Entre l’état des lieux, très inquiétant, les perspectives d’évolution, largement négatives, et les capacités opérationnelles disponibles pour rétablir la situation, plutôt défaillantes, il n’y a guère de place pour un optimisme béat quant à l’avenir de la langue corse. Pourtant, le projet politique nationaliste sera pour beaucoup jugé sur son bilan « langue corse ». C’est un chantier urgent et prioritaire.
L’état des lieux tient en un chiffre : la Corse compte environ 100.000 locuteurs de langue corse pour une population résidente de 330.000 habitants. Dans un environnement de moins en moins corsophone, ces locuteurs sont de moins en moins audibles dans l’espace social.
Les perspectives sont liées à la démographie. Bien évidemment, la majorité de ces locuteurs confirmés ont 60 ans et plus. Leur nombre s’effondre ensuite tranche d’âge par tranche d’âge. Les jeunes parents de 2023 n’ont, à quelques exceptions près, pas la compétence linguistique suffisante pour transmettre la langue à leurs enfants nouveau-nés. Cette question de la transmission est essentielle, et elle passe nécessairement par l’école et sa capacité pédagogique.
Les structures aptes à relever ces défis restent elles aussi manifestement insuffisantes. À commencer par l’école publique, enfermée dans sa réglementation « constitutionnelle » liée à l’article 2 de la constitution et son interprétation par les services de l’État dans l’Éducation nationale comme dans les autres domaines (confer les décisions de justice adoptées récemment contre l’usage de la langue corse par la Collectivité de Corse).
Ce que propose l’Éducation nationale, c’est au mieux un bilinguisme dit paritaire le long de la scolarité primaire et secondaire. La réalité est souvent bien loin de cet objectif, mais, même là où il est réellement appliqué, tirons-en le bilan : au mieux, il apporte aux jeunes, encore en contact avec des locuteurs réguliers, de quoi soutenir les connaissances acquises dans le cadre familial, ainsi qu’un accès facilité à la lecture et l’écriture.
Il reste de la sorte un groupe de locuteurs encore assez confirmés parmi les jeunes diplômés qui, à vingt ans, se destinent aux métiers de l’enseignement. C’est dans ce vivier déjà très restreint que, par exemple, Scola Corsa réussit à puiser des jeunes enseignantes et des aides maternelles qui s’engagent dans le cursus des écoles immersives, ou encore Via Stella et RCFM pour remplacer les animateurs corsophones au moment de leur départ à la retraite. Jusqu’à quand ?
La première urgence est donc de développer et généraliser le réseau des écoles associatives immersives Scola Corsa car elles seules ont fait la démonstration de leur capacité à porter les enfants à une véritable spontanéité dans l’expression en langue corse. Les premiers exemples de Bastia et Biguglia l’ont démontré : c’est là la clef de l’avenir.
À quel rythme ce développement ? Le rythme actuel est schématiquement une classe nouvelle par site chaque année et un nouveau site par an. Pour sa troisième rentrée scolaire, Scola Corsa assurera trois niveaux de classe entre Bastia et Biguglia qui ont ouvert la première année, deux niveaux de classe à Sàrrula/Baleone qui a ouvert l’an dernier, et elle ouvrira un nouveau site à Corti cette année avec une première maternelle. Plus de cent-vingt enfants seront ainsi scolarisés en septembre pour la rentrée 2023, la troisième, vingt-cinq l’avaient été la première année et soixante-quatre la seconde. Cette progression est encourageante ; elle doit être accélérée.
Car autour de la progression de la scolarité de ces enfants peut s’articuler tout le reste, à commencer par leurs parents et grands-parents qui s’engageront à leurs côtés et pourront régénérer leurs compétences trop souvent devenues passives grâce à la fréquentation des Case di e Lingue. Des jeunes mèneront leur vie active en ayant la langue comme vecteur de leur ambition pour la société corse de demain. Puis, le jour venu, à la fin de leur scolarité, un nombre suffisant de nouveaux locuteurs sera apte à prendre le relais auprès de la nouvelle génération qui pourra être accueillie par les structures éducatives alors mises en place.
Cette programmation nécessite de l’ambition et des structures. En matière d’office de la langue corse, elle est encore à bâtir en créant le pendant corse de celui qui en Bretagne apporte le meilleur exemple. La question des locaux est cruciale et nécessite une approche concertée de la Collectivité de Corse, des communes et, pourquoi pas, des grands propriétaires fonciers comme l’Église.
C’est là, sans aucun doute, le grand chantier des années qui viennent pour une majorité nationaliste. •