Par François Alfonsi
L’accord de Beauvau est soumis cette semaine à l’approbation de l’Assemblée de Corse. Les négociateurs corses peuvent se targuer d’avoir obtenu la signature de l’État autour d’un texte qui représente des avancées très importantes pour la Corse. Les concrétiser est la priorité désormais.
Le texte des « écritures constitutionnelles » qui fondent « l’accord de Beauvau » entre la représentation de la Corse et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin agissant au nom du gouvernement et du président de la République n’était pas encore définitif, mais les gardiens du temple républicain étaient d’ores et déjà sur le pont. On ne sait qui, de Manuel Valls ou Bruno Retailleau, dégaina le premier, mais l’aigreur de leurs propos rivalisait de mauvaise foi, et ouvrait le bal des jacobins. Depuis, de tribune en plateau télé, de Jean Louis Debré au désormais inévitable Benjamin Morel, à l’unisson avec les députés du Front National, toute la galaxie intello-parisienne se déchaîne sur les médias. Leur objectif est limpide : intimider le président de la République qui s’apprête à engager la réforme constitutionnelle, et chercher ensuite à « tuer » le processus dès son examen au Sénat.
Leurs arguments ne résistent à aucune analyse, l’autonomie au sein d’un État étant la forme de gouvernement des îles la plus répandue dans les pays démocratiques. À commencer par l’Italie avec la Sardaigne voisine, ou l’Espagne à propos des Baléares. Mais leur hyper-nationalisme français les obsède et ils font grand bruit pour peser sur une opinion publique et des élus, députés et sénateurs, fort heureusement moins fanatiques. Mais leur influence ne peut être négligée. Il faudra la surmonter.
Face à cette offensive en règle, le bon sens consisterait à serrer les rangs en Corse, en agrégeant le plus largement possible autour de la majorité nationaliste issue des urnes, et hors de Corse, en soutenant ceux qui nous soutiennent. La position courageuse de Laurent Marcangeli et de Valérie Bozzi, sur les bancs de l’opposition territoriale, a ouvert la voie à la décision de lancer la réforme constitutionnelle. Le camp réactionnaire est réduit à sa plus simple expression, incarnée par le sénateur Jean Jacques Panunzi.
Certes il est logique que les mouvements nationalistes, selon leurs sensibilités, accueillent avec des différences les avancées obtenues. Doit-on pour autant en arriver à des oppositions frontales, et accuser de « trahison » l’Exécutif pour avoir validé le compromis trouvé à Beauvau ? C’est sans doute un calcul politique pour l’échéance électorale d’après, mais c’est aussi, à n’en pas douter, une posture malsaine. Elle est pain bénit pour ceux qui aspirent à dévoyer le nationalisme vers des revendications ethniques surannées, et dont le seul avenir est de se fondre dans les remugles de l’extrême-droite européenne en y entraînant une partie de la jeunesse en mal de repères. Dans le défi existentiel pour l’avenir du peuple corse, qui joue sa survie dans la prochaine génération, il ne peut y avoir de place pour les jeux politiciens.
Aux Corses qui s’interrogent, il faut faire lire et relire le texte de l’accord. Il ouvre la fenêtre d’une inscription dans la Constitution de la « communauté corse » autour de ses fondamentaux de l’Histoire, de la langue, de la culture et de son lien à la Terre. Il acte « l’autonomie de la Corse dans le cadre de la République », et il valide une procédure propre de définition des lois et règlements par l’Assemblée de Corse sans habilitation préalable du gouvernement ou du Parlement. C’est le cadre souhaité d’un pouvoir législatif et réglementaire qui était attendu par ceux qui, en 2015, 2017 et 2021 ont mandaté l’Assemblée de Corse en apportant, avec des majorités toujours plus fortes, leurs suffrages aux mouvements nationalistes. Car pour balayer l’offensive jacobine qui va faire rage à Paris, il ne faudrait pas que la demande d’autonomie des Corses soit entachée de comportements ambigus ou délétères.
La question est sérieuse et elle engage l’avenir de notre île. Ceux qui par idéologie jacobine ou dérive opportuniste voudraient porter la responsabilité d’un échec au Sénat, devront aussi en porter les conséquences. Dans un espace démocratique on ne balaie pas sans conséquences, d’un revers de manche, un processus politique voulu par le peuple corse, validé par le président de la République, et présenté à la représentation élue du pays. Si le Sénat suivait les recommandations de Monsieur Retailleau, le jacobinisme serait victorieux, mais la démocratie serait piétinée, et la Corse meurtrie.
La seule priorité désormais est de faire en sorte qu’il n’en soit pas ainsi. •