Plus de 55% des voix pour la liste Pè a Corsica conduite par Gilles Simeoni : les Corses ont fait un triomphe au projet nationaliste pour la future Collectivité de Corse.
La propagation des idées est une mécanique mal connue, entre longues périodes de gestation et brusques accélérations de l’Histoire. Comment un projet politique simple, conséquence logique de l’existence d’un peuple, le peuple corse, car tout part de là, finit-il par lever les obstacles qui lui barraient la route de l’avenir pour s’affirmer comme une évidence criante ?
Le peuple corse existe, il l’a prouvé ce dimanche au fond des urnes. Ces bulletins dépouillés ont chacun une origine différente, jeune ou moins jeune, Corse d’origine ou Corse d’adoption, entrepreneur ou chômeur, aisé ou précaire, militant ou non. Mais ils ont tous un même objectif : construire le pays qu’ils aiment, leur pays, la Corse.
Il faut peser à sa juste valeur le score de 56,46% des voix obtenu par Pè a Corsica.
C’est d’abord plus que 50% : combien de gouvernements démocratiques de par le monde peuvent en dire autant dans un scrutin proportionnel ? Ils sont très rares.
C’est aussi plus de 55%, un chiffre que l’ONU a consacré comme preuve irréfutable d’un choix démocratique pour les questions fondamentales. Ce dimanche 10 décembre 2017, le peuple corse a fait, de manière incontestable, le choix de l’autonomie, le choix de son propre avenir.
Depuis juin 2014 et la fin de la violence politique, c’est comme si un obstacle avait été levé, et une énergie collective libérée. 2015, premier tour, 25% des voix pour Femu a Corsica et Corsica Lìbera cumulés. Second tour, 35 % des voix pour Pè a Corsica alors constitué par la fusion des deux listes. 2017, premier tour, 45% des voix, second tour 56% ! Cela a été tellement vite, tellement haut, tellement fort, qu’on ne réalise pas vraiment la puissance de ce mouvement, de cette adhésion collective, de cette révolution pacifique que la Corse est en train de vivre.
Car c’est bel et bien à un basculement de l’opinion auquel on assiste. En deux ans, les scores ont doublé pour le mouvement nationaliste. Les structures politiques traditionnelles ont explosé, au point de ne pas même proposer de liste pour la gauche version Tatti-Zuccarelli, et de plafonner quarante points derrière nous pour les autres composantes, y compris celle qui avait mobilisé le soutien du gouvernement et du Président de la République élus il y six mois à peine. L’abstention c’est la leur, celle de nombreux électeurs qui, sans encore adhérer aux idées nationalistes, ont fait le choix, conscient ou inconscient, de ne pas les empêcher.
En 2015, certains avaient fait le pari que l’élection avec une majorité relative de l’Exécutif nationaliste ne résisterait pas à l’usure du pouvoir sur deux années de mandature. Ils en sont pour leurs frais : loin de l’affaiblir, l’exercice du pouvoir a au contraire considérablement renforcé le message de l’autonomie porté par Gilles Simeoni.
Comme jamais, l’accomplissement de ce projet pour la Corse sera l’enjeu de ces trois prochaines années. Les conditions sont désormais remplies pour un renversement de logique : adapter la constitution française à la réalité corse, et non plus faire disparaître le peuple corse dans le moule jacobin. En ouvrant le dialogue, le gouvernement devra dire s’il veut accompagner cette évolution, ou, si il veut faire de la résistance.
Pour l’instant, l’appareil d’Etat jacobin démontre toute sa rigidité. Il y a eu le précédent de l’office HLM de Corse du Sud soustrait contre toute logique à la Collectivité Unique. Nouvelle illustration : dans l’entre-deux tours, on a vu le gouvernement mettre son véto à l’éco-taxe sur les camping-cars, proposée par l’Assemblée de Corse pour limiter le camping sauvage, et dont la mise en œuvre est rendue possible par le fait de l’insularité. Cette proposition ne coûte rien à l’Etat, mais elle est une « rupture du principe de l’égalité fiscale entre les territoires » a décrété le Ministère des Finances. Comprenons bien le message ainsi donné : même si c’est du simple fait de son insularité, même si cela ne coûte rien, la Corse ne peut admettre aucun traitement différencié !
La route est ouverte désormais pour rompre enfin avec cette logique mortifère pour la Corse. Mais elle sera encore longue et semée d’embûches. Tamanta strada !
François Alfonsi.