Par François Alfonsi
À l’ère du numérique, une nouvelle dimension se fait jour qu’il faut affronter si l’on veut assurer l’avenir de nos langues. Les Basques, grâce à leur autonomie institutionnelle, leur avance technologique, leur force économique, et leur tissu associatif très mobilisé, sont à l’avant-garde de ce combat. Leur leadership doit nous inspirer, et, grâce aux nouvelles technologies, profiter de leurs avancées devrait être plus accessible qu’il n’y parait.
Déjà, nous avons rendu compte de présentations faites devant l’intergroupe Langues et Traditions du Parlement européen sur des réalisations marquantes. Ainsi, les représentants de la télévision basque, Euskal Telebista, avaient présenté leur « Netflix basque », plate-forme de streaming qui met en ligne avec les mêmes moyens que les meilleurs toutes les œuvres en langue basque, ou ayant trait à la culture basque.
Autre expérience forte présentée, conjointement avec les Catalans, celle des négociations survenues avec Google pour que, quand une demande de recherche émane du Pays Basque, ou est exprimée avec des mots-clefs en basque, les contenus en langue basque soient affichés de manière prioritaire à ceux dans d’autres langues, à commencer par le castillan. Ce tour d’horizon a été complété par un voyage d’études mené sur place à l’initiative du groupe ALE qui a permis de s’imprégner de visu de trois exemples parlants de la capacité des militants de la langue basque à se hisser à une dimension supérieure pour donner un avenir à leur langue et à leur culture.
Au cœur de notre voyage, il y avait l’ouverture de la foire du livre de Durango, ville moyenne de Biscaye. Sous un immense marché couvert, 260 exposants y proposent des livres, pour adultes et pour enfants, la foule s’y presse et le site accueille chaque année 100.000 visiteurs. Cette imposante manifestation en dit long sur la capacité des Basques à se mobiliser pour leur langue et leur culture. Et aussi sur leur indéniable savoir-faire économique : en positionnant cet évènement juste avant Noël, ils réussissent à faire en sorte que chaque sapin familial compte au moins un cadeau acheté là.
Avant cela, à Tolosa, nous avons visité la Fondation Elkar et son « infrastructure culturelle » à l’initiative d’un chef d’entreprise passionné, JoxeMaria Sors. Son entreprise a été créée à Bayonne il y a cinquante ans alors qu’il était pourchassé par le franquisme pour ses convictions nationalistes. Il y crée alors un pôle économique pour la diffusion du livre, qu’il implante finalement en Gipuzkoa une fois l’Espagne devenue un État démocratique.
Mais sa structure doit évoluer pour être rentable, et, sur un marché difficile, il se hisse rapidement au rang de leader pour l’Espagne pour la distribution du livre. Les locaux industriels que l’on a visités sont dignes d’Amazon, avec la même technicité et le même niveau d’investissement, où l’on compose et expédie les commandes qui, depuis toute l’Espagne, convergent vers le Pays Basque.
Sur la base de cette prospérité bien établie, il étend son activité à des établissements connexes, tant pour la diffusion (plusieurs librairies Elkar au Pays Basque, y compris au Nord, et dans le reste de l’Espagne, que pour l’édition de livres scolaires, de la littérature pour adultes et pour enfants, un studio d’enregistrement moderne, dans un ensemble comprenant 426 salariés. Puis, il a fait donation de toutes ses actions à une fondation culturelle qui fait office de holding, solidarisant ainsi tous ces actifs économiques avec le combat pour la langue basque, alors que des actions simples auraient été reversées dans le marché boursier.
Notre étape suivante était l’entreprise Elhuyar, spécialisée dans l’intelligence artificielle, dont l’essor va impacter radicalement dans les prochaines années les usages linguistiques dans les langues minoritaires. Cette entreprise militante a été créée en 1972 autour de la thématique de l’appropriation du langage scientifique par la langue basque. Elle a étendu son activité à la vulgarisation des sciences en basque, puis à la mise en place de services linguistiques permettant d’accroître l’utilisation sociale de la langue basque, notamment un service d’interprétation professionnel. Puis, elle a pris le virage de l’intelligence artificielle dès le départ, et elle ouvre désormais à la langue basque les technologies de la reconnaissance vocale qui se répandent à grande vitesse autour des smartphones, des objets connectés, particulièrement les jeux pour enfants qui, grâce à cette société de 104 salariés désormais, pourront s’exprimer aussi en langue basque face à leurs ordinateurs.
Leur dernière innovation est époustouflante, et elle les place désormais au rang de champion européen. Les ingénieurs d’Elhuyar ont en effet mis au point un logiciel bluffant qui permet, de façon instantanée, de générer des sous-titres à l’écran quand une personne s’exprime en basque, en les ayant traduits dans la langue de son choix. Et elle est capable de proposer ce service à toute autre langue, y compris minoritaire bien sûr, sous réserve de collaborations qui leur permettront d’emmagasiner dans leurs logiciels suffisamment de mots et de tournures en langue corse par exemple.
Avec l’aide de leur logiciel, un élu s’exprimant en langue corse au sein de l’Assemblée pourrait apparaître simultanément sur un écran avec ses propos traduits directement en français. Je suis impatient de savoir ce que les tribunaux et les préfets de la République auront à redire si nous y recourons nous aussi ! •