Le Lehendakari basque en Corse

Plus forts ensemble

par François Alfonsi

 

Le Lehendakari basque Iñigo Urkullu et le Président de l’Exécutif de Corse Gilles Simeoni étaient ensemble à la tribune de l’Assemblée de Corse ce lundi 30 mai 2022. Cette première rencontre officielle entre les dirigeants basques et corses ouvre un champ politique nouveau et prometteur.

 

La chose peut sembler banale, mais il faut la souligner : cette visite officielle par-delà les frontières d’Etat s’est déroulée sans préfet, de peuple à peuple, à travers leurs deux plus hauts représentants démocratiquement élus. En soi, elle est un début d’émancipation.

Deuxième donnée politique sous-jacente : jamais une telle réunion n’aurait été organisée du temps de la présidence d’Ange Santini ou de Paul Giacobbi. Elle est donc un résultat concret de l’élection d’un Président de l’Exécutif issu du mouvement nationaliste en Corse, et aussi de 30 années d’échanges réguliers entre organisations basques et corses auxquels Arritti a très largement contribué.

L’Europe enfin est le trait d’union entre les démarches politiques corse et basque, qui partagent le projet d’une « Europe de l’Union entre les peuples et non une Europe de coalitions entre les États » selon la formule du Lehendakari.

En organisant un tel voyage officiel en Corse, dirigeants nationalistes basques et dirigeants nationalistes corses affichent leur volonté d’être ensemble pour peser sur l’avenir de l’Europe et pour lutter contre les blocages rencontrés au sein des États, en Espagne comme en France.

 

Les écarts entre la situation politique du Pays Basque, qui bénéficie d’une réelle et puissante autonomie au sein de l’État espagnol, et la Corse, qui en est encore privée en France, sont très grands. Mais la réussite économique et politique d’Euskadi démontre qu’il s’agit bien de la voie à suivre dans l’intérêt du peuple corse.

Le lehendakari a égrené, dans une interview parue le jour même dans Corse-Matin, les résultats obtenus en 43 années d’autonomie basque : Euskadi est « la première région d’Espagne pour ce qui est de la qualité et de l’indice de satisfaction en matière de services publics » ; les finances publiques sont particulièrement saines, saluées par les agences de notation internationales, « à l’équilibre budgétaire avec un niveau d’endettement de seulement 16 % », un taux de chômage le plus bas d’Espagne, le PIB par habitant le plus haut, le taux de pauvreté le plus faible, etc. Tous les indicateurs expriment la validité du modèle d’autonomie basque, qui est entièrement responsable de ses finances puisqu’il bénéficie de l’autonomie fiscale complète, à savoir qu’il est responsable de la collecte des impôts et pas seulement de la dépense publique. Le « concierto economico », l’accord passé avec l’État il y a 43 ans après 50 années de franquisme, met le peuple basque en totale responsabilité puisque ses ressources ne dépendent que de ses choix budgétaires et de sa propre efficacité en matière de recouvrement de l’impôt. Et, région riche d’Espagne, Euskadi contribue à la solidarité avec les régions les plus pauvres en reversant à Madrid 6,24 % des sommes collectées sur son territoire.

 

Après 40 années de statut particulier, la Corse est bien loin d’afficher des résultats aussi favorables. Elle dépend toujours des financements de l’État et elle n’arrive pas à sortir de son retard économique structurel. Chaque dossier est tributaire de décisions prises à Paris qui, en cinq années, a refusé d’accepter toute évolution. Ce n’est que depuis les manifestations de mars dernier suite à l’assassinat d’Yvan Colonna que l’engagement d’un nouveau processus de discussions a été pris.

En Espagne aussi le temps n’est pas à l’ouverture et le Pays Basque déplore encore les blocages qui empêchent le transfert effectif de plusieurs domaines pourtant inscrits dans la liste des compétences à transférer depuis 1979.

Chacun a besoin de débloquer un contexte politique contraire, car les Éats sont dans une phase de rétractation de façon générale en Europe. En étant ensemble on ne peut que se renforcer mutuellement. •