Deux annonces en un voyage : le gouvernement est prêt à discuter d’une « disposition sur la Corse » lors de la révision constitutionnelle annoncée par Emmanuel Macron pour l’été 2018, et l’État réfléchit pour une évolution du « droit à l’expérimentation » en un « droit à la différenciation ».
La nomination de la Secrétaire d’État en charge de la question corse avait suscité beaucoup de scepticisme. Peu connue, peu au fait de la Corse, peu mise en avant dans le gouvernement, elle était ressentie comme destinée à jouer les seules utilités. D’autant que les signaux et messages passés par le gouvernement, avant et après les élections de décembre, et même par le chef de l’État encore récemment, étaient très réticents.
Mais la vague démocratique du 10 décembre est passée par là. Encore bloqué il y a peu, le dossier corse est à nouveau actif et un dialogue peut s’engager.
Par son voyage en Corse, Jacqueline Gourault est venue initier ce nouveau cycle de dialogue avec l’État. Plusieurs rendez-vous sont fixés : rencontre avec le premier Ministre fin janvier, puis venue en Corse du chef de l’État le 6 février, officiellement pour la vingtième commémoration du décès du Préfet Erignac. Nul doute qu’un discours sera prononcé à cette occasion, et qu’on en saura alors davantage.
En tous les cas un changement de cap s’est bel et bien manifesté car celui fixé jusqu’alors par l’État était le « cadre constitutionnel constant ». La mention de la Corse dans la Constitution est une demande formulée par une très large majorité de l’Assemblée de Corse depuis l’ère Paul Giacobbi, à partir des travaux menés par Pierre Chaubon. L’objectif est d’ouvrir dans le «mur constitutionnel » qui s’oppose à toutes les demandes particulières de la Corse, une « fenêtre» spécifique où les adaptations législatives et réglementaires nécessaires pourront s’affranchir du « principe d’égalité entre les territoires », principe d’uniformité consubstantiel du modèle jacobin. La proposition de l’Assemblée de Corse a été d’ajouter un 5e alinéa à l’article 72 de la Constitution pour définir cette « exception corse » qui pourrait ouvrir la voie à une autonomie.
Mais la Constitution française est en fait un carcan qui bloque aussitôt les tentatives de faire évoluer les lois et règlements en fonction des nécessités. Ainsi, en 2008, la mention des « langues régionales, patrimoine de la France » à l’article 75-1 n’a permis aucune avancée, ne serait-ce que pour ratifier la Charte Européenne des Langues Régionales qui est pourtant le minimum minimorum des dispositifs législatifs adoptés par les autres pays européens en leur faveur. Car, tant que l’article 2 – « la langue de la République est le français »- est appliqué sans nuance, aucun dispositif concret ne peut en découler, ni l’enseignement par immersion, ni la généralisation de son enseignement ou de son usage dans la vie publique.
Aussi, la déclaration de Mme Jacqueline Gourault présente un réel intérêt par le second dispositif qu’elle a mis en avant : faire évoluer le « droit à l’expérimentation » vers un « droit à la différenciation ».
Le « droit à l’expérimentation » inscrit par Lionel Jospin dans la Constitution en 2003 a tourné à la mascarade : dès qu’un territoire émet une demande d’adaptation, il faut que le Parlement français l’accepte (on a vu récemment pour la taxe sur les camping cars ce qu’il en est), et que la mesure soit généralisée dans les trois ans à tous les territoires français. En 16 ans, la portée de cette mesure a été totalement nulle. La transformer en un droit à la différenciation serait alors une avancée dans la mesure où la modification instaurée pourra s’inscrire dans la durée, et définir progressivement, domaine par domaine, un cadre spécifique corse. Tout dépendra des « verrous » qui accompagneront le dispositif, car, le problème est déjà posé pour la co-officialité, ce « droit à la différentiation » sera conditionné par les autres contraintes constitutionnelles (unité, article 2 sur la langue, égalité, etc.).
Il faudra donc voir les propositions concrètes qui suivront les annonces de Mme Gourault. Mais, un dialogue est lancé sous l’effet de la victoire magnifique obtenue le 10 décembre dernier.
C’est déjà un premier pas en avant.
François Alfonsi.