Cinq dirigeants catalans, jusqu’ici en liberté provisoire, ont été placés en détention provisoire par le procureur de la Cour de Justice d’exception qui sévit depuis Madrid. Leur crime : ils ont été élus par le peuple catalan le 21 décembre dernier ! Car rien ne justifie la fin de leur liberté provisoire si ce n’est d’avoir été désignés pour remplir à nouveau d’éminentes responsabilités au sein de la Generalitat qui est sorti des urnes le 21 décembre 2017.
Ainsi en est-il de Jordi Turull. Ancien porteparole du gouvernement de Carles Puigdemont, il avait été inculpé pour les mêmes motifs de « sédition et rébellion », puis laissé en liberté provisoire contre une forte caution par le juge Llarena qui est, au sein du parquet madrilène, l’exécuteur des basses oeuvres de Mariano Rajoy.
Candidat sur la liste de Carles Puigdemont, il a été désigné par les deux principales formations de la majorité indépendantiste pour être son successeur, Carles Puigdemont, en exil à Bruxelles, en ayant été empêché, tout comme Jordi Sanchez, en détention provisoire avec trois autres otages de la raison d’Etat espagnole – Jordi Cuixart, Oriol Junqueras et Joaquim Forn, anciens responsables du gouvernement qui a conduit, après le referendum du 1er octobre, la déclaration d’indépendance de la Catalogne.
Jordi Turull a été le candidat désigné par la majorité la veille d’une session convoquée le jeudi 22 mars. Au premier tour, il a manqué de peu la majorité absolue. Il devait être élu samedi 24 mars à la majorité relative. Entre-temps vendredi 23 mars, il a été convoqué par le procureur avec plusieurs autres inculpés et aussitôt renvoyé en cellule. Marta Rovira, promise au même sort, a pris le chemin de la Suisse plutôt que de risquer d’être embastillée elle aussi. Raul Romeva, Carmè Forcadell, Josep Rull et Dolors Bassa ont eux été remis en cellule.
Samedi, faute de pouvoir investir le candidat présenté par la majorité élue de l’Assemblée catalane, la session a été ajournée. Mais, depuis le 22 mars, un délai légal de 2 mois a commencé à courir, et le 22 mai prochain, si aucun Président n’a pu être valablement investi, de nouvelles élections seront convoquées.
Depuis, décembre dernier, la tactique à suivre face au mur répressif madrilène fait débat au sein du mouvement catalan. La composante la plus minoritaire (la CUP, 4 élus) s’est même abstenue lors de l’investiture de Jordi Turull, le faisant échouer d’une seule voix, si bien que le lendemain le procureur a pu le faire incarcérer sans état d’âme. Mais CUP ne voulait pas renoncer à la « candidature légitime » de Puigdemont, et a préféré refuser d’investir un candidat de substitution. À l’opposé, Esquerra Republicana de Catalunya, par la voix de son dirigeant incarcéré Oriol Junqueras, estime qu’il faut sortir de la crise en investissant des candidats incontestables juridiquement. Au milieu, PDCat et ceux de la liste Puigdemont, vainqueurs de l’élection (34 sièges contre 32 à ERC) n’admettent pas volontiers de devoir écarter leurs dirigeants les plus en vue sur injonction de Madrid. Aussi, en présentant Jordi Turull, ils pensaient avoir trouvé une solution. L’intransigeance de la CUP, puis la décision arbitraire du juge Llarena, en ont décidé autrement.
Madrid a vu sa crédibilité atteinte par les décisions de plusieurs États – notamment la Belgique et la Suisse- d’accueillir les « réfugiés politiques » catalans. En lançant un nouveau mandat d’arrêt européen, elle espère les faire changer de position.
La Finlande, la première, a cédé à cette injonction et Carles Puigdemont, invité par des parlementaires finnois, a dû quitter précipitamment le pays. Il a été arrêté à la frontière entre Danemark et Allemagne par la police allemande à son retour de Finlande, certainement après un feu vert donné par Angela Merkel, alors qu’il avait été épargné par les polices suédoise puis danoise. Que fera la justice allemande ?
Protègera-t-elle, comme la justice belge, les libertés en Europe contre la dérive autoritaire où veut l’entraîner l’Espagne ?
En fait les limites de l’Etat espagnol sont claires : il faut qu’il puisse se donner les apparences d’un État de droit pour espérer continuer à avoir le soutien européen, et contraindre les pays les plus favorables aux dirigeants catalans, notamment la Belgique, à changer leur position.
Dès lors, investir à Barcelone des candidats non concernés par les procédures en cours couperait au gouvernement de Madrid la possibilité de continuer sa guerrilla judiciaire. Ainsi a fait ERC en investissant Roger Torrent pour la présidence du Parlement, alors qu’il ne siégeait pas lors de la précédente mandature, ce qui le met hors de portée des poursuites du procureur.
Dans l’état actuel du rapport de forces l’équation du mouvement indépendantiste est difficile. Il leur faudra manoeuvrer au plus près pour garder leur cap face aux vents contraires qui soufflent avec force. Camper sur des positions de principe comme le demande la CUP reviendrait à offrir à Madrid la « seconde chance » d’un nouveau scrutin en juin prochain. Renoncer ainsi au bénéfice des élections de décembre dernier serait certainement prendre un grand risque.
PS : Samedi, à Nice, j’ai animé un meeting de soutien au peuple catalan qui a réuni plusieurs dizaines de personnes. En Corse aussi, il faut montrer notre solidarité. Car le mur parisien n’a rien à envier au mur madrilène ! Et imaginer que des personnalités démocratiques aussi respectables qu’Oriol Junqueras ou Raul Romeva, mes anciens collègues au Parlement Européen, ou Carmè Forcadell, à qui la fondation CMC liée à l’ALE a attribué son prix Mauritz Coppieters 2017, et tous leurs compagnons, puissent être incarcérés est un scandale absolu. Visca Catalunya !
François Alfonsi.