom de « Grand-Est », et elle a fait connaître alors par tous ses représentants élus qu’elle était opposée à sa disparition.

Mais voilà que quand les Alsaciens demandent le retour à la situation antérieure qui leur convenait incomparablement mieux, ils deviennent le diable en personne ! Revendiquer la reconnaissance qui leur a été enlevée sans le moindre respect de la démocratie devient pour les gardiens du temple jacobin un crime de lèse-majesté. Dans le même article du Monde, Jean Luc Mélenchon écrit sans sourciller : « Quand tu es alsacien, tu te réjouis que l’Alsace se porte bien ; et tu regardes d’un œil différent les Ardennes ou la Moselle. Tu es trop content de te détacher de ça. » Extraordinaire déni de réalité puisque l’Alsace a été région de plein exercice durant 57 ans avant d’être rattachée au pataquès baptisé Grand Est !

Décidément la France n’est pas sortie de ses démons jacobins. Il faudra se battre pied à pied pour construire un autre avenir ! •