Autonomie

Ne pas laisser passer le train de l’Histoire

par François Alfonsi
Un processus historique s’étend sur plusieurs mois et années avec des moments forts qui bousculent les longs temps morts. Le discours d’Emmanuel Macron du 28 septembre 2023, tenu dans l’enceinte de l’Assemblée de Corse devant les élus de l’île, sera incontestablement un temps fort du processus de Beauvau.

 

 

Ce processus de Beauvau s’articule autour d’un mot : autonomie. C’est le mot-clef du « compte-rendu de réunions » signé par Gilles Simeoni et Gérald Darmanin le 16 mars 2022, quand tout a commencé au lendemain des émeutes qui avaient secoué la Corse après l’assassinat d’Yvan Colonna.

Presque un an plus tard, en février 2023, lors de la commémoration de la mort du préfet Erignac, Gérald Darmanin a prononcé un discours remarqué pour relancer un processus qui s’enlisait, appelant à se débarrasser « du carcan des ressentiments » et à « écrire une nouvelle page ». Le 24 février, Emmanuel Macron s’est invité à la troisième réunion tenue à l’Hôtel de Beauvau, siège du ministère de l’Intérieur à Paris, pour appuyer les propos de son ministre.

« Autunumìa » est ensuite le nom qui a été donné à la délibération de l’Assemblée de Corse qui a répondu à cet appel au dialogue, le 5 juillet 2023. Votée par 73 % des élus de l’Assemblée de Corse elle est la base qui unit le « camp progressiste », désormais majoritaire, celui pour qui l’autonomie du peuple corse est l’objectif.

Ce 28 septembre le mot « autonomie » a été à nouveau mentionné au cœur de l’intervention du Président de la République devant l’Assemblée de Corse, intervention suivie en direct par le peuple corse via internet ou la télévision.

Cette prise de position dans un moment solennel est un engagement ferme. Au-delà de ce temps fort qui engage le chef de l’État, va s’enchaîner une nouvelle phase du processus, et les conditions d’un accord historique sont désormais possibles. Elles n’en garantissent pas l’issue, mais elles en permettent la négociation.

Première condition validée par le discours du Président Macron : la réforme de la Constitution de la République pour y inscrire la « singularité de la Corse », et ouvrir ainsi un espace institutionnel pour l’autonomie.

Cette inscription de la Corse dans la constitution est depuis 2012, quand Paul Giacobbi était encore président du Conseil Exécutif, la base d’un consensus entre les élus nationalistes et les autres forces politiques. Elle se concrétise enfin dans le débat sur l’avenir de la Corse, huit ans après que les nationalistes soient devenus la force majoritaire dans l’île.

L’engagement du chef de l’État propose un chemin constitutionnel autour de la reconnaissance de la « singularité », de « l’insularité méditerranéenne », d’une « communauté insulaire, historique, linguistique et culturelle, ces mots qui seront, je le souhaite, ceux de notre texte fondamental ».

Cette périphrase a manifestement pour objet d’éviter de parler d’un peuple corse reconnu par la Constitution française.  Cet évitement est intentionnel. Il est certainement dans la nature d’Emmanuel Macron visiblement imprégné des concepts basiques de la République « une et indivisible ». Mais il peut aussi être interprété comme une approche pragmatique en vue de la bataille constitutionnelle à mener au Parlement pour faire voter, par l’Assemblée nationale, par le Sénat, puis par les trois cinquièmes du Congrès de Versailles, la reconnaissance constitutionnelle de la Corse en tant que territoire singulier, en vue de son autonomie.

Il faut se garder de toute forme d’excès, de confiance ou de défiance, dans l’appréciation de la portée politique du discours d’Emmanuel Macron du 28 septembre 2023. Il faut prendre acte de sa solennité qui marque une rupture avec les années écoulées depuis son élection à la Présidence de la République. Il faut mener à bien la négociation pour ouvrir aussi grandes que possible les portes de l’autonomie concédée après cinquante années de revendication corse. Il faut batailler sur le pouvoir législatif qu’Emmanuel Macron n’aborde que du bout des lèvres alors qu’il constitue la base même de toute autonomie, et sur la langue corse renvoyée à un « bilinguisme » de façade que nous savons potentiellement mortifère.

Cependant, une mécanique de négociation s’est mise en branle désormais. Le meilleur calcul est de s’y impliquer fermement, de façon à ne pas laisser passer le train de l’Histoire. Car la prochaine fenêtre d’une révision constitutionnelle ne se réouvrira pas avant une ou plusieurs décennies. •