Attentat contre Simone Guerrini à Aiacciu

L’engrenage

par François Alfonsi

 

 

Parmi les centaines, voire les milliers d’attentats qui ont jalonné l’actualité corse depuis 50 ans, peu nombreux sont ceux qui auront inspiré autant d’incompréhension et de réprobation. En détruisant à Aiacciu la maison familiale de Simone Guerrini, femme politique aussi discrète qu’estimée, hier à l’Exécutif de la Collectivité Territoriale de Corse présidé par Paul Giacobbi, désormais adjointe à la Culture de la ville d’Aiacciu, les tenants du nouveau sigle clandestin GCC (Ghjuventù Clandestina Corsa) ont franchi un seuil périlleux pour toute organisation clandestine, celui d’un rejet unanime de ses actions.

 

 

Il est dans la nature de la clandestinité d’alimenter les supputations, surtout quand, comme derrière ce sigle récent GCC, n’apparaît pour l’heure ni revendication structurée, ni espace politique de référence.

Que comprenons-nous de la vingtaine d’attentats revendiqués ou attribués à ce groupe ? Primo, il s’en prend à des cibles vides de tout occupant, résidences secondaires ou bâtiments administratifs, écartant ainsi tout risque pour les vies humaines. Deuxio, derrière chaque cible, il vise très souvent des Corses, au nom de slogans anti-spéculation dénués de justification crédible, tant pour les mairies d’Afà et d’Appiettu hier que pour Simone Guerrini aujourd’hui.

Une cible erratique isolée au milieu d’objectifs cohérents est un faux pas. Mais une succession de cibles erratiques doit être considéré comme l’expression d’un choix délibéré. Tel semble être le cas. Au fil des attentats, l’hypothèse de l’amateurisme de gens qui s’auto-désignent comme des jeunes s’efface et laisse place à l’hypothèse d’une démarche politique assumée. GCC apparaît ainsi comme l’instrument d’une violence portée contre des Corses, même si pour l’heure elle se limite à des dégâts matériels.

Le plus à craindre désormais est l’engrenage qui peut suivre ces premiers attentats. Leur mode opératoire incendiaire demande une logistique minimaliste par rapport au maniement d’armes et d’explosifs. Mais il y a fort à parier que la police cherche à s’adapter à cette nouvelle donne activiste. Déjà un arrêté préfectoral interdit tout transport de jerrican de produits incendiaires la nuit, ce qui permet de développer un vaste plan de contrôles routiers, autant de mailles d’un filet qui est appelé à se resserrer autour des commandos actifs. Jusqu’à, du moins est-ce l’espoir du préfet en charge de la sécurité, l’arrestation en flagrant délit d’un premier commando en train de passer à l’action.

 

Il y a aussi tout l’arsenal du renseignement que la police sait désormais développer de multiples façons, depuis les écoutes téléphoniques, le bornage de téléphones portables, les sonorisations de véhicules ou de locaux, ou encore le recueil de témoignages et d’indiscrétions. La tenue d’une clandestinité réellement étanche semble bien plus difficile aujourd’hui, compte tenu des progrès techniques, qu’au lendemain des événements d’Aleria. Et l’Histoire nous enseigne que, même en ce temps-là, les moyens policiers ont rapidement réussi leurs premières arrestations. Dès lors, en recevant une réprobation croissante attentat après attentat, GCC s’expose à un fatal isolement le jour venu.

Reste à comprendre ce que cette activité clandestine cherche à accomplir. En visant régulièrement des cibles corses, individus, élus ou institutions, elle jette les bases d’une déstabilisation de la société insulaire, alors même que des négociations sont en cours pour sortir la Corse d’un demi-siècle durant lequel la violence a été omniprésente, et pour promouvoir une Corse autonome et apaisée.

À vrai dire l’avenir du peuple corse et de sa jeunesse appelle à des démarches structurantes tout à fait autres que la résurgence d’une guerilla sporadique, qui plus est exposée à dégénérer en un affrontement entre Corses. •