Cap'artìculu

Motion de censure

par François Alfonsi
Malgré l’ampleur de l’opposition rencontrée, Emmanuel Macron a été jusqu’au bout de son projet de réforme des retraites, au risque d’exploser en vol. La motion de censure déposée par le groupe LIOT n’a manqué que de neuf voix la majorité absolue requise à l’Assemblée nationale pour empêcher l’adoption de la loi et faire tomber le gouvernement qui a engagé sa responsabilité lors du vote.

 

 

Les calculs politiques du gouvernement Borne reposaient sur un accord avec la droite, Les Républicains, dont le soutien semblait suffire largement, sur le papier en tous les cas, à l’adoption de la loi, d’abord par le Sénat, et in fine par l’Assemblée nationale.

L’adoption par le Sénat a été moins large que prévu, et une cinquantaine de sénateurs encartés à droite avaient déjà manqué à l’appel lors de ce premier tour de piste, signe que les pointages ne pouvaient qu’être très serrés lors du vote final de l’Assemblée nationale.

Face à l’incertitude, la décision d’aller au vote a été remise en question, et Elisabeth Borne n’avait plus que la solution du 49-3 pour faire passer son texte. Mais, malgré les enjeux, le résultat a été plus que ric-rac !

La démonstration est une nouvelle fois faite de la faible fiabilité des « combinazioni » en politique. Cet accord avec la droite traditionnelle pour faire passer une loi clairement antisociale, au point d’avoir entraîné contre elle un front syndical sans faille pour la combattre, a dû affronter la colère de la rue et son très gros million de manifestants, voire deux millions, ce qui est énorme. Et aussi celle des sondages, unanimement et fortement hostiles.

Sous cette pression d’une opinion publique très mobilisée et contraire, les députés vacillent, et leurs hésitations déstabilisent les constructions faites au sommet. La direction des Républicains avait dealé son soutien au Sénat puis à l’Assemblée nationale. Mais la base, surtout celle qui est exposée au suffrage universel direct, les députés, s’est éloignée puis, en bonne partie, a été jusqu’à se désolidariser de ses dirigeants quand la pression est montée.

Même syndrome dans les rangs de la « minorité présidentielle », notamment du côté des alliés, où plusieurs ont annoncé publiquement qu’ils manqueraient à l’appel, provoquant l’annulation in extrémis du vote en séance publique et le recours au 49-3. Ne restait plus en effet que ce moyen pour en terminer avec le parcours parlementaire de la réforme des retraites. Mais rien ne garantit que la séquence revendicative et politique cessera pour autant. Première réponse ce jeudi, à l’heure où Arritti arrivera dans les kiosques.

 

En Corse, le débat parisien a connu un étrange prolongement.

On apprend dans la presse que l’Élysée a tenté de détourner les députés nationalistes de la solidarité avec leur groupe LIOT, dont ils sont des piliers, au nom du processus de dialogue en cours sur l’avenir de la Corse. Ainsi Jean Charles Orsucci, soutien déclaré d’Emmanuel Macron, après s’être, dit-il, entretenu 1h30 avec Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, déclare ni plus ni moins que « voter une motion qui peut conduire à la chute du gouvernement, c’est prendre le risque de mettre fin à la discussion avec Paris ».

Il est rejoint dans sa démarche par certains nationalistes comme Jean Guy Talamoni pour qui « (la question) de l’avenir de la Corse me paraît la plus importante. Est-ce le rôle de députés nationalistes corses de seconder Monsieur de Courson pour changer les dirigeants de la France, dynamitant ce faisant un processus de discussion qu’ils qualifient eux-mêmes, hâtivement, d’historique ». Ces positions oublient malgré tout l’engagement de la majorité des Corses, y compris les nationalistes, dans le combat contre cette réforme !

Les députés nationalistes corses n’ont heureusement pas tenu compte de ces admonestations. Ils ont voté en faveur de la motion du groupe LIOT où la Corse a de très fermes appuis. Depuis lundi, LIOT a gagné une notoriété inédite, ce qui favorisera son potentiel d’intervention auprès des groupes d’opposition. Le jour venu, s’il faut chercher une majorité des 3/5es au Parlement pour soutenir la réforme constitutionnelle négociée lors du processus de Beauvau, ils n’en seront que mieux armés.

Quant à la relation avec le pouvoir, une fois oubliée la mauvaise humeur du moment exprimée par les amis de M. Macron, la vie politique va reprendre son cours. Rapidement puisque l’arme du 49-3 n’a qu’un coup par session parlementaire, des majorités devront être négociées par le pouvoir en place. La position centrale de LIOT n’en sera que plus forte. Et la continuité du processus pour la Corse sera au premier rang des conditions posées par le groupe.

À vrai dire, l’épisode retraite n’aura pas entamé la suite du processus, quoique certains puissent penser. •