Air Corsica

Le vent du boulet !

par François Alfonsi

 

L’attribution à Air Corsica du premier volet de la délégation de service public concernant le bord à bord entre Corse d’un côté, Marseille et Nice de l’autre, a été voté par l’Assemblée de Corse lors de sa session de novembre. De la sorte, la compagnie corse est rassurée pour sa survie, alors qu’une attribution à la concurrente Volotea l’aurait compromise.

 

Cette attribution vaut pour quatre années, et elle porte sur un montant global de 226 M€, soit une moyenne de 56 M€ par an, montant considérable qui ne peut ignorer un examen approfondi à travers les procédures de la concurrence.

Cette somme est à replacer dans le contexte d’une enveloppe de continuité territoriale de 187,7 M€ par an, dont 56,8 % ont été consacrés au maritime, laissant 81,1 M€ à l’aérien. Cette enveloppe est figée et elle n’évolue pas avec l’inflation depuis de nombreuses années. Cependant la flambée des cours de l’énergie, en grande partie liée au conflit ukrainien depuis février 2022, a amené l’État à accepter une rallonge de 33 M€ en 2023 et 40 M€ pour 2024.

Prenant acte de cette contrainte budgétaire, l’Assemblée de Corse a choisi de valider, dès à présent, les délégations de service public sur le bord à bord, arguant que la moitié des passagers transportés sur ces lignes étaient des résidents – contre environ 17 % sur les lignes de Paris –, et que beaucoup d’entre eux voyageaient pour faire face au sous-équipement sanitaire de l’île (26.000 voyages par an). Les lignes de Paris seront analysées et débattues en mars prochain, les offres émanant cette fois du consortium Air Corsica/Air France, et, à nouveau, Volotea.

 

Pour le marché des lignes de bord à bord, quatre rounds de négociations ont été nécessaires, l’Assemblée de Corse se prononçant sur l’offre finale que chaque candidat a formulée à la mi-octobre. Cette phase de négociation a été capitale pour Air Corsica, l’écart des deux offres concurrentes passant de plus du simple au double à l’ouverture des plis, à +13,3 % au final. La correction s’est faite dans les deux sens : Volotea a renchéri son offre de 16,3 M€ sur quatre ans (+26 %), quand celle de Air Corsica a été carrément divisée par deux !

Sur la base de cet écart réduit des prix, la Collectivité a été en mesure de pondérer la note finale avec les autres critères de qualité et de solidité financière mentionnés dans l’appel d’offres, en s’appuyant sur le recul permis par des décennies de fonctionnement fiable de la DSP depuis 1992. D’autres critères sont intervenus ; par exemple, la demande du cahier des charges de pouvoir résilier d’office le contrat en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise a été acceptée par Air Corsica dont l’actionnaire principal est la CdC, mais pas par Volotea dont les actionnaires perdraient alors la valeur marchande de ce contrat en cas de liquidation.

Il faut quand même réaliser que, sur les deux lignes concernées, Aiacciu et Bastia de et vers Marseille, la négociation a resserré l’écart entre les deux offres de 71,3 à 10,39 M€ sur 4 ans, celle d’Air Corsica baissant de 50,5 M€ et celle de Volotea progressant de 16,34 M€.

 

Ces chiffres résument assez à quel point l’avenir d’Air Corsica a été grandement interrogé par cet appel d’offres. Entre sa première offre sur les deux lignes en concurrence (Aiacciu-Marseille et Bastia-Marseille), 33,5 M€/an, et l’offre finale, 15,4 M€/an, Air Corsica a proposé 18,1 M€ de rabais annuel. Dans le même temps l’offre de Volotea a elle aussi évolué, mais à la hausse de 4,1 M€/an, car leur présentation était largement faussée. Mais au bout du compte, Air Corsica devra s’accommoder de cette moindre subvention, ce qui représente une baisse de 8,6 % de son chiffre d’affaires. Et donc réduire ses charges en conséquence.

Que va, dans ces conditions, donner la négociation sur les lignes de Paris ? Le taux de voyageurs résidents, qui est le cœur de la justification de la DSP, y est de 17 % en 2021. L’offre de Air Corsica, probablement conçue dans les mêmes termes que celle du bord à bord, a fortiori dans le cadre du partenariat avec Air France, risque d’être à nouveau en difficulté, sans pouvoir recourir à la même souplesse de négociation.

Or si le bord à bord est la condition première de la survie de la compagnie, le marché Corse-Paris est la condition de sa rentabilité du niveau actuel de ses activités. Entre le solde de l’enveloppe de continuité territoriale après la part consacrée au maritime, 81,1 M€, et la somme engagée par le vote de la DSP sur le bord à bord, 56 M€, il reste 15,1 M€ disponibles pour financer le tarif résident, et une fréquence d’hiver dense, même si la demande baisse, sur les lignes de Paris.

Au vu des plis remis en première intention, il sera probablement difficile de joindre les deux bouts. À moins que la négociation ne fasse à nouveau des miracles ! •