Sucetà corsa di l’avvene

Les défis à relever

Le débat sur la « communauté de destin » comme perspective d’avenir pour le peuple corse est réactivé par un courant identitaire actif, relançant un serpent de mer que le nationalisme corse pensait avoir écarté depuis les années 80, celui de l’ethnicisme. Il s’agit là d’une impasse politique et sociétale. Le destin du peuple corse ne peut se concevoir avec le fantasme d’une machine à remonter le temps. C’est vers l’avenir qu’il faut regarder.

 

Le constat que l’on peut partager est celui de la défaillance des politiques publiques en vigueur pour construire l’avenir de l’identité corse. Les politiques éducatives et culturelles sont largement dépourvues de l’efficacité requise pour relever le défi de l’avenir d’une langue corse menacée dans son espace naturel. Et la dépossession foncière liée à la spéculation s’attaque au lien à la terre qui est à ce jour le principe le plus actif du sentiment d’appartenance au peuple corse.

Ces deux axes sont clairement les axes prioritaires. Chaque Corse, « d’origine ou d’adoption » selon les termes de la délibération historique de l’Assemblée de Corse de 1988, doit pouvoir inscrire son projet d’avenir dans un lien effectif avec la terre où il vit, et il doit avoir un accès généralisé à la culture et à la langue corses, pour lui-même et pour ses enfants.

 

Sommes-nous encore capables de fabriquer des Corses ?

Dans le contexte des années 60, la réponse positive était évidente dans un contexte démographique épuisé par l’exil mais resté profondément imprégné de culture corse. Aujourd’hui la population a doublé dans une île qui connaît un développement économique objectif, mais leurs petits-enfants ou arrière-petits-enfants ne bénéficient plus que très rarement de la transmission familiale et villageoise. La diaspora qui vient soutenir l’essor démographique insulaire, et qui pourrait et devrait le faire encore davantage si une politique publique structurée à son endroit était mise en place, est encore plus coupée de ses racines identitaires. Le besoin de corsisation est général, que l’on soit Corse d’origine ou Corse d’adoption.

Existe-t-il des politiques qui permettent d’atteindre cet objectif ? La réponse est donnée par des situations comparables en Europe. Là où une volonté existe, et là où les politiques publiques sont adaptées à travers des autonomies reconnues, des résultats très significatifs sont atteints.

L’exemple de la Flandre, comme celui de la minorité germanophone de Belgique (100.000 habitants à peine), sont des exemples où la langue liée à une identité autrefois combattue a retrouvé tout son espace. Il leur faut souvent résister âprement, comme le font les flamands aux abords de Bruxelles ou au contact de la frontière française. Mais la Belgique est devenue en deux générations une sorte de Suisse où cohabitent des espaces linguistiques totalement distincts. Cette évolution a été obtenue par des mesures fortes dans l’école, dans les services publics, dans la politique de l’emploi. Ce que leur permet l’autonomie dont ils bénéficient au sein d’une Belgique autrefois dominée par les francophones. Un indicateur permet d’évaluer la réussite de ces politiques : un immigré établi en Flandre finit par vite parler flamand même s’il est francophone à l’origine, marocain ou tunisien par exemple.

Moins connu, mais très inspirant, est l’exemple du Sud-Tirol en Italie, espace germanophone qui l’est resté imperturbablement face à l’impérialisme d’une langue italienne volontiers dominatrice, et pas seulement du temps de Mussolini. Dans cette « autonomie à statut spécial » accordée par la constitution italienne, encore plus inspirante est la situation des vallées ladines des Dolomites, où vit un peuple montagnard de langue « romanche », de 40.000 habitants, dont les deux tiers bénéficient des politiques mises en œuvre dans le cadre de l’autonomie du Sud-Tirol. Dans les vallées situées dans la zone du droit commun italien, en Vénétie, la pratique du ladin s’est effondrée (-30 % en deux générations). À l’inverse, dans les vallées de montagne rattachées à l’autonomie du Sud-Tirol, la langue ladine était parlée par 29.708 personnes en 2011 contre 23.381 deux générations plus tôt, en 1971, soit +27 %.  Et, en 2023, le bilan est toujours très positif même s’il leur faut lutter, comme nous, contre une spéculation foncière touristique qui met en péril leur lien à la terre.

 

Quelles sont les politiques qui ont fait la différence ?

Principalement l’école où les enfants bénéficient d’un enseignement par immersion réelle, l’obligation de parler ladin dès l’instant que l’on occupe un emploi public, et toute une série de politiques qui ont contribué au prestige au sein de son peuple de la langue ladine, évalué comme un des plus élevés pour une langue minoritaire en Europe.

L’autonomie est le moyen politique qui a permis dans ces exemples de mettre en œuvre des politiques performantes. C’est bien sûr la grande attente que nous avons quant à la future autonomie de la Corse. Per l’avvene di u pòpulu corsu ! •